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Schelotto : « Le football argentin manque d’idées »
Après avoir été pendant des années l'idole de Boca Juniors, Guillermo Barros Schelotto est aujourd'hui l'entraîneur des Xeneize. Ce qui ne l'empêche pas de critiquer le football argentin et d'évoquer notamment sa rencontre avec Obama. Oui, Obama.
Tu as été l’une des idoles de Boca Juniors. Qu’est-ce que ça te fait d’en être désormais l’entraîneur ? Je sais que certains pensent que le fait d’entraîner un club dans lequel on a joué n’est pas vraiment l’idéal, mais je pense que les gens vont savoir faire la part entre le joueur que j’ai été et l’entraîneur que je suis aujourd’hui. Mon passé de joueur n’est pas un bouclier : comme n’importe quel entraîneur, j’ai des obligations de résultat.
Il est possible d’avoir un projet de jeu dans le football argentin actuel ?C’est difficile. Ici, on ne laisse pas de temps aux idées s’il n’y a pas de résultats immédiats. Dans ce pays, on n’a pas confiance, on ne croit pas, on n’appuie pas les projets de jeu comme il faudrait, mais ce sont les règles du football argentin… À l’étranger, c’est différent. Aux États-Unis et en Europe, j’ai l’impression qu’on ne peut rien construire si on n’a pas une idée prédéfinie. Le projet de jeu, c’est la base. Nous, on fonctionne différemment… Il faut savoir faire avec, malheureusement on est soumis à ça.
Comment évaluez-vous la santé du football argentin ? Il est moins bien qu’il y a dix ans. Structurellement, c’est très désorganisé, et paradoxalement, il y a des exigences qui sont supérieures à ce qu’elles devraient être en réalité. Ici, si tu ne gagnes pas, on considère que tu es un désastre, mais si tu gagnes, tout est merveilleux. Ça ne marche pas comme ça. Il y a un juste milieu à trouver.
Comment faites-vous alors pour essayer de mettre en place une idée de jeu dans ce contexte ?
Je pense qu’il faut garder la tête froide et avertir les dirigeants et les supporters de ce qu’on veut réellement. Et pas seulement à court terme, mais à moyen et long terme. Regardez la sélection argentine, elle est composée de très bons joueurs, mais elle est complètement désorganisée. Elle est à l’image de ce qui se passe dans le football argentin. Cette désorganisation qui est la nôtre, on la paye tous. L’Albiceleste est en train de se battre pour accrocher la dernière place qualificative pour le Mondial. C’est fou, mais ce qui le serait encore plus ce serait de se faire éliminer avec toutes les stars qu’on a. Tout peut arriver, ce serait insensé, mais c’est quelque chose qui ne me surprendrait pas au vu de notre totale désorganisation.
Il y a un remède selon vous ? Le football argentin n’est pas en train de se vider de son sang, pas encore, mais il faut qu’on réagisse. Déjà, il faut qu’on s’organise mieux, c’est fondamental. Il faut aussi qu’on comprenne que cette recherche de résultats immédiats est pernicieuse. Quand on aura assimilé ça, la sélection et les clubs du championnat proposeront peut-être autre chose. Pour l’heure, il est très rare de voir des bons matchs. Il y a trop de frictions, tout se résume à des duels pleins de tension. Selon moi, on doit et on est capable de faire mieux que ça.
L’entraîneur argentin est de nouveau à la mode. Certains comme Bielsa, Sampaoli, Pochettino et Simeone sont même des références mondiales. Que vous inspire ce retour en grâce ? Ce que j’apprécie, c’est que chacun propose une idée de jeu très différente. On peut aimer ou non ce qu’ils font, mais on sent en voyant leurs équipes jouer qu’il y a eu de la réflexion derrière, une idée. C’est justement ce qu’il manque au football argentin : des idées.
Vous, en avez-vous ? Moi, mon idée, c’est d’attaquer. Je crois au football offensif. Je sais que parfois on a tendance à se découvrir, mais ça fait partie du jeu. L’important, finalement, c’est de mettre un but de plus que l’adversaire.
C’est difficile d’être l’entraîneur de Tévez, qui, en plus d’avoir été votre coéquipier, est un peu l’idole actuelle de Boca, comme vous pouviez l’être à l’époque ? Bien sûr que c’est compliqué, mais Tévez et Gago m’ont rendu les choses faciles. Ça nous permet de maintenir la même relation que lorsque j’étais encore joueur.
Vous n’avez pas peur d’égratigner votre image en étant le coach de Boca ? Je suis conscient que ça peut arriver, mais ça fait partie de la profession. En Argentine, le prestige est fluctuant. Si ça se passe mal, tu n’en as plus, mais si tu gagnes, les gens te glorifient. Là encore, il faut qu’on arrive à un certain équilibre.
Vous avez d’abord entraîné Lanus avant de débarquer sur le banc de la Bombonera. La différence entre ces deux clubs est très grande ? Ce sont deux choses distinctes. Construire une belle équipe avec Lanus, c’était très bien. En faire de même avec Boca, c’est aussi très attractif. Moi, tout ce que je veux, c’est jouer bien. Ça m’obsède plus que de regarder des vidéos de nos adversaires par exemple.
Votre grande référence, c’est Carlos Bianchi. Vous en avez d’autres ? J’essaye de prendre le meilleur de ceux qui m’ont marqué lorsque j’étais joueur. J’ai eu la chance d’être entraîné par Bianchi, mais j’ai aussi beaucoup appris avec Griguol à Gimnasia y Esgrima et Bielsa en sélection.
Lorsque vous étiez joueur, vous n’avez pas eu autant de sélections que vous l’auriez mérité. C’est un regret ? Ce que je regrette par-dessus tout c’est de ne jamais avoir disputé une phase finale de Coupe du monde. Je me console en me disant qu’à l’époque, à mon poste, il y avait des joueurs comme Ortega, Piojo López, Gustavo López, Caniggia. Que des grands.
Vous n’avez jamais tenté l’expérience européenne. Pourquoi ?J’ai reçu beaucoup d’offres de clubs qui n’étaient pas aussi grands que Boca. Si ça avait été le cas, peut-être que j’aurais réfléchi, mais j’aimais trop ce club pour devenir fou à la première proposition venue.
Pour votre seule expérience à l’étranger, vous aviez opté pour le Columbus Crew, une équipe américaine. Comment c’était ?La qualité de vie était géniale. Ça n’a rien à voir avec la manière dont on vit en Argentine. Au-delà de ça, j’ai aussi apprécié leur façon de consommer le football. Les Américains voient ça simplement comme un sport. Il n’y a pas cette exigence permanente qu’on retrouve partout ailleurs.
Lorsque vous aviez gagné le championnat, Obama vous avait reçu. Il avait même eu un mot pour vous dans l’un de ses discours. Quel souvenir vous gardez de lui ?
Les Américains sont habitués à ce que leur président reçoive les équipes championnes. Pour moi, c’était quelque chose de nouveau. Le simple fait d’aller à la Maison blanche, c’était juste impressionnant. Avant de m’y rendre, j’avais même lu des bouquins sur le bureau ovale. Mais ce que je retiens, c’est évidemment ma rencontre avec Obama. Avoir partagé une heure avec ce type, c’est très fort. Mes coéquipiers américains étaient vraiment émus de lui parler. Moi, je ne suis pas américain, mais ce que je peux te dire, c’est que Barack était très sympathique. C’en était presque déroutant.
Propos recueillis par Aquiles Furlone