Comment jugez-vous la prestation de la Nati lors de la phase de poules ?
Si on prend l’ensemble des trois rencontres, on peut déjà se satisfaire de la qualification. C’était l’objectif, il est rempli. Ce n’était pas facile dans ce groupe piège où la Suisse se trouvait dans une situation inédite et inconfortable de tête de série qui n’en était pas une en réalité. Même si le classement FIFA montrait le contraire, à titre personnel, je savais bien que la France avait une équipe un niveau au-dessus de la Suisse.
Il est apparu après coup qu’elle a disputé une finale pour la deuxième place dès son entrée en jeu face à l’Équateur et ça s’est joué à rien (victoire 2-1, deuxième but de Seferović à la 93e)…
Oui, ça n’a vraiment pas été un match facile, avec une première période très moyenne. La Suisse avait peut-être un peu trop de pression sur les épaules. Heureusement, elle a su réagir en seconde période et a eu la chance de marquer dans les arrêts de jeu, ce qui a gonflé le moral de l’équipe. Derrière, malheureusement, elle réalise un non-match contre la France, une sanction finalement assez logique. Pourquoi ? Car je trouve qu’elle a un peu manqué de respect par rapport à cette France. Elle a été un peu moins humble qu’à l’accoutumée et elle l’a payé. L’équipe a abordé ce match un peu trop en confiance, en jouant haut dès les premières minutes et en voulant imposer son jeu. Résultat, elle a laissé des espaces à un adversaire efficace, qui joue juste. La France a joué comme une vraie équipe, soudée. C’est un exemple. Et quelque part, c’est bien d’avoir pris cette gifle car ça lui a permis de se remettre en question et de réagir lors du dernier match face au Honduras (3-0). On aurait pris seulement un petit 1-0 contre la France, on aurait été frustrés mais on ne se serait peut-être pas aussi bien mobilisés pour assurer ce dernier match. Là, c’était clair, net, précis, il fallait changer dans l’état d’esprit et l’équipe a fait un bon dernier match, solide, même si je trouve qu’elle a encore laissé trop d’opportunités à l’adversaire.
Donc globalement, elle mérite de figurer dans le top 16 ?
Oui. La première place de la France ne se discute pas. Derrière, on pouvait imaginer que ça allait se jouer entre l’Équateur et la Suisse, ça s’est joué à pas grand-chose mais l’essentiel est acquis. Allez, on est quand même contents d’être là !
La déroute face à la France, c’est un accident ou ça reflète le niveau réel de cette équipe ?
(Hésite) Franchement c’est dur de savoir. Collectivement, l’impression laissée par cette équipe est assez mitigée. On avait fait de meilleurs matchs lors des qualifications que dans cette phase de poules (première place de son groupe devant l’Islande, la Slovénie et la Norvège, 10 matchs sans défaite, NDLR). Je trouvais l’équipe plus homogène, plus sereine, plus régulière. Là au Brésil, je la trouve trop intermittente. On ne peut vraiment retenir que la deuxième mi-temps contre l’Équateur et la première contre le Honduras. Contre la France, on peut aussi se satisfaire de la fin de match, elle n’a pas baissé pavillon et a obtenu un 2-2 sur la deuxième mi-temps, ce qui veut dire qu’elle a des ressources morales.
Shaqiri a impressionné son monde avec un triplé lors du dernier match face au Honduras. Est-il un élément indispensable de la sélection, comme l’est Neymar pour le Brésil ou Messi pour l’Argentine ?
Je pense que ce n’est pas autant le cas. Si on se réfère au dernier match, oui, mais il s’est montré relativement discret lors des deux premiers. Après, il est clair que c’est l’individualité qui peut faire la différence dans nos rangs, en tout cas l’un des seuls qui peut se distinguer sur du un-contre-un et se mettre en position de lui-même. Mais je ne le crois pas capable de faire gagner l’équipe à lui tout seul.
