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Sedan, Sangliers propres
Redescendu en National 2 à l'intersaison 2017 alors qu'il visait un retour dans le monde pro, Sedan vit un début de saison stratosphérique : 100% de victoires et aucun but encaissé. Après des galères à répétition, l'OVNI ardennais rattrape le temps perdu, et nul ne sait où il compte s'arrêter.
L’AS Prix-lès-Mézières vit de belles heures. Pensionnaire de cinquième division et représentante d’une petite bourgade de 1300 habitants cramponnée à Charleville-Mézières, elle disputera le 5 janvier prochain les 32es de finale de la Coupe de France, et a toutes ses chances d’accéder au tour suivant. Un exploit ? Pas autant que celui réalisé par les Vert et Noir en début de parcours, plus précisément à la mi-octobre au cinquième tour. Ce jour-là, sur corner, le défenseur Damien Dufour a réalisé quelque chose de très spécial : il a marqué un but à son ancien club, le CS Sedan-Ardennes, et le prestigieux voisin s’est incliné (0-1). Ce n’est pas compliqué : c’est tout simplement le seul pion qu’ont encaissé les Sangliers depuis le début de la saison. Fou.
« On s’interdit de prendre un but »
Depuis août et le coup d’envoi du nouvel exercice dans le groupe A de National 2, les matchs passent et se ressemblent : Sedan gagne, et ses filets ne tremblent jamais. Véritables phénomènes, les ouailles de Sébastien Tambouret en sont à 13 succès pour autant de cleen-sheets, redonnant un peu de ses lettres de noblesse à un club mythique des années 2000 qui a sombré. Évidemment, personne ne fait quelque chose de comparable en Europe, toutes divisions confondues. Une solidité qui s’est forgée progressivement : « En arrivant ici, on m’a tout de suite imposé et montré les ambitions du club, et nous, petit à petit, on s’est prêté au jeu, témoigne Yasser Baldé, défenseur formé à l’AJ Auxerre et qui forme la charnière centrale avec Bissenty Mendy. On a vu qu’à la troisième journée, on n’avait pas encaissé et c’est devenu un état d’esprit : on s’interdit de prendre un but. »
Il existe bien une faille, celle que le milieu de Belfort Ludovic Saline avait trouvé en marquant sur coup franc lors de l’ultime journée la saison dernière. D’ailleurs, les quelques rares buts mangés en amicaux l’ont aussi été sur coup de pied arrêté. Mais en championnat, plus rien ne passe : « Dans le jeu, ils sont efficaces dans les deux zones, analyse Saline. En N2, beaucoup de buts sont dus à des erreurs individuelles, et en ce moment, ils n’en font pas. » Damien Dufour, qui a lui affronté une équipe remaniée – le gardien remplaçant était aligné – et peut-être un poil dissipée en Coupe, a tout de même pu mesurer la qualité de ce groupe, surtout à Louis-Dugauguez : « Ce ne sont pas que les défenseurs, c’est tout un bloc. Ils ont aussi un gardien qui fait les parades au bon moment. Ils dégagent quand même une puissance, avec leur public derrière. » Pour le portier Geoffrey Lembet, c’est un vrai conte de fée : « C’est tellement rare de se retrouver dans ce cas de figure que, forcément, ça fait plaisir. Je ne me lève pas le matin en me disant que je suis invincible, mais collectivement, on sait en revanche que l’on est béton. Tout le monde tire dans le même sens. Un bloc aussi solide et solidaire, ça faisait longtemps que je n’en avais pas trouvé. »
Peaky Blinders et canoë dans la Meuse
Pour comprendre les origines de cette incroyable série et de cette force collective, il faut remonter aux beaux jours. Au 1er juillet, plus précisément, date de reprise de l’entraînement pour le groupe mené par Sébastien Tambouret. « On a fait toute notre préparation à Sedan. C’était un choix, car j’ai la chance d’avoir de très belles installations au château. » Toute la préparation ? Presque, même s’il est impossible de passer à côté de cette escapade d’une journée de l’autre côté de la frontière. Décisive, à en croire le coach : « On est allés en Belgique à Virton, qui nous avait prêté ses terrains d’entraînement, où on s’est entraîné après avoir mangé sur place. On avait pris un bel hôtel, convivial. Le soir, avant le repas, ça a été l’occasion d’introduire les nouveaux et qu’ils chantent devant le groupe. » Résultat, la préparation se déroule sur les chapeaux de roues, et le CSSA montre les crocs à chaque match. Surtout, cet esprit de camaraderie continue de se forger sur et en dehors du pré. « On nous appelle la meute ou les Peaky Blinders, clame Yasser Baldé. Toute l’équipe est fan de cette série, parfois à l’entraînement, je viens avec le béret. Et c’est une sorte de gang seul contre tous, uni et qui ne lâche rien. On a pratiquement tous fait un centre de formation, alors on a un peu ce côté revanchard. Ça représente bien notre équipe. »
