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Sefyu : « Le fair-play, l’Afrique ne le connaît pas »
De passage dans les locaux de So Foot, Sefyu s’est posé à visage découvert devant Algérie-Sénégal avec le désir de voir son équipe de cœur battre les Fennecs. Déçu au moment du résultat final, le rappeur d’Aulnay-sous-Bois dresse un constat clinique de sa sélection avant le match face au Kenya. Entretien acide.
Quel est ton avis sur cette défaite 1-0 du Sénégal face à l’Algérie ? C’est clairement un match où les deux équipes étaient tétanisées par l’enjeu. Même faire trois passes consécutives, tu sentais que c’était compliqué… Je dirais que cette rencontre a manqué d’entrain dès le début. C’est comme si chaque équipe avait peur de prendre le match à son compte, il y avait une réticence à se dévoiler. J’ai trouvé les vingt premières minutes très hachées, jusqu’à la première action algérienne avec ce coup franc plein axe. À partir de ce moment, ils ont commencé à prendre plus de confiance, et progressivement, l’Algérie s’est détachée au fur et à mesure des minutes. Globalement, ce n’était pas un match fameux, et très honnêtement, c’était bien moins intense qu’un Zimbabwe-Ouganda par exemple.
Le Sénégal n’avait plus perdu un match depuis la dernière Coupe du monde et sa défaite contre la Colombie. À quelle réaction tu t’attends face au Kenya ? Il faut de l’orgueil. J’ai vu des joueurs en dents de scie comme Sadio Mané, qui n’était pas au niveau auquel le Sénégal l’attendait. Sur le plan plus collectif, j’ai trouvé que l’équipe manquait de cohésion. Contre le Kenya, je veux une victoire, mais aussi la manière. Gagner 1-0 ou 2-0 en jouant de la même façon, ça ne donnera pas de bonnes ondes pour la suite.
Mais tu connais un peu les qualités du Kenya ? Pas du tout. Et je vais même te dire un truc : toutes les équipes modestes de la CAN, je ne les connais pas vraiment. Ce que je sais en revanche, c’est que ce sont des équipes qui vont se battre sur le terrain.
L’Ouganda, je les ai vus jouer depuis le début du tournoi, c’est vraiment une superbe équipe. Même la République démocratique du Congo, ils sont presque déjà éliminés du tournoi, mais j’ai trouvé qu’ils étaient hyper dangereux. Quand tu joues une CAN, ce n’est pas pour un corps de métier. Tu joues pour ton pays, ton peuple, c’est fort ! Au Sénégal, tout le dévolu est jeté sur le football. Un footballeur international sénégalais est un ambassadeur, il détient une importance égale à celle d’un ministre. Et quand tu es un ambassadeur, tu te dois de mouiller le maillot. Contre l’Algérie, je ne l’ai pas vu. C’est un problème.
Qu’est-ce qui te fait croire que le Sénégal est capable de remporter cette CAN ? Ah, mais pour moi, le Sénégal n’est pas favori pour aller gagner la CAN ! En favori en puissance, je vois le Maroc. C’est une équipe hyper bien organisée. Et plus globalement, je vais plus croire en des équipes qui se préoccupent plus de leur défense que de leur attaque. Si tu arrives à mettre une solide assise défensive, tu es déjà capable d’aller gagner la CAN. L’attaque, ça doit être le dernier secteur dans lequel tu dois réussir, et Hervé Renard a parfaitement compris cette nécessité. Avant la dernière Coupe du monde en Russie, le Maroc n’avait encaissé aucun but en phase éliminatoire ! Une CAN ne se joue pas sur le terrain, mais sur la tactique mise en place.
Au-delà du coach Aliou Cissé, quelles sont les personnes qui doivent remobiliser le groupe pour aller de l’avant ? Quand tu vois Baldé Keita ou même Sadio Mané, parce que son rôle de leader est primordial, tu te dis qu’il manque quelque chose à cette équipe. D’une certaine manière, ce Sénégal me rappelle la Côte d’Ivoire qui n’arrivait pas à mettre son vécu au service de l’équipe. Quand tu voyais Drogba, Yaya Touré… Cette équipe était extrêmement forte en phase de qualification, mais quand venait la phase finale d’un tournoi international, tu avais l’impression qu’il y avait un profond respect pour les nations comme le Portugal. Et du coup, les Ivoiriens perdaient un peu la notion d’aller au combat pour combler cette faim de victoire.
C’est quoi, l’exemple à suivre ? Une équipe que j’ai beaucoup admirée, c’est l’Espagne de 2008 à 2012. Pendant chaque Clásico, tu voyais Xavi, Puyol, Ramos et Casillas qui se faisaient la guerre sur le terrain et quand arrivait le moment de jouer avec l’Espagne, ils étaient capables de s’unifier pour gagner.
Se rentrer dedans sur le terrain et être copains à la fin du match, c’est fair-play. Et le fair-play, l’Afrique ne le connaît pas. Et c’est sans doute pour cela que ce football montre ses limites à l’extérieur du continent. Mané par exemple, tu vois qu’il ne cherche pas à être conflictuel sur le terrain. Il est trop poli ! Il ne va pas mettre de pression à l’arbitre parce que son image doit être conforme à sa publicité et son Ballon d’or africain. Je constate qu’il y a un manque d’agressivité global sur le terrain. L’Ibrahimović africain, il n’est pas encore là. Lui à l’époque, il se prenait la tête avec Bayal Sall sur le terrain, mais derrière, il était dans le respect et échangeait son maillot. Voilà ce qu’il manque à l’Afrique.
Tu viens d’Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne. Comment est-ce que la CAN se passe concrètement à l’échelle des quartiers ? Déjà quand la CAN commence, il y a un refoulement massif de l’identité française, c’est une sorte d’aparté pendant la compétition. Ensuite, la CAN, c’est de la vanne. Il y a de la provocation… Quand ça se passait mal pour moi et que le Sénégal perdait, j’ai le souvenir que je restais chez moi en anonyme. Le souci, c’est que j’habitais au rez-de-chaussée. Et j’entendais que ça toquait à la fenêtre et que les gars criaient : « Allez, sors maintenant ! » Franchement, ça piquait dur. Dans ces moments-là, tu te retrouves tout seul. La CAN à Aulnay, c’est marrant et tendu à la fois. C’est tendu parce que tu sens que tout le monde est à fond : tes potes ne sont plus tes potes, mais aussi ta famille se prend au jeu, ton daron est à fond, les appels au bled se multiplient… C’est intense.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix