- Pays-Bas
- Ajax Amsterdam
Sébastien Haller : « Ma femme me dit d’arrêter de faire la gueule après un match raté »
À 26 ans, Sébastien Haller est de retour dans un championnat qui lui correspond particulièrement bien : l’Eredivisie. Fini la galère à West Ham, place à l’Ajax Amsterdam, aux titres à gogo et à la Ligue des champions. Joli lot de consolation pour celui qui a été récemment privé de Ligue Europa à cause d’une boulette administrative. Quant à l’Euro, ce sera sans l’ex-future meilleure doublure d’Olivier Giroud. L’ancien Bleuet s'est depuis transformé en Éléphant. Et il assure ne pas s’être trompé dans son choix.
Tu viens de récupérer tes enfants à l’école ?Oui, désolé pour le retard ! La saison est terminée, mais j’ai plein de trucs à gérer : pas mal de boulot à la maison d’abord et je vais partir une semaine à Dubaï avec mon kiné pour me préparer avant deux semaines avec la sélection ivoirienne. On doit aussi prévoir les petites vacances en parallèle et il sera déjà l’heure de retourner au boulot. Ça passe vite, il faut tracer un plan très précis pour éviter de perdre du temps.
Dans ta carrière aussi, on a l’impression que tu aimes ça, suivre un plan bien déterminé. C’est ton côté germanique qui parle ?(Rires.) Pour ma femme et moi, le temps est très précieux, donc on essaye de toujours bien caler le maximum de choses pour en faire le maximum possible. Surtout que lorsqu’on joue au foot, il ne faut pas négliger le repos, qui est tout aussi important que les entraînements. Donc l’organisation est primordiale. Et avec les enfants, je n’en parle même pas.
Tu dis que le fait d’être devenu papa t’a changé en tant que footballeur. Dans quel sens ?D’un coup, on se met à tout concevoir en fonction d’eux. On calcule plus les risques, on est moins porté sur sa personne et on veut donner le meilleur de soi. Et logiquement, quand on change l’homme, on change aussi le footballeur. Concrètement, ça passe par faire d’autres choix sur le terrain et prendre plus de recul par rapport au quotidien du foot. Quand on est seul, on ne pense qu’à ça, mais après… La première chose que ma femme m’a dite, c’est d’arrêter de faire la gueule après un mauvais entraînement ou un match raté. Quand on arrive à la maison, la vie continue et on n’est plus seul. Les enfants attendent, il faut s’occuper du bain, de leur repas, jouer avec eux… Forcément, ça change les idées et ça fait prendre beaucoup de recul. Parce que la famille sera là pour toujours, tandis que le foot, c’est temporaire.
Ce côté altruiste, tu l’avais déjà sur le terrain, notamment à Francfort où tu sublimais Jović et Rebić. C’est comme si tu n’avais jamais été égoïste, ce qui est rare pour un attaquant, non ?C’est vrai, on me l’a d’ailleurs beaucoup reproché quand j’étais en jeunes. Offrir une passe décisive ou bosser pour les partenaires, voir que ton pressing ou ton duel a fait avancer le collectif, j’aime bien. Le foot, c’est un sport d’équipe et bosser pour les partenaires, c’est l’essence même d’un sport d’équipe.
Tu as toujours cette vision du foot comme un jeu, comme à l’époque où l’AJA est venue te chercher alors que tu jouais à Brétigny-sur-Orge ?Oui parce que quand on est jeune, on joue juste parce qu’on kiffe ça. Regarder les pros à la télé c’était super, mais je me disais que ça allait être compliqué d’y arriver. Donc ma priorité, c’était de m’amuser, de prendre du plaisir. Mais quand ça m’est tombé dessus, je n’ai pas eu le temps de me poser 20 000 questions. J’avais à peine douze ans quand Auxerre est venu me chercher, un âge bien trop précoce pour savoir ce qu’on veut faire plus tard dans la vie.
Le petit banlieusard qui débarque à la campagne dans un club familial, c’était l’idéal ?Je ne vais pas généraliser, mais moi j’étais indépendant très tôt et je n’ai eu aucune difficulté à m’adapter. J’étais en famille d’accueil, je jouais au foot tous les jours, je voyais mes copains à l’école, que demander de plus ? Et puis ma famille à moi n’était pas loin et venait souvent me voir jouer. Auxerre, c’est tout petit, tout le monde se connaît. Et à mon époque, la ville c’était le club. Même nous, on nous reconnaissait dans la rue ! Même si on était les premiers à dire qu’on s’y faisait parfois chier, qu’il n’y avait rien à y faire, c’était notre famille.
