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Sebastian Rotella : « J’habitais à côté de la planque de Maradona »

Propos recueillis par Ronan Boscher
Sebastian Rotella : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J&rsquo;habitais à côté de la planque de Maradona<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Finaliste du Pullitzer en 2006 et grand reporter américain, spécialistes des mafias et du crime organisé, Sebastian Rotella s'est arrêté à Paris, à l'occasion de la sortie de son deuxième roman Le chant du converti, pour nous causer Maradona, foot à Chicago et bonne sauce italienne.

Elle vient d’où cette passion du foot pour vous ?

Je suis un fils d’immigrés, italien par mon père et espagnol par ma mère. C’est presque génétique, non ? J’ai grandi à Chicago, je jouais au base-ball pour faire mon intégration « à l’américaine » , mais je jouais surtout beaucoup au foot. On avait un rituel autour de mon anniversaire. Mon père commençait à faire une sauce, qu’on appelait la « sauce 24 heures » , le samedi. Toute la nuit, elle était là, la sauce, dans la cuisine, à mijoter. Quand je descendais à 3 heures du matin, ça dégageait un arôme… Et le dimanche, on faisait une grande partie de foot dans le parc, par catégories d’âge, avec la famille.

Jamais de foot en club alors ? Une bonne sauce, un dimanche et c’est tout ?

Plus tard, vers mes 13-14 ans avec l’équipe du collège déjà et aussi avec l’équipe du quartier de Hyde Park, à Chicago. On était un mélange de juifs, d’Afro-Américains, fils de profs, d’immigrés. On était plus une équipe de milieux intello-bourgeois et on jouait contre tous les autres quartiers de Chicago. Pour nous, c’était un peu comme explorer le monde. Parce qu’on jouait contre un club d’Italiens, d’Africains, de Lituaniens, bien plus structurés que nous. Ils avaient tous leur club-house par exemple. Nous, on le prenait plus comme un amusement. Eux, c’était une raison de vivre. Mais vous savez, presque tous les Américains que j’ai connus ont joué au soccer quand ils étaient petits.

Les États-Unis s’intéressaient déjà au foot alors ?

Quand j’étais correspondant à Buenos Aires ou en Espagne, on disait que le seul pays où Maradona pouvait marcher tranquillement dans la rue, c’était aux États-Unis. Et c’était vrai. En même temps, tous les lieux que j’ai connus aux États-Unis, principalement les centres urbains, il y avait la passion pour le foot, surtout pour une question d’immigration, avec les Italiens, les Européens de l’Est et aujourd’hui les Mexicains. Je me souviens petit être allé voir un match de foot dans le stade de base-ball à Chicago, et c’était plein. Tout le monde venait au match. Même notre barbier italien. On jouait au foot, même les filles, mais on ne suivait pas vraiment le foot, comme vous en Europe. On n’avait pas le côté « industriel » de vos championnats.

C’est comme demander de choisir entre son père et sa mère, mais vous vous sentez plus proche du foot italien ou espagnol ?

Plus petit, j’étais dans une chambre d’hôtel en Sicile, avec mes frères. Il y avait un match entre l’Italie et une équipe africaine. Leur gardien de but avait évidemment beaucoup de boulot contre l’Italie. Ça le rendait hyper spectaculaire. Comme on côtoyait souvent des Afro-Américains à Chicago, on commençait à les supporter. « Mais ce sont qui ces 3 garçons-là qui sont contre l’Italie ? » Je sais aussi que je ne suis pas autant le championnat italien que l’espagnol, le meilleur du monde ou presque. Je ne m’y retrouvais pas dans le catenaccio à l’époque. Mais je me souviens très bien en 1982, quand l’Italie gagne la Coupe du monde, alors que je suis avec mon père et la famille à Chicago, être aussi enthousiaste que les autres de ma famille. En fait, esthétiquement, je trouve le foot espagnol plus joli. En anglais, je dirais qu’il a un bon « flow » .

Vous aviez l’occasion dans votre jeunesse de voir des matchs en Europe ?

J’ai passé mon année 1983 à Barcelone, comme étudiant, dans la famille de ma mère. Mon oncle, socio du Barça, m’avait emmené voir le Barcelone de Maradona et Schuster. Plus généralement, tous les étés, on rejoignait nos familles en Italie ou en Espagne. Je ne me souviens pas d’être allé voir des matchs, mais je me souviens parfaitement des rues désertes quand il y avait un match. Pas de bruit et d’un coup… Je ne comprenais pas. On n’avait pas ça aux États-Unis.
Tim Howard a été élu secrétaire d’État à la Défense sur Internet

C’est votre idole Maradona ?

Non, je ne dirais pas ça. Il est surtout le premier grand joueur que j’ai vu de mes yeux. Il était déjà charismatique, plein de générosité, jouait et courait avec joie. Même un mec qui ne connaissait rien au foot pouvait dire : « Lui, c’est un grand sportif » . Le voir slalomer entre 5 types et arriver au but, c’était comme voir un génie du saxophone ou un Michael Jordan. Des moments très forts. Et la vie m’a ensuite envoyé en Argentine comme correspondant, un peu plus de 10 ans après.

