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Sébastien Thill : « C’était soit au-dessus, soit dans la lucarne »

Propos recueillis par Matthieu Pécot
Sébastien Thill : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>C&rsquo;était soit au-dessus, soit dans la lucarne<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Appelez ça comme vous voulez : un golazo, un bombazo, une Sébastien Thill. Ce mardi soir, sur la pelouse du stade Santiago-Bernabéu, alors que le 1-1 que tenait le Sheriff Tiraspol relevait déjà de la grosse surprise, le milieu de terrain luxembourgeois a décidé de transformer cet exploit en moment de grâce en crucifiant Thibaut Courtois et le Real Madrid d'une sublime frappe du gauche. Entretien avec un héros, un vrai.

89e minute : le club moldave bénéficie d’une touche côté droit, tout près du poteau de corner. Le Brésilien Fernando Costanza (passé par la réserve de Lille en 2018-2019) envoie le ballon vers l’attaquant malien Adama Traoré (ex-mal aimé de Metz et d’Orléans), qui résiste à la charge d’Éder Militão, contrôle de la poitrine et remise en retrait du gauche, comme il peut, dans l’axe. Le ballon rebondit une fois, puis une deuxième, avant de se faire fouetter violemment par l’extérieur du pied gauche de Sébastien Thill. Vaguement sur la trajectoire du ballon, Luka Modrić puis David Alaba voient la fusée leur frôler l’oreille et terminer dans la lucarne droite d’un Thibaut Courtois impuissant. Le héros peut alors laisser éclater sa joie et récolter un carton jaune pour avoir exhibé les tatouages qui décorent le haut de son corps. Quelques heures plus tard, le héros de 27 ans, qui était encore amateur il y a un an, analyse son chef-d’œuvre.


Où en es-tu dans tes émotions ?Là, je suis surtout fatigué. On est rentrés dès hier soir en Moldavie. Jusqu’à la montée dans l’avion, c’était la fête, il y avait encore une ambiance de vestiaire, mais dès qu’on a mis les pieds dans l’avion, dodo pour tout le monde. On a atterri à 6h30 en Moldavie, puis on a fait une heure de bus et je suis enfin rentré chez moi. J’étais dans mon lit ce matin à 8h, j’ai dormi quatre heures.

Tu penses que tu es plus un héros en Moldavie ou au Luxembourg ?Au Luxembourg quand même ! Mon téléphone n’arrête pas de sonner, impossible de lire tous les messages qu’on m’envoie. Alors qu’en Moldavie, à notre arrivée à l’aéroport, il y avait simplement quelques journalistes qui nous attendaient.

Même si j’avais voulu échanger mon maillot, je n’aurais pas pu le faire car dès que le match s’est terminé, je me suis écroulé à cause des crampes.

Tu es le premier Luxembourgeois à marquer en Ligue des champions. Ça représente quoi pour toi ?C’est une énorme fierté, ça va rester pour la vie.

Tu avais dit dans une interview au Quotidien avant le match que tu ne courrais pas pour échanger ton maillot avec un joueur du Real. As-tu tenu ta promesse ?Même si j’avais voulu échanger mon maillot, je n’aurais pas pu le faire car dès que le match s’est terminé, je me suis écroulé à cause des crampes. Et puis courir derrière un joueur pour avoir son maillot, je ne l’ai jamais fait, ce n’est pas mon truc. Si je me retrouve dans le couloir à côté d’un gars, ok, on échange si tu veux, mais faut que ça se fasse naturellement.

Tu as pu échanger avec des Madrilènes après le match ?Non, j’étais vraiment cloué au sol à cause des crampes, impossible de me relever. Mais les mecs du Real étaient sympa, ils avaient un comportement normal, ils n’étaient pas arrogants. J’ai beaucoup parlé avec Modrić pendant le match, on parlait du jeu, des décisions de l’arbitre.

