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Sélectionneur de l’Angleterre, pire job du monde ?
Depuis la mise à l'écart de Sam Allardyce, le poste de sélectionneur de l'Angleterre est vacant. Et à première vue, les candidats ne se bousculent pas pour reprendre un poste exposé et exigeant. Profil idéal, le manager de Bournemouth, Eddie Howe, a même indiqué préférer rester dans le ventre mou de Premier League. Parce qu'en 2016, il n'y a pas pire qu'entraîner les Trois Lions ?
Pep Guardiola, José Mourinho, Arsène Wenger… À chaque fois que le poste de sélectionneur de l’Angleterre se libère, le même serpent de mer. Tous les plus grands coachs de la planète football sont annoncés comme des recrues potentielles. Et au final, les Trois Lions voient Roy Hodgson ou Sam Allardyce poser son séant sur le banc. En 2016, cela correspondrait à Steve Bruce, « un entraîneur correct, pas exceptionnel, mais qui est expérimenté et a l’avantage d’être anglais » , analyse Jonathan Wilson. Auteur de l’ouvrage référence au Royaume-Uni quand on parle de tactique – Inverting the pyramid – et éditeur de la réputée revue The Blizzard, il ne s’étonne pas des difficultés de la Fédération anglaise à dénicher des entraîneurs à la hauteur de ses ambitions. Parce que le job, aussi prestigieux et attractif qu’il paraisse, est surtout « un calice rempli de poison » selon le très bien informé Gordon Taylor, président de la Professionnal Footballers Association, le syndicat des joueurs et entraîneurs pros en Angleterre. « La pression du succès est trop lourde sur les joueurs, alors qu’en comparaison, d’autres joueurs de Premier League ne subissent même pas la moitié de ça quand ils jouent pour le pays de Galles ou l’Islande. » En clair, on attend beaucoup d’un manager de la sélection anglaise. Beaucoup trop. Et quand bien même il ferait un superbe boulot, il n’y aurait personne pour s’en rendre compte selon Wilson. « L’Angleterre pourrait gagner tous ses matchs 4-0 d’ici la prochaine Coupe du monde… Battre l’Écosse ou la Slovénie, c’est normal. Perdre contre eux, c’est embarrassant. Et arriver brillamment jusqu’aux quarts, puis perdre aux penaltys contre l’Espagne ou l’Allemagne, on le traiterait d’incompétent. Même Sir Alf Ramsey, il a été critiqué quasiment pendant tout son mandat. »
« Être sélectionneur de l’Angleterre, c’est un traumatisme. » Jonathan Wilson
De quoi rébuter les premiers choix, voire les seconds. À l’image d’Eddie Howe, qui a officiellement indiqué préférer rester à Bournemouth que prendre en main l’équipe nationale. « Cela se passe trop bien à Bournemouth pour tout mettre en péril » , acquiesce le journaliste du Blizzard. « Être sélectionneur de l’Angleterre, c’est un traumatisme, c’est un poste pour quelqu’un d’expérimenté, qui a déjà construit sa carrière, qui n’a plus rien à prouver. Howe pourrait détruire sa carrière avant même qu’elle n’ait commencé… » Le plus bel exemple de ce côté corrosif : la trajectoire de Steve Mc Claren. « Il a emmené Middlesbrough en finale de la Coupe de l’UEFA. Il les a emmenés à un niveau qu’ils n’avaient jamais connu. Et depuis qu’il a pris la sélection ? Une blague, plus personne ne veut de lui. Bon, il a foiré à Newcastle, mais c’est surtout à cause de son passage en sélection que sa réputation a été détruite. » Wilson ne rêve donc pas de celui qui a été récemment relégué avec les Magpies, sa lubie, c’est Marcelo Bielsa. « Ce serait brillant, mais cela n’arrivera pas, car le positionnement de la FA, c’est que le football de sélection doit être construit autour des meilleurs hommes du pays. » Et il est plutôt d’accord avec les têtes pensantes du foot anglais, car « si vous êtes l’Angleterre et que vous vous tournez vers l’extérieur, c’est un aveu d’échec » . Et aussi une prise de risques conséquente, car le manager étranger n’a pas toujours la finesse pour s’adapter à sa culture d’accueil. « Quand Fabio Capello est arrivé à la tête de l’équipe, il avait des états de service exceptionnels en club, mais il n’a jamais semblé se fondre dans le job. Les joueurs ne l’aimaient pas, la relation avec les médias étaient mauvaise. Il n’a pas appréhendé la culture du foot anglaise, et cela a engendré des problèmes collatéraux. Pendant la Coupe du monde 2010, il a installé l’équipe au milieu de nulle part en Afrique du Sud, et les joueurs s’ennuyaient ferme. Les Italiens sont sûrement habitués à se concentrer, à avoir un rythme de vie quasi monastique avant une rencontre. Mais ce n’est pas le cas des Anglais. »
Southgate aujourd’hui, Wenger demain ?
Pas tellement surprenant, donc, de voir l’Italien jeter l’éponge avant l’Euro 2012 en raison de l’affaire John Terry, son capitaine écarté de la sélection. Aujourd’hui, les meilleurs profils étrangers sont donc ceux avec une certaine affinité anglaise comme Ralf Rangnick, l’Allemand ayant étudié à l’université du Sussex et passé ses diplômes d’entraîneur en Angleterre, ou Arsène Wenger, l’option idéale selon Jonathan Wilson. « Il a passé vingt ans ici, il comprend totalement le football anglais et la culture du football anglaise. Et il parle anglais, ce qui est très important. » Autant dire que la question de la fin de contrat de l’Alsacien, en juin 2017, concerne autant les Gunners que les Trois Lions, car « si jamais il ne prolonge pas, il est impensable que la FA ne discute pas avec lui pour lui donner le poste » . Une option qui prolongerait de facto l’intérim de Gareth Southgate, sélectionneur des U21 anglais qui a accepté de jouer les pompiers pour les quatre prochains matchs. « Southgate est un choix judicieux pour le moment » , estime Gordon Taylor, visiblement satisfait de voir la FA jouer la promotion interne suite à la défection de Big Sam. Et pour Jonathan Wilson, l’ancien défenseur international a une vraie carte à jouer, car il est l’un des rares candidats qui n’a rien à perdre et qui rend déjà service à la fédé : « Il joue l’Écosse à la maison, ensuite l’Espagne en amical. S’il prend sept points et fait une belle prestation contre l’Espagne, c’est quasiment certain qu’il gardera le job. Pendant l’été, il a refusé le poste, car il voulait rester avec les U21, désormais il prend le poste par sens du devoir. Grâce à lui, la FA n’est pas obligée de se précipiter, il leur donne du temps. Les prochains matchs en 2017 seront en mars. » Et la fin du contrat de Wenger en juin.
Tous propos recueillis par Nicolas Jucha