Ce n’était pas le même Maradona…

Non. Il était sur sa fin de carrière déjà, avec des comebacks et des histoires de drogue. Pas le même qu’à Barcelone. J’ai écrit quelques reportages sur lui, notamment quand il se planquait avec son agent Guillermo Coppola pour échapper à la justice. C’était quelque chose de très mystérieux et, en même temps, on le voyait avec des femmes en boîtes de nuit. Je trouve son histoire un peu triste parce qu’il est devenu amer. Cette jeunesse, la chose idéaliste qu’il représentait s’est totalement perdue. Mais le plus intéressant dans tout ça, c’est la manipulation politique autour du cas Maradona.

Un exemple ?

Quand Guillermo Coppola, l’ancien agent de Maradona, passe devant les tribunaux pour une affaire de trafic de drogues, il se dit que c’était pour faire distraction. Je me rappelle que les juges et les policiers ayant traité cette affaire se sont finalement retrouvés derrière les barreaux. Ils avaient monté un « coup » , en gros. Tout le monde était corrompu là-dedans. Et si ça se trouve, Coppola était même mouillé. Maradona, c’était une grosse partie de l’actualité nationale et internationale parfois. Regarde. Plus récemment, je suis envoyé pour le Los Angeles Times en Irak. 3 semaines. On était avec des gardes du corps, interprètes, chauffeurs irakiens, tous passionnés de foot. Impressionnant. Pour mon premier jour, je vais sur les lieux d’un « petit » attentat à la voiture piégée. T’as un groupe d’Irakiens en train de fêter les corps des soldats américains. On me fait comprendre dans la voiture qu’il ne faut pas que je dise que je suis américain. On décide finalement que je suis argentin. Les traducteurs s’avancent vers ce groupe pour me présenter : « C’est un journaliste argentin avec du sang arabe » avec 2-3 « Maradona » dedans. Ça a relaxé tout le monde. En face, la scène était quand même terrible : quelques gamins brandissaient les intestins de soldats comme des trophées, en disant « On va tuer tous les Américains » …

Vous avez beaucoup enquêté et écrit sur le crime organisé et les mafias. Y a-t-il vraiment suffisamment d’argent à se faire dans le foot pour eux ?

Il semblerait que oui. C’est simple : ils veulent être dans les endroits d’argent et de pouvoir, même un peu. J’en ai vus beaucoup au Brésil par exemple. En Argentine, la mafia s’est immiscée dans certains groupes de supporters. On en retrouve certains à aider des hommes politiques pendant une campagne. Pour remplir des salles, le service d’ordre, mettre la pression, faire « un peu de tout » . D’après mes observations, quand il y a corruption dans un pays, ça touche souvent aussi le foot, dans les pays à grosse culture foot. Les gangsters s’y intéressent forcément. Dans un autre ordre d’idées, les narcos et la musique au Mexique, ça se touche par exemple. Il y a aussi eu les scandales des paris sur les matchs en Italie, mais c’est quand même différent. Parce que ce n’est pas étonnant non plus que ça se soit découvert. La justice et la police italiennes fonctionnent plutôt bien sur ces sujets-là.

Vous avez connu pas mal d’endroits et maintenant vous habitez de nouveau aux États-Unis. Le foot est-il réellement en train de prendre chez vous ?

Pendant le Mondial brésilien, j’ai vu pour la première fois aux États-Unis ce que j’avais vu en Europe ou en Amérique latine les jours de matchs : les gens disparaissent du boulot, portent des maillots, l’impression de rues désertes. Même si elle a parfois été médiocre, il y a eu des bons moments avec les USA. Et Tim Howard… Pour ceux qui ne connaissaient pas vraiment le foot avant le Mondial, c’est lui qui est ressorti. Il a été nommé, sur Internet, secrétaire d’État à la Défense. En même temps, il faisait ce qu’il fallait. Quand tu sors une vingtaine d’arrêts par match, c’est forcément spectaculaire. Et on aime bien ça aux États-Unis. Et puis des jeunes de la communauté afro-américaine des classes populaires ont percé. Avant, ça ne concernait que les classes moyennes ou hautes. La banlieue populaire, majoritairement afro-américaine, ne s’intéressait pas trop au foot, vu parfois comme du golf ou du tennis. Mais là, c’est en train de devenir plus « mainstream » . Le foot aux États-Unis, c’est en train d’arriver, en ce moment. Et les Américains ont encore un avantage : ils ne sont pas contraints à l’exil s’ils ne gagnent pas la Coupe du monde. S’ils jouent mal, ce n’est pas une tragédie nationale. Ils n’ont pas encore toute cette pression que vous pouvez connaître, vous. Et à chaque fois, je trouve qu’on joue mieux que le match précédent.

Propos recueillis par Ronan Boscher

À lire : Le Chant du Converti, éditions Liani Levi

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