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Sedan : The Dubois Brothers
Tout ne s'est pas passé comme prévu depuis la reprise du club de Sedan par les frères Marc et Gilles Dubois, en 2013 à la suite de la liquidation. Le second nommé et benjamin, las des choix de son frère et mis à la porte par ce dernier, a pris ses cliques et ses claques quatre ans plus tard, et une guéguerre fraternelle a débuté. L'affaire a même pris une dimension inattendue le mois dernier, avec pour finir la publication d'un communiqué lunaire où l'aîné, président encore en place, règle ses comptes familiaux en public. Il est temps de se poser cette question : il se passe quoi, au CS Sedan-Ardennes ?
Depuis le décès prématuré de Jahseh Onfroy, plus connu sous le ténébreux blase XXXTentacion, nombreux sont ceux qui font perdurer sa mémoire et son travail. Oui, même au milieu des Ardennes, on n’a pas oublié le petit prince du rap émo. Pour ceux qui en doutaient, Marc Dubois l’a rappelé il y a un mois sur le site de son club, le CSSA, en reprenant une phrase qui tourne sur tout site de citation qui se respecte et que l’on attribue à « XXX » : « La chose la plus triste à propos de la trahison, c’est qu’elle ne vient jamais de nos ennemis… » Voilà comment le président du club a conclu avec panache son communiqué, le 11 août dernier. Une publication inouïe, sobrement intitulée Pitoyable et pathétique, dans laquelle il incendie tout bonnement son petit frère Gilles, ex-directeur délégué à ses côtés entre 2013 et 2017 après la liquidation judiciaire de l’écurie ardennaise et la reprise par la fratrie.
[COMMUNIQUE OFFICIEL]Le président du CSSA, Marc Dubois, s’exprime face aux récentes déclarations parues dans la presse➡️ https://t.co/ljIpH5rlFV pic.twitter.com/sh13ZlpwIt
— CSSA (@_CSSA) August 11, 2020
Morceaux choisis : « Gilles Dubois a été révoqué pour avoir mis en péril le club qui nous est si cher par son irresponsabilité chronique, ses comportements inqualifiables, indignes des valeurs qui sont les nôtres ainsi que sa plus totale incompétence. En toute impudeur, il a privilégié ses intérêts personnels sans d’aucune façon se préoccuper des enjeux élémentaires du club, en particulier financiers dont il ignore fondamentalement les principes de base dès lors que ce n’est pas lui qui y contribue.[…]Celui qui prétend avoir repris le club en 2013 n’y a jamais consacré le moindre euro.[…]Seul son ego narcissique lui importe, et pour nourrir lequel il se prête à toutes les manipulations, affirmations mensongères et calomnies imaginables sans la moindre limite.[…]Je vais sans délai intenter toutes actions judiciaires appropriées nécessaires à la défense du respect absolu dû à chaque collaborateur du CSSA, conformément aux règles éthiques qui m’animent. »
The Dubois Brothers
Comment en est-on arrivé là ? Il faut dire que Gilles, peu à peu entré en guerre contre son frère depuis son départ du club en octobre 2017 à la suite d’« une discussion houleuse » et des mois voire des années de désaccord, n’y était pas allé de main morte ces derniers temps, notamment chez foot-national.com : « Dans le club de Sedan, il n’y a plus aucun Ardennais. Il est dirigé depuis le Midi, par des gens du Midi, qui ne connaissent pas Sedan, qui ne connaissent pas le contexte, qui ne connaissent pas le club. Il y a eu une véritable chasse aux sorcières sur les éducateurs : tous les éducateurs ardennais ont été virés. » Depuis ce coup de sang et le communiqué du club qui a suivi, chaque camp préfère rester muet.
Les deux frères, séparées par huit années et une sœur née au milieu, se revendiquent chacun « pur Ardennais », et s’ils ont posé la seule et unique candidature à la reprise du CSSA en 2013, c’est « en mémoire de [leur] père qui était un ardent supporter de ce club ». Mais en réalité, ils n’ont pourtant pas grand-chose en commun, et les ponts ont réellement été coupés : « La dernière fois que j’ai entendu le son de sa voix, ça remonte à septembre 2017, alors que, des occasions de nous parler, nous en avons pourtant eues », expliquait Gilles en mai dernier dans les colonnes de L’Ardennais. Marc Dubois, l’entrepreneur local dirigeant du groupe Aplus (tourisme/bien-être, maisons de retraite, etc.), est à la tête de l’institution depuis sept ans maintenant et injecte les fonds avec l’espoir de rendre au CSSA ses lettre de noblesse. Yasser Baldé, qui tenait la défense des Ardennais la saison dernière avant de filer à Cholet, le décrit comme « quelqu’un de très bon, ambitieux, qui met énormément de cœur pour le club de Sedan et aimerait le piloter dans le monde professionnel. Il est plutôt sur la réserve, mais quand il prend la parole, ce n’est pas pour rien. »