Jusqu’où peut aller le Sheriff dans cette Ligue des champions ?On est dans un groupe difficile, on a déjà pris 6 points, donc c’est très bien, mais il ne faut pas qu’on fasse plus de calcul que ça. Continuons d’être concentrés sur notre jeu. On est une vraie équipe, on défend bien, on est bons en contre et… on sait jouer au foot ! Que ce soit contre le Real ou le Shakhtar, on a marqué des beaux buts sur de vraies actions, des centres… Ce que je veux dire, c’est que quatre buts comme ça en poule de Ligue des champions, ça ne peut pas être de la chance. On a le plus petit budget, on vient de Moldavie, c’était un peu normal que personne n’imagine nous voir gagner un match. On ne l’a pas spécialement pris mal. Ça nous a même fait du bien d’être sous-estimé. Mais ça, c’est fini. Il faut s’attendre à ce que les prochains matchs soient encore plus durs.

Il y a 15 nationalités différentes dans cette équipe. Qu’est-ce qui fait que vous vous entendiez si bien sur le terrain ?On a un groupe très vivant. Ça parle beaucoup, dans toutes les langues, ça rigole. Il y a les Sud-Américains qui aiment parler espagnol entre eux, les Africains, les Européens, ça parle aussi un peu russe, mais les groupes se mélangent assez bien. Et sur le terrain, il n’y a plus qu’un seul groupe.

Le fait d’être Luxembourgeois facilite-t-il ton épanouissement dans ce groupe ? Finalement, tu as grandi au milieu des Français, Belges, Allemands, Portugais, Cap-Verdiens, Italiens, Bosniens…Dans notre équipe, je suis le seul qui parle toutes les langues. Je peux aller faire des blagues en portugais à nos Brésiliens, et quand je dois demander à Adama (Traoré) le ballon, je le fais en français. Comme sur mon but hier…

Parlons de ce but justement.On a une touche très haut sur le terrain, sur la droite. Je vois qu’il n’y a personne aux 16 mètres alors je me place là. Adama m’envoie le ballon, il fait un rebond parfait par rapport à mon positionnement. Là, ça va soit au-dessus, soit dans la lucarne. C’est allé dans la lucarne. Dans ces cas-là, il ne faut pas se poser de question.

Tu ne vas pas dribbler dans tes 16 mètres, mais quand tu te retrouves dans l’autre surface, si tu as une idée, il faut y aller à fond.

D’où te vient ce sang-froid ? C’est la 89e minute, tu es fatigué, c’est le deuxième match de Ligue des champions de ta carrière, au Santiago-Bernabéu…
J’étais plus stressé avant la première journée contre le Shakhtar. Là, sincèrement, je n’ai pas fait attention au contexte. Sur ce genre d’action, il ne faut pas se poser de question. Dans les situations offensives, il faut tenter des choses. Tu ne vas pas dribbler dans tes 16 mètres, mais quand tu te retrouves dans l’autre surface, si tu as une idée, il faut y aller à fond. Ce n’est pas forcément une histoire de talent, plus une question d’habitude. Si à l’entraînement tu ne frappes jamais, c’est sûr que tu ne vas jamais tenter ta chance en match.

Il y a un héritage familial aussi…Notre père avait une grosse frappe (Serge Thill, dont l’un des faits de gloire est d’avoir affronté l’OM de Tapie en Coupe d’Europe, a inscrit 106 buts en D1 luxembourgeoise dans les années 1990, NDLR). Il avait plus de puissance que mes frères et moi, mais nous, on a plus de technique (Olivier et Vincent, 24 et 21 ans, sont coéquipiers en Ukraine au Vorskla Poltava et en sélection du Luxembourg, tandis que Marek, 11 ans, envoie quelques belles pralines avec les U13 de Pétange, NDLR). J’avais déjà mis une grosse frappe la saison dernière en championnat, un but de 50 mètres. Mais disons que quand tu marques contre le Real, ça fait un peu plus de buzz.

Tu n’es pro que depuis un an. À quoi ressemblait ta vie avant ?En début de saison dernière, j’étais encore au Luxembourg avec le Progrès Niederkorn. J’ai même joué la première journée de championnat. Avant de signer à Tambov (Russie) puis à Tiraspol, j’étais encore chez moi, j’avais un travail à côté du foot. J’étais employé à la commune de Differdange. Je m’occupais des terrains. Je tondais la pelouse du stade Jos-Haupert sur lequel je jouais le dimanche. Je faisais ça, je ramassais les branches d’arbre et les feuilles qui tombaient sur le terrain. Cette expérience fait que j’ai un rapport particulier au terrain, je regarde toujours la pelouse de près avant les matchs.

