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- Il y a 40 ans, la Coupe du monde 1966
Seeler, photo de la défaite
En 1966, l'Allemagne découvre qu'elle peut perdre une finale de Coupe du monde. Elle s'émerveille alors devant une photo qui retransmet toute la frustration, l'abattement et le désespoir d'un combat acharné qui n'aboutit qu'au néant. Une image consacrée depuis comme « photo sportive du siècle » et qui continue d'alimenter le mythe de Wembley outre-Rhin.
« Uwe Seeler quitte la pelouse de Wembley comme un grand homme… » La légende de la photo prise par Sven Simon suffit à comprendre. Uwe Seeler est peut-être rabougri sur l’instant, donnant l’impression de vouloir planter sa tête dans le sol comme une autruche qui ne veut pas voir le résultat, raccompagné par des officiels et des musiciens. Le capitaine de la Mannschaft n’est pourtant pas dans l’image de Seeler un joueur vaincu comme un autre. Il sort grandi par l’expression d’épuisement que son corps traduit. Consacrée comme la première Coupe du monde médiatique, les images de 66 et d’Uwe Seeler tournent dans tous les ménages allemands, bien plus que le visage retourné du gardien après la frappe de Geoffrey Horst pour constater que le ballon s’échappe de la cage. L’Allemagne vient de perdre et se découvre une nouvelle manière de s’exprimer, comme elle apprend à affronter un adversaire dans ce qui va devenir un des grands classiques du football moderne. Seeler bien plus tard rappelle l’épisode en faisant un clin d’œil à peine voilé à la photo : « C’est dans la défaite que se montre le vrai sportif. »
Sven Simon, fils de son père et père de l’agence
Cette photo de 1966 a été captée par un dénommé Sven Simon de 25 ans. Sous ce pseudonyme se cache en fait le jeune fils d’Axel Springer (Axel Springer junior, comme dans toute bonne dynastie), le magnat de la presse à l’origine de titres comme Bild ou Die Welt. Pas sa première dans la photographie de sport : Sven Simon débute sa carrière en suivant la troisième femme de son père, Rosemarie, aux JO de Rome en 1960. Il a dix-neuf ans. Il commence ainsi à contribuer à l’Abendblatt, puis à Bild. Avec l’aide de deux photographes du groupe de presse de son père, Sven Simon continue d’apprendre sur le terrain et multiplie les collaborations en s’affranchissant de la tutelle Bild-Abendblatt trop facile. La photo d’Uwe Seeler est le point d’orgue de son apprentissage. Elle dévoile un talent brut, qui devient rapidement l’un des photographes les plus connus de sa génération. Ses photos traduisent un intérêt, une proximité avec l’humain maîtrisée parfaitement. Un leitmotiv qui perdure au sein de l’agence à son nom. Son fils Axel Sven Springer, dans son livre hommage, parle des photos de son père ainsi : « Dans ses photos, on ressent l’amour des hommages et son rapport avec les ouvriers du port comme avec les sportifs célèbres, les chanceliers ou les présidents. » Mais c’est bien dans la photo de sport avant tout que le nom de Sven Simon, qui se suicide en 1980, reste. À la fin du XXe siècle est créé un prix Sven Simon qui récompense la plus belle photo sportive de l’année, sous la présidence du fils. Pour rechercher la future nouvelle photo du siècle, après celle de Seeler.
La pause ou la fin ?
Cependant, si la photo est devenue aussi connue en Allemagne, c’est en particulier parce qu’Uwe Seeler lui-même a longtemps entretenu un mystère autour de sa capture. Ainsi, peu après sa médiatisation, Seeler affirme que ce n’est pas ce que l’on pense qui a été pris en photo : il ne quitterait pas le terrain après le match, mais seulement à la mi-temps pour se reposer. Plusieurs journalistes et photographes corroborent en s’appuyant sur la présence de l’orchestre, qui n’aurait joué ce jour-là qu’à la pause. Le débat commence. Au 65e anniversaire de Seeler, à la télé locale, le commentateur allemand à Londres Rudi Michel débarque avec des preuves que l’orchestre jouait également après le match. Le débat est infini. Alors en 2012, lorsque le Spiegel l’interviewe, Seeler sait ce qui l’attend : « Vous voulez maintenant savoir quand la photo a été prise.[…]Je peux facilement vous répondre : ça doit être après le coup de sifflet final.[…]Quand on regarde avec précision, on remarque aussi Willi Schulz en arrière-fond avec un visage triste. » Après plus de quarante ans, Seeler a changé d’avis, parce qu’il avait « regardé un peu trop superficiellement » la première fois. Le doute n’existe plus, mais la légende urbaine demeure, probablement parce qu’elle dit quelque chose de la méfiance et la fascination qu’exercent ces premières images des grands événements sportifs. Cette année encore, Günter R. Müller – co-fondateur de l’agence photo Sven Simon avec Axel Springer junior – a refait la démonstration que cette photo date de l’après-match, la série des négatifs de Sven Simon comme les indices retrouvables sur les autres photos (présence de l’orchestre militaire et ombres qui se reportent sur le terrain) indiquant bien qu’il s’agit de la fin du match. Et encore une fois, ce samedi, la ZDF a invité l’ancien buteur d’Hambourg pour qu’il s’exprime sur la photo, exposée comme pièce centrale d’une rétrospective de cette finale au musée du football de Dortmund. Cinquante ans après, le débat continue malgré tout. Alors que la solution est simple : reconnaître que Sven Simon a capté ici un instant décisif, l’un des premiers consacrant le sport, traduisant en un instant le match dans son ensemble. Et si elle demeure aussi fascinante aujourd’hui, c’est qu’elle dit une chose simple sur le football. Les trophées passent, les images restent et les mythes demeurent. Wembley 66 est irremplaçable dans l’histoire du football allemand.
Par Côme Tessier