Gilles, ex-footeux qui a brièvement porté les couleurs du club à la fin des années 1970 au moment où celui-ci était redevenu amateur, était celui qui pilotait le CSSA au quotidien lorsqu’il était encore en poste, alors que Marc ne pointait le bout de son nez qu’à l’occasion, rapportent plusieurs témoignages. Et il n’a semble-t-il jamais vraiment eu la même vision des choses que son frérot. « Quand j’étais à Boulogne un an après mon départ, on s’était accrochés avec Gilles, parce que c’est un passionné, témoigne Olivier Miannay, ex-directeur sportif adjoint qui a mis les voiles. C’est ce qu’on lui a reproché. Et il connaît le football, il a côtoyé un peu le monde pro. Il a une sensibilité football que Marc, qui n’y connaît rien du tout, n’a pas. Marc s’entoure de personnes qui lui font croire qu’ils connaissent le milieu… Depuis quatre ans, il n’y a pas de résultat. »
Devant les prud’hommes en 2016
Désormais au Puy Foot 43, Miannay lui en veut encore d’avoir « tout foutu en l’air » en faisant le grand ménage alors que les résultats étaient là (montée de CFA2 à National lors des deux premières saisons).« Des mauvais choix, des belles paroles, l’arrivée des Saoudiens qui ne s’est jamais faite… » Le mirage saoudien, qui a fait pschit il y a quatre ans, a effectivement laissé des séquelles et n’a fait qu’aggraver le bilan du président Dubois. « Il n’y a aucun joueur de la formation qui est aujourd’hui en équipe première, déplore Jacky Le Bihan, responsable de la formation de Sedan pendant trois années. Les valeurs sedanaises qui étaient les nôtres s’en vont. Gilles a la nostalgie de l’époque où Sedan rayonnait au niveau départemental, régional et national. »
Les co-président du @_CSSA Marc et Gilles Dubois officialisent l’entrée du Prince Saoudien Fahad au capital de Sedan pic.twitter.com/X41siImTno
— Florent Boutet (@Florent_Boutet) January 2, 2016
Cela ne fait plus de doute : tout ça devrait donc se terminer devant les tribunaux. Marc D. a l’habitude : plusieurs anciens salariés ont intenté des actions prudhommales contre lui, en 2016. Certaines ont duré plusieurs années, et le président a tout perdu, assure une source anonyme. Ce n’est pas un hasard si Gilles Dubois, depuis trois ans maintenant, reproche à son homologue d’avoir tué l’identité du CSSA en mettant à la porte tous les locaux qu’il comptait. Juste après son éviction, il s’expliquait sur Facebook : « À la reprise du club en août 2013, je fais venir Jean-Claude Médot, un ami, comme directeur sportif, et nous ramenons le club en National en 21 mois. À la suite des désaccords, Marc Dubois recrute Pierre Mbappé, contre mon avis, et privilégie ce dernier par rapport à Jean-Claude qui nous quitte. Toutes les décisions futures, y compris celles qui affecteront fortement financièrement et de façon négative le club, seront prises par lui-même et ses proches ; on connaît tous le résultat et ainsi sa volonté de reprise du pouvoir qui s’accompagne du retrait de ma délégation de président délégué du CSSA. » Aujourd’hui loin de Sedan, Pierre Mbappé – oncle de – ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet.
Le logo qui fait déborder le vase
À l’heure actuelle, c’est un certain Julien Fernandez qui officie en tant que directeur sportif au CSSA. Et il est également visé par les attaques de Gilles D. Reconverti ambassadeur du sport chez Ardennes Métropole et notamment en charge de la gestion du stade Louis-Dugauguez, l’ex-portier emblématique des Sangliers Patrick Regnault ne s’éternise pas sur le sujet Fernandez : « No comment, pour rester poli. Je passe directement par Marc Dubois maintenant. Il a su mettre de l’argent dans le club et le relever, même si on est en quatrième division, et c’est tout à son honneur. Maintenant, est-ce qu’il a les capacités par rapport à la gestion d’un club ou est-qu’il est bien entouré, j’ai des interrogations. Ce qu’on voit, c’est que l’argent ne fait pas tout. »
Tête très connue du côté de Dugauguez, Habib Bellaïd est pourtant « passé de capitaine de l’équipe à joueur banni » et s’est ainsi retrouvé au placard la saison dernière, lors de sa dernière année de contrat. Alors forcément, lui aussi se montre acide avec l’actuelle direction : « Julien Fernandez est quelqu’un qui a des intérêts personnels à faire valoir. Il est très ami avec le président, qui lui laisse un peu toute la direction sportive, alors qu’un président devrait s’investir un minimum dans son club. C’est compliqué de gérer un club quand tu es loin. C’est un très bon entrepreneur, un très bon businessman, mais ce n’est pas un président de football. Il ne connaît pas assez le club, l’histoire. Ça se ressent. Il ne mesure pas l’impact. L’exemple du nouveau logo… Ça a marqué la population ardennaise. À cause d’eux, le club est en train de devenir la risée. »
Il est vrai que Sedan ne ménage pas ses supporters : en plus d’avoir scandalisé les Ardennes – et pas que – en dévoilant fin juin un nouveau logo incongru, d’avoir manqué la montée en troisième division (dans des conditions ahurissantes, il est vrai) pour la troisième année consécutive et d’avoir nommé un sixième entraîneur en sept ans, l’institution CSSA déballe maintenant sur la place publique la guerre fratricide qui la gangrène et, par conséquent, les soucis de gestion qui persistent en son sein. « Le sanglier sait contre quel arbre il peut se gratter » : peut-être que si XXXTentacion avait été l’auteur de ce proverbe, nous n’en serions pas là.
Par Jérémie Baron
Tous propos recueillis par JB, sauf mention