Comment était celle de Bernabéu ?Elle n’avait rien de spécial, j’ai même été un peu déçu. Ils venaient de poser des gros rouleaux de pelouse, je pense que dans un mois, elle sera au top.

À 12 ans, tu as refusé d’aller au centre de formation du FC Metz parce que cela demandait trop de sacrifices et que tu voulais mener une jeunesse normale. Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir pro tant d’années plus tard ?Quand j’étais plus jeune, devenir pro n’a jamais fait partie de mes objectifs. Et puis le temps a passé, j’ai vu mes deux petits frères devenir professionnels, mes copains de la sélection aussi, j’étais tellement content pour eux que ça m’a donné envie de les rejoindre. Je me suis dit que je ne voulais pas finir ma carrière avec des regrets, alors j’ai fait plus d’efforts. Je n’avais jamais vraiment eu d’offre avant celles qui sont arrivées il y a un an. Aujourd’hui, je me dis : pourquoi je n’ai pas eu cette mentalité-là plus tôt ? Si j’avais eu cette attitude il y a dix ans, j’aurais peut-être fait une meilleure carrière. Ou alors j’aurais foiré à l’étranger et je serais rentré au Luxembourg. On ne sait pas, mais je suis obligé de me poser la question.

Avant, je voulais profiter de la vie et pour moi, ça passait forcément par la cigarette et les verres avec les copains. Je mangeais des pizzas à 10h du matin, c’était n’importe quoi.

Une soirée comme celle que tu as vécue à Madrid peut aussi te donner l’impression d’avoir rattrapé le temps perdu…C’est vrai. J’ai vécu un moment fort. Il y avait ma copine dans les tribunes, des copains venus de Rodange. C’était pas mal…

Tu as pleuré ?Je ne pleure jamais, ça va pas !

Comme contre le Shakhtar, tu as été à Madrid le joueur qui a le plus couru (12 kilomètres). Peut-on établir un lien de cause à effet avec le fait que tu aies arrêté de fumer ?C’est l’âge qui me fait grandir ! Avant, j’étais un peu fou, je voulais profiter de la vie et pour moi, ça passait forcément par la cigarette et les verres avec les copains. Au niveau de l’alimentation, c’était un peu n’importe quoi aussi. Je mangeais des pizzas à 10h du matin. Là, j’ai perdu 6 kilos, je me sens bien et je me dis que j’aurais bien le temps de profiter quand ma carrière sera terminée. Après, au fond, je pense que fumer une cigarette de temps en temps, ce n’est pas si grave. Il y a plein de footballeurs qui fument et ça ne sait même pas !

Au Luxembourg, tu ne te cachais pas. Sitôt les matchs terminés, il t’arrivait de te poser sur la main courante avec ton père pour débriefer ton match torse nu avec une bière et une cigarette à la main…(Il rit.) C’est vrai mais ça, c’est mon ancien moi, celui qui prenait les choses un peu plus à la légère.

Les gens ont découvert hier tes nombreux tatouages et se sont focalisés sur celui qui est sur ton mollet…Je l’ai fait il y a deux mois, juste avant notre 3e tour. C’est moi de dos, avec le numéro 31 et le flocage. Il y a une coupe au-dessus de moi – ce n’est pas la Ligue des champions comme j’ai pu le lire, juste une coupe, n’importe laquelle – et le drapeau du Luxembourg. C’est juste un tatouage qui dit que j’ai des rêves dans le football, aussi bien en club qu’en sélection.

C’est quoi le premier tatouage que tu t’es fait ?Trois étoiles, avec mon père, elles n’ont pas de sens particulier. J’avais 14 ans.

Tu portes le numéro 31 en hommage à Bastian Schweinsteiger…(Il coupe) Oui et d’ailleurs, sur mon tibia, il y a un tatouage qui représente un maillot de Schweinsteiger. Ça a toujours été mon joueur préféré, je n’ai pas d’autre idole dans le foot.

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Propos recueillis par Matthieu Pécot

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