Quelle est la clé pour rivaliser avec l’Argentine en 8e ? Va-t-il falloir d’abord s’appliquer à bien défendre en essayant de neutraliser Messi ?
Oui, car on connaît le potentiel de cette équipe, surtout offensif. Si on encaisse un premier but rapidement, ça peut devenir très compliqué. Mais je pense d’abord qu’on va devoir retrouver plus d’humilité, par rapport au visage montré contre la France. Si on prend des risques d’entrée, on risque de le payer cher face à des attaquants qui vont vite, comme on l’a connu déjà avec Benzema. Alors disons qu’il ne faut pas avoir peur mais ne pas arriver trop en confiance non plus. Il faudra ne pas laisser trop d’espace et bien sûr essayer de maîtriser Messi, sans oublier ses partenaires, qui peuvent en profiter : Di María, qui réalise une bonne compétition pour l’instant, Higuaín et Lavezzi, qui attendent leur premier but… Ce qui m’impressionne chez les Argentins, c’est qu’ils basculent très vite d’une phase défensive à une phase offensive, et vice versa. C’est déstabilisant pour l’adversaire, qui a peu de temps pour se mettre en place.
Lors de ce match, la Suisse n’a rien à perdre. N’est-ce pas là une chance ?
Oui complètement, c’est une position qui lui va bien mieux. Ce n’était pas forcément évident ni naturel pour cette équipe d’occuper la place de présumée tête de série de son groupe. Elle a débuté son Mondial crispée mais je le répète, elle a montré qu’elle savait réagir, et ça, c’est très important. Trouver les ressources morales pour arracher la victoire contre l’Équateur, ne pas sombrer contre la France, repartir de l’avant contre le Honduras…
Cette sélection jouit-elle d’un fort soutien populaire en Suisse ?
Oui, même si le peuple suisse, comme partout ailleurs, a tendance à verser dans l’euphorie ou la grande déception sans juste milieu. Il y a donc eu des craintes après le match de la France mais on a vite basculé dans l’engouement depuis qu’on est qualifiés avec en point de mire ce match excitant contre l’Argentine. Il y a une certaine attente car les gens ne sont pas dupes, ils voient une Argentine qui n’est pas si folichonne que ça… J’ai vu le match contre le Nigeria, j’ai trouvé qu’elle avait des failles, donc le peuple se met à croire une victoire possible.
Quelle est la valeur de cette sélection par rapport aux générations précédentes ?
C’est difficile de juger les époques. Par rapport à ma génération, celle de la Coupe du monde 1994, on avait peut-être plus de solutions offensives avec Knup, Chapuisat, Subiat, Grassi, Türkyilmaz, qui n’était même pas sélectionné… On avait une bonne génération, c’est sûr, mais je n’aime pas comparer. L’actuelle est bonne aussi. Certains joueurs arrivent à maturité, d’autres doivent attendre encore un peu : Drnic, Stocker, Xhaka, Mehmedi… Ils manquent encore un peu d’expérience mais ils peuvent faire de belles choses, dans cette Coupe du monde ou la prochaine. J’espère qu’on va enfin pouvoir accrocher un quart de finale en Coupe du monde ! C’est une équipe qui a de l’avenir.
Vous étiez de l’aventure de la Nati aux États-Unis il y a 20 ans. Quel souvenir en gardez-vous ?
C’est inoubliable. J’étais le plus jeune de la sélection, je ne l’avais intégrée que depuis 6 mois. En plus, ça faisait très longtemps que la Suisse ne s’était pas qualifiée pour une phase finale de Coupe du monde (1966, NDLR), donc forcément, ça reste très fort dans les mémoires. En plus, on était tombés dans un groupe vraiment sympa, avec le match d’ouverture contre les États-Unis, un match contre la Roumanie de Hagi, la Colombie de Valderrama et jusqu’à cette défaite en 8e contre l’Espagne (0-3). Pour un joueur comme moi, c’est un épisode extraordinaire dans ma carrière.
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