- Serie A
- J30
- Torino-Juventus
Sebastiano Rossi, record et bourre-pifs
Il y a de fortes probabilités pour que Gigi Buffon établisse aujourd’hui la plus longue série d’invincibilité de l’histoire de la Serie A, effaçant ainsi des tablettes celui qui gardait les cages du grand Milan des 90's.
Avachi devant sa télévision, Sebastiano Rossi scrute les secondes s’égrener inlassablement, la Juve garde le ballon et le Torino peine à pénétrer dans la moitié de terrain adverse. À la 4e minute, Immobile tente un improbable tir de loin, c’est au-dessus. Buffon récupère tranquillement le ballon et effectue son dégagement. Le tableau d’affichage affiche 05:00, c’est fait. Sourire à l’envers au milieu de son visage cabossé aux faux airs de Jean Reno, SuperSeba empoigne son meilleur whisky, s’envoie plusieurs lampées au goulot et balance la bouteille dans le téléviseur. Son record est effacé des tablettes.
Non noté
Cette reconstitution anticipée est un brin exagérée, c’est vrai, mais vu le personnage, pas sûr qu’on soit si loin de la réalité. Si la défense du Milan de Sacchi/Capello était composée de gendres idéaux, son dernier rempart était plutôt un pousse-mégot. Les clichés plus que la légende veulent que quiconque aurait pu occuper ce rôle durant ces années, et en effet, Rossi se voyait souvent attribuer un « senza voto » dans les journaux le lendemain, car non noté au vu de son inactivité. Néanmoins, c’est faire du tort à un portier certes peu académique (la sortie aérienne avec genou en avant était sa spéciale, ndlr), mais capable de rester concentré et de sortir la parade pour stopper l’unique tentative dominicale. Rossi est un fils de Cesena où il remporte un Scudetto U20 sous les ordres d’Arrigo Sacchi, le même qui le fera signer au Milan en 1990. Les saisons se suivent et se ressemblent, un rôle de remplaçant initial avant de vite s’imposer comme titulaire. Tour à tour, Pazzagli, Antonioli, Pagotto, Taibi et Lehmann cèdent à l’impétuosité du bonhomme. Une décennie dans la boîte du Milan sans la moindre sélection en équipe d’Italie, eu égard à une concurrence monstrueuse, de Zenga à Pagliuca, en passant par Marchegiani, Peruzzi, Bucci et Toldo. Son sale caractère n’arrangeant rien, il doit se contenter de deux convocations en 1994.
De Rossi à Super Seba
Pas de quoi non plus émoustiller cette armoire de deux mètres qui continue de dicter sa loi dans ses 18 mètres tout en soignant son palmarès et établissant le record d’invincibilité il y a 22 ans. Déjà, six mois plus tôt, un but de Kolyvanov à Foggia stoppe une première série à 690 minutes. Pour fêter ça, les ultras locaux lancent un fumigène dans sa direction et ne s’imaginent pas que Super Seba leur renverra le cadeau. Un caractère irascible qui l’a rendu antipathique à l’Italie entière et même à pas mal de tifosi milanisti. Mais, à l’hiver 94, Rossi est plus irréprochable que jamais, Villa de Cagliari est le dernier à le transpercer le 19 décembre 1993. Passent ensuite 8 matchs, Reggiana, Lecce, Genoa, Piacenza, Atalanta, Roma, Cremonese, Lazio, sans encaisser le moindre but jusqu’à la réception de Foggia le 27 février. À la 40e, tout le stade se lève pour applaudir son portier arrivé à 910 minutes d’invincibilité, soit une de plus de Zoff, précédent détenteur depuis… 22 ans. 21 minutes plus tard, c’est encore Kolyvanov qui met fin à sa série d’une frappe imparable en pleine lucarne. Aujourd’hui encore, on se demande encore comment le Russe a pu échapper à une bonne correction.
Bastons et gardav’
Christian Bucchi peut en témoigner : coupable de vouloir recueillir un ballon dans les filets après un penalty de son coéquipier Nakata, l’attaquant de Perugia se mange un coude en pleine face. Résultat, 5 matchs de suspension et un passage de témoin pour Abbiati, seul portier à avoir porté le plus de fois le maillot du Milan. Nous sommes en 1999, un an plus tard, Rossi insulte lourdement Zaccheroni et Galliani et est exclu du groupe pendant un bon mois avant d’être réintégré. Retraité en 2002 après une dernière pige à Perugia, il devient brièvement entraîneur des jeunes du gardien du Milan avant de rentrer à Cesena pour assouvir sa passion de la pêche et y remplir un casier judiciaire désormais aussi bondé que son palmarès. Plainte pour violence privée envers les employées de son bar, coups et blessures à l’encontre d’un policier en civil qui tentait de le raisonner, alors que, bourré comme un coing, il s’en était pris à une serveuse qui lui ordonnait d’éteindre son cigare, et mis en examen dans un trafic de cocaïne dans son Émilie-Romagne. Désormais, Rossi partage son temps entre les cellules de dégrisement et sa barque à rames où il pose sa carcasse pour jouer de l’hameçon. À moins qu’il ne pèche les carpes à coups de bourre-pifs.
Par Valentin Pauluzzi