Quand tu pars à l’hiver 2015, après sept ans, c’est à contre-cœur ?Complètement. C’était très frustrant de quitter mon cocon, j’avais envie de réussir à Auxerre, là où j’avais tout vécu et où beaucoup de gens m’ont fait grandir. Sauf qu’à 19-20 ans, d’un coup, je me rends compte que ce n’est pas l’endroit où je vais passer mes prochaines années. Le problème, ce n’était pas d’être barré par untel ou untel, c’est que je sentais que le coach (Jean-Luc Vannuchi, NDLR) ne me portait pas dans son cœur. En tant que jeune joueur, je me suis remis en question, j’ai bossé. Personne ne m’a fait partir. Mais quand on a 20 ans et qu’on ne prend plus de plaisir à l’entraînement, qu’on n’arrive plus à exprimer son potentiel, il faut partir. J’étais un peu déprimé. Il fallait changer quelque chose. Le plus important, ça a toujours été le terrain, ça me faisait chier de ne pas jouer en équipe une, mais je n’avais aucun mal à aller en réserve. Je suis toujours le club de loin, mais je trouve que l’AJA a perdu ce qui faisait sa réputation, son âme. Après, je ne connais presque plus personne qui y travaille encore aujourd’hui.
L’âme du club, ça a longtemps été Guy Roux. Tu l’as déjà rencontré ?Qui n’a jamais rencontré Guy Roux en jouant à l’AJA ? (Rires.) Quand tu joues à Auxerre, tu es obligé de l’avoir vu. Il sort de nulle part, il te donne un conseil et il repart. Moi, il m’avait dit de corriger mon jeu de tête : « Vers le bas la tête, vers le bas tu piques, hop ! » Ça m’a marqué, je m’en souviens encore.
Comment s’est faite la connexion entre un club de D2 française et un autre de D1 néerlandaise ? Ce n’est pas banal, surtout en plein hiver.Alors là… En fait, c’est un timing incroyable. On joue un match à Nîmes et pour une fois, je suis titulaire. Didier Martel (ancien d’Utrecht devenu recruteur pour le club batave, NDLR), qui habite à Nîmes, est venu me superviser parce qu’Utrecht avait besoin d’un attaquant. Je fais un match correct, et à la fin de l’entraînement suivant, son beau-frère vient me voir pour me parler de cette possibilité. Je n’ai d’abord pas donné suite, je trouvais que ce n’était pas le moment d’abdiquer à Auxerre, surtout pour partir dans un pays que je ne connaissais pas. L’Eredivisie, je ne connaissais pas trop, comme tout le monde. J’ai donc attendu un peu et finalement j’ai changé d’avis.
Depuis, tu n’as joué que dans des championnats réputés pour leur niveau physique. C’est ça qui correspond le mieux à ton profil ?C’est bien que vous posiez la question, parce qu’avec le recul, je trouve que c’est une grosse connerie d’assimiler un joueur grand et costaud à tel ou tel championnat. Il faut aller plus en profondeur, il y a des joueurs grands et costauds qui ne gagnent pas un duel de la tête, hein ! C’est dommage d’assimiler tel profil à telles performances, les caractéristiques de jeu sont différentes pour tout le monde.
En manque de temps de jeu à West Ham cet hiver, tu as saisi l’opportunité de revenir aux Pays-Bas quatre ans plus tard, mais à l’Ajax Amsterdam cette fois-ci.J’adore les Pays-Bas, ce pays a été un vrai point de départ pour moi et ma famille. Il y a une symbolique pour nous ici. Quand l’Ajax vient te chercher, c’est difficile de dire non. C’est un club culte avec une culture offensive à part. En plus, je connaissais déjà le championnat, les principes du coach (Erik ten Hag, NDLR), qui bosse de manière ultra-minutieuse, mais aussi une bonne partie du vestiaire, donc c’était bizarre la première fois que je suis arrivé à l’entraînement. (Rires.) Je savais qu’on me ferait confiance et que j’aurais la possibilité de jouer les premiers rôles pour aller chercher des titres.
Ça te plaît ce nouveau statut ? Oui, c’est plaisant d’être un leader. De par mon âge et mon expérience, j’ai un certain statut, et on me le rend bien dans un vestiaire où il y a beaucoup de jeunes, assez respectueux et qui savent écouter. On sent leur volonté de progresser. Mais si je compte parmi les cadres, le vrai boss c’est le capitaine Dušan Tadić. Même moi je m’appuie sur lui !
Six mois plus tard, tu as réalisé le doublé Coupe-championnat, ce qui n’est pas mal. Mais tu n’as pas pu jouer en Ligue Europa, car le club a oublié de t’y inscrire… Il s’est passé quoi ?(Rires.) Même moi, je ne comprends pas encore ce qu’il s’est passé ! Un soir, je suis dans ma chambre d’hôtel, je reçois un message qui dit : « Ne réponds pas aux journalistes concernant l’affaire de la Ligue Europa, on va régler ça, ne dis rien. » Et là, je me dis : mais quelle affaire, de quoi ils parlent ? En fait, je n’étais au courant de rien, et ils essayaient de trouver une solution pour me remettre dans la liste. Parce qu’en fait, c’était juste une succession d’erreurs humaines, quelqu’un avait oublié de cliquer sur le formulaire. Mais finalement, en plus du clic, il y a eu un manque de communication parce que machin était en vacances, truc était parti en week-end et l’autre c’était son anniversaire. Bref un truc improbable, sauf que le règlement, c’est le règlement, et l’UEFA ne fait de fleurs à personne, que tu t’appelles Ajax ou pas.