Une unité qui s’est construite au fil des semaines, des victoires, mais aussi à travers des exercices originaux du staff sedanais. « On a fait une sortie canoë où ils étaient à deux par embarcation. On les a balancés dans la Meuse en leur demandant de tous se retrouver à un autre endroit. Certains ont mis quarante minutes, d’autres 1h45, se marre Sébastien Tambouret. On a mis en place une séance de boxe (ce mardi, N.D.L.R.), car les terrains sont difficiles et ça permet de travailler l’explosivité d’une autre façon. Mon adjoint, avec son préparateur physique, nous ont aussi fait faire durun and bikequand les terrains étaient compliqués, du tchoukball… » Sur le pré, aussi, cet esprit de famille permet au CSSA d’appréhender les temps faibles et de les renverser. Comme ce match face à l’Olympique Saint-Quentin, où depuis ses cages, Geoffrey Lembet a d’abord bien cru que la série s’arrêterait : « Ce n’étaient pas les mieux classés, mais ça poussait pas mal, surtout en première période. Ce jour-là, sur l’entame, on n’avait pas la même dalle que d’habitude. Je me souviens d’un arrêt où, si je ne le fais pas, je pense que ce n’est pas le même match. Heureusement, on s’est rattrapé en deuxième. »
« J’ai envie de tuer le game »
À force d’enchaîner les succès en championnat tout en restant invincible, le CSSA pose une question sans le vouloir au reste du groupe de National 2 : qui sera le premier à venir planter, voire même renverser le leader ardennais ? Personne ne cherche pour l’instant à y répondre, encore moins dans les rangs sedanais. Les leaders préfèrent insister sur l’engouement qu’engendre ce début de saison canon. « La dernière fois, on a eu 9000 personnes à domicile contre Sainte-Geneviève, déballe Yasser Baldé. Les supporters font des déplacements, ils m’arrêtent dans la rue… Ça montre que c’est un club qui n’a rien à faire en N2. » Geoffray Durbant, meilleur buteur du club avec 13 réalisations, passé par le Red Star et néo-international guadeloupéen, déroule à son tour : « Sedan mérite mieux, Sedan mérite le monde professionnel. C’est comme Le Mans, comme Grenoble… Et dans peu de temps, j’espère que Sedan y sera, et que j’en ferai partie. Cette saison, j’ai envie de tuer le game ! Je ne connais pas le record en CFA, mais si je pouvais le battre… » Un avis forcément partagé par son coach, natif du coin, qui préfère fermer les yeux sur la réussite de son canonnier, ainsi que sur la solidité hors du commun de son arrière-garde pour le moment : « Le CSSA, je l’ai dans la peau. C’est un club que nos grands-parents et nos parents nous ont fait aimer… Cette série aujourd’hui, on ne la regarde pas. (Rires.) Après, on la regarde quand même un peu, car pour une fois, on braque un peu de lumière sur le club de façon positive. Car en National 2, c’est quand même compliqué d’attirer la lumière. »
Une technique de l’autruche qui aurait pourtant pu connaître une première faille, le 19 novembre dernier, après que Geoffrey Lembet a encaissé un but en match officiel avec sa sélection de Centrafrique face à la Mauritanie. « Ça m’a fait bizarre, c’est vrai, reconnaît l’intéressé. Cela faisait longtemps que je n’étais pas allé chercher un ballon au fond de mes filets. Pour être honnête, j’y ai pensé pendant une fraction de seconde sur le coup, au fait que la série s’arrêtait. Après, sélection et championnat, c’est totalement différent. » Un rappel pour le portier qui compte une cinquantaine de matchs en Ligue 2, mais qui peut aussi compter sur des proches qui restent discrets sur le sujet : « Mes amis proches me parlent de ce record, mais sans m’en parler non plus. Je pense que c’est lorsque ça s’arrêtera que ce sera davantage le cas. Je sais qu’en cachette, ma mère regarde quand même le résultat à chaque fois. Je suis sûr qu’elle m’en parlera lorsque ce sera fini, je crois qu’elle ne veut pas trop m’embêter avec ça. » Rendez-vous samedi à Dugaugez, face à la réserve de Reims, pour voir si Sedan et sa harde de sangliers vont enfin réussir à être stoppés.
Par Andrea Chazy et Jérémie Baron
Tous propos recueillis par AC et JB