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Sea, sex and Son
Son Heung-min devait mettre sa carrière entre parenthèses pendant un an et neuf mois, le temps de faire son service militaire obligatoire. Mais ça, c’était avant d’offrir la médaille d’or à la Corée du Sud aux Jeux asiatiques. Explications.
Samedi soir, à Cibinong, dans la banlieue sud de Jakarta, la capitale de l’Indonésie, Son Heung-min a beaucoup pleuré. Comme après le match de Coupe du monde entre la Corée du Sud et le Mexique. Le 23 juin dernier, l’attaquant international sud-coréen n’avait pas pu empêcher la défaite des siens malgré une superbe frappe du gauche qui avait réduit l’écart en fin de rencontre. En rentrant au vestiaire de la Rostov Arena, ce jour-là, il a craqué et essuyé ses larmes dans les bras de Moon Jae-in, le président de la République de Corée. Comme pour s’excuser de l’élimination quasiment inévitable de la Coupe du monde après seulement deux matchs de poules (finalement, la Corée du Sud s’est offert le scalp de l’Allemagne dans le troisième match, mais la victoire de la Suède dans le même temps a ruiné ses espoirs de qualification pour les huitièmes). Un peu plus de deux mois plus tard, ce sont des larmes de joie et de soulagement qui ont coulé sur ses joues.
En battant en finale le Japon (2-1), la Corée du Sud vient de remporter la médaille d’or en football de la 18e édition des Jeux asiatiques – au bout d’un tournoi mettant aux prises les meilleures sélections espoirs du continent renforcées par trois « jokers » sur le modèle des Jeux olympiques (17 joueurs sur 20 de chaque équipe devaient être nés après 1994). Plus qu’une ligne au palmarès, pour Son Heung-min, ce titre, c’est un passeport pour poursuivre sa carrière en Europe. Comme ses coéquipiers, la star des Guerriers Taeguk a gagné le droit d’être exempté du service militaire obligatoire d’une durée de 21 mois. En Corée du Sud, un pays en guerre avec la Corée du Nord au moins encore quelques mois (1), même les sportifs de haut niveau sont tenus – comme chaque citoyen valide – de faire leur devoir patriotique avant leur 28e anniversaire. Et autant dire qu’après avoir soufflé ses 26 bougies au mois de juillet, Son n’est pas passé loin de troquer le ballon contre un fusil Daewoo K11 pendant un an et neuf mois.
Le précédent Park Chu-young
En mars 2012, Park Chu-young, lui, avait bien réussi à reporter son service militaire afin de poursuivre sa carrière à Arsenal. Comment ? Grâce à une faille pointée par ses avocats dans le fait qu’il avait obtenu un visa monégasque longue durée après son passage à l’ASM. Mais ce petit manège n’a pas été vu d’un bon œil en Corée du Sud. Sa cote de popularité a chuté au point que le joueur a dû organiser une conférence de presse afin de présenter ses excuses et expliquer qu’il avait bien l’intention d’accomplir son devoir patriotique à l’issue de sa carrière. Son Heung-min savait qu’il n’avait pas intérêt à prendre ce chemin-là.
Au sud de la péninsule coréenne, il existe deux moyens pour un footballeur d’esquiver les 21 mois de service militaire : ramener une médaille olympique quel que soit le métal ou remporter les Jeux asiatiques. Selon le journaliste Hyung-wook Seo, qui commente les matchs de la sélection pour MBC TV avec passion, même une victoire des Guerriers Taeguk à la Coupe du monde n’y aurait rien changé ! En 2012, Son Heung-min était trop jeune pour figurer dans la sélection olympique qui a ramené le bronze des JO de Londres. En 2014, son club, le Bayer Leverkusen, ne l’avait pas autorisé à participer aux Jeux asiatiques, et la Corée du Sud avait remporté le tournoi sans lui. En récompense, les joueurs vainqueurs avaient vu leur service militaire de 21 mois réduit à seulement quatre semaines d’entraînement. Dès lors, l’actuel meilleur joueur sud-coréen savait ce qui lui restait à faire cet été en Indonésie après avoir échoué en quarts aux JO 2016…
Héros national
Au bout d’un tournoi marqué par une défaite de sa sélection au deuxième tour (1-2 contre la Malaisie) et un quart de finale qui s’est décanté grâce à un penalty au terme de la prolongation (4-3 contre l’Ouzbékistan), Son a porté son équipe en délivrant deux passes décisives en finale. Il tient là la victoire la plus importante de sa carrière. De quoi confirmer aussi, en Corée du Sud, son statut d’héritier de Cha Bum-geun (qui a sévi dans les années 1970-1980). Comme son aîné, l’ailier aussi à l’aise du pied droit que du gauche a rejoint l’Europe en atterrissant en Allemagne. Arrivé à Hambourg à 16 ans, il a brillé au Bayer Leverkusen avant de rejoindre Tottenham, où il s’est rendu indispensable depuis 2015. Aujourd’hui, les fans des Spurs peuvent souffler, leur protégé va bientôt revenir à Tottenham avec un poids en moins sur les épaules. Après avoir enduré une telle pression, pas étonnant que Son ait craqué au coup de sifflet final face au Japon. Il a gagné le droit de continuer à faire honneur à son pays, sur d’autres champs de bataille.
GRACIAS FÚTBOL. pic.twitter.com/fRBY1sLo45
— U M T I T I S M O (@_Umtitismo_FCB_) 1 septembre 2018
Par Florian Lefèvre
(1) Le 27 avril dernier, à l’issue d'une rencontre historique entre les dirigeants des deux Corées, une déclaration commune a enclenché un processus de paix et pourrait, selon le texte, déboucher dans les prochains mois sur « la fin de la guerre » et « un régime de paix permanent et solide ».