Tu as retrouvé le coupable ?Le lendemain, quand je retourne au club, je vois la personne à la base de l’erreur qui s’est confondue en excuses, elle était vraiment profondément désolée. Mais ce n’est pas comme s’il avait fait exprès, c’était une erreur, et des erreurs, on en fait tous. Honnêtement, je n’aurais pas aimé être à sa place. Je me sentais limite mal pour lui, je ne voulais pas qu’il ait des problèmes ou se fasse licencier. J’ai donc fait en sorte que cela se passe le mieux possible. Aujourd’hui, c’est oublié. Je préfère voir ce que je peux encore gagner, plutôt que de m’attarder sur ce que j’ai loupé.
C’était comment de regarder les matchs depuis les tribunes ?C’était le plus dur, il y avait un petit pincement au cœur, ça faisait chier. Mais je me suis dit qu’il n’y avait que deux solutions : être énervé et le faire savoir, ce qui aurait amené plein d’ondes négatives autour du club qui avait encore trois trophées à jouer. Ou bien faire profil bas, essayer de soutenir les copains et d’être positif pour aborder la fin de saison sereinement.
Tu as signé à Amsterdam jusqu’en 2025. Le but, c’est de t’y poser ?Je crois que c’est 2025, ouais. On ne regarde pas souvent la date quand on signe le contrat, on signe et c’est tout. (Rires.) Il ne faut pas le dire à ma femme, mais le but ce n’est pas spécialement de me poser, non. Le foot est fait d’opportunités, et la carrière est courte, je ne me fixe pas de barrières spéciales. Bien entendu, je ne vais pas partir dans six mois, ce n’est pas l’idée. Mais on ne sait jamais non plus, ça fait partie du foot. Les Pays-Bas, l’Espagne, la France ou l’Angleterre… Je penserai vraiment à me poser le jour où j’arrêterai le foot, là ce sera vraiment une question de savoir où je finis ma carrière pour m’installer et élever mes enfants.
Tu dis que la carrière est faite d’opportunités à saisir. Justement, la dernière fois qu’on t’avait parlé, tu clamais ton ambition de jouer l’Euro avec les Bleus. Deux ans plus tard, tu es international ivoirien. Les histoires de double nationalité… (Il soupire.) Ça fait des années que ça me préoccupe. J’ai fait beaucoup de sélections en jeunes avec les Bleus, mais à un moment, il faut prendre une décision. Pour cela, il faut analyser ses performances, regarder la concurrence à son poste, se rappeler quel âge on a et ne pas se mentir. En parallèle, le coach des Éléphants m’a contacté et est venu me voir. J’ai pris le temps de réfléchir pour ne pas me tromper. Quand on fait un choix, il doit être assumé.
On te sent très pragmatique sur une question qui a récemment concerné Aymeric Laporte, un gars de 1994, ta génération. Tu as compris sa décision de fermer la porte aux Bleus pour porter les couleurs de l’Espagne ? Déjà pour moi, Aymeric, c’est un Espagnol depuis toujours. (Rires.) Il y a beaucoup plus de choses qui le relient à l’Espagne qu’à la France. Ensuite, beaucoup oublient que les sélections, c’est aussi sportif. Quand un des deux pays fait tout pour t’avoir et te convaincre, tandis que dans l’autre tu gratteras peut-être une ou deux sélections… (Silence.) C’est important de se sentir apprécié pour grandir en tant qu’homme et footballeur. Jouer une compétition internationale, ça fait partie des objectifs de tout joueur, et la carrière est courte. J’ai le bonheur de pouvoir représenter la Côte d’Ivoire, avec des matchs très difficiles à jouer et qui font que, parfois, j’apprécie plus la victoire qu’en club. J’avais envie de vivre ça.
Ta mère est ivoirienne, mais au-delà de cette filiation, quel est ton rapport au pays ?Avant la sélection, je n’y étais allé que deux fois. Ça n’a pas toujours été simple à cause des troubles politiques et de mon emploi du temps de footballeur. Mais aussi parce que je n’ai pas envie d’y aller en tant que vacancier, si je vais en Côte d’Ivoire, c’est pour prendre le temps. Après, j’ai grandi dans cette culture ivoirienne grâce à ma mère et j’ai beaucoup de famille là-bas. Quand j’y suis retourné avec les Éléphants, c’était un plaisir de ressentir les vibes ivoiriennes, ça fait du bien. La vie de groupe aussi, sortir du quotidien du club, c’était génial. Et ça permet de relativiser, tu te sens chanceux quand tu côtoies des joueurs qui n’ont pas la même vie, qui gagnent 600 balles par mois en s’entraînant sur des terrains pourris. Quand j’ai marqué mon premier but lors de ma première sélection contre Madagascar, ça a été quelque chose. J’étais très, très heureux. C’était un grand moment et j’espère que ce n’était que le premier.
Propos recueillis par Julien Duez et Adrien Hémard