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Scaloni, l’autre roi Lionel d’Argentine

Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires et Pujato
11 minutes
Scaloni, l’autre roi Lionel d’Argentine

Largement critiqué à son arrivée à la tête de la sélection en 2018, l’ancien capitaine du Deportivo La Corogne a fermé quelques bouches en remportant la Copa América en juillet dernier, le premier trophée argentin depuis 28 ans. Il ne devait être qu’un intérimaire après avoir été dans le staff de Jorge Sampaoli en Russie. À 43 ans, Lionel Scaloni est désormais un héros national. Pour avoir enfin fait gagner Messi en l’entourant d’une nouvelle génération. Pour autoriser tout un peuple à rêver avant le Mondial au Qatar. En toute humilité.

La soirée avait tout pour être historique. Ce jeudi 9 septembre 2021, les supporters argentins retournaient enfin en tribunes après plus d’un an et demi d’attente. Malgré la pluie et le virus toujours dans les parages, plus de 20 000 personnes, soit 30% de la capacité de l’Estadio Monumental, assistent aux retrouvailles tant espérées avec leur sélection. Une équipe qui, deux mois auparavant, enflammait le pays en remportant la Copa América face au Brésil au Maracanã (0-1) mettant fin à près de trois décennies sans le moindre trophée. Pour fêter ça sur la pelouse de River Plate, Lionel Messi, enfin sacré avec l’Albiceleste, a la bonne idée de claquer un triplé et des larmes de joie. Un combo parfait pour définitivement entrer dans le cœur de ses concitoyens.

Je crois qu’il faut remonter à l’époque Bielsa pour trouver trace d’un tel soutien.

Un autre Lionel reçoit une ovation remarquée ce soir-là. C’était pendant l’échauffement des joueurs avant d’affronter la Bolivie. Le nom scandé depuis les tribunes clairsemées fait même s’interrompre les commentateurs surpris par l’hommage. « Scaloooooooni ! Scaloooooooni ! », hurle le Monumental. Qu’un sélectionneur argentin soit ainsi célébré par son public a tout d’un évènement. Journaliste sportif au dominical Tiempo Argentino, Roberto Parrottino tente de se souvenir d’un précédent : « Pour Sampaoli, il est clair que son nom n’a jamais été chanté. Bauza et Martino non plus. Sabella a été très aimé après son passage avec la sélection, mais pas forcément pendant. Maradona était encouragé dans les stades parce qu’il était Maradona, pas pour son rôle de coach. Je crois qu’il faut remonter à l’époque Bielsa pour trouver trace d’un tel soutien. » C’était pourtant loin d’être gagné. Limite perdu d’avance.

Joueur de l’ombre

Lorsqu’il arrive à la tête de la sélection au sortir d’un Mondial russe traumatisant, Lionel Scaloni n’a pas franchement la gueule de l’homme de la situation. L’Argentine le connaît surtout comme joueur. Un latéral droit polyvalent issu de la génération de Riquelme, Aimar ou Cambiasso sacrée en 1991 au Mondial U20 en Malaisie. « C’était un gars très intelligent sur le terrain et toujours à l’écoute. Il posait en permanence des questions sur son poste. Il avait cette volonté d’apprendre et de comprendre exactement ce que voulait le coach », se souvient Hugo Tocalli, adjoint de cette sélection mythique dirigée par José Pékerman. Aux commandes des A de 2004 à 2006, les deux hommes permettront à Scaloni, sept fois international, de connaître sa seule Coupe du monde en Allemagne aux côtés d’un Messi encore imberbe.

Ce sera le climax d’une carrière débutée à Newell’s Old Boys, poursuivie à Estudiantes La Plata avant de filer vers l’Europe à vingt ans. Si la Lazio ou Majorque se souviennent encore de lui, c’est surtout en Galice que le joueur s’est fait un nom. Scaloni fait partie de ce Deportivo La Corogne époque Makaay, Fran et Djalminha qui secoue l’Espagne au début du millénaire. Une équipe capable d’en prendre huit au stade Louis-II, d’éliminer la Juventus et l’AC Milan avant de se casser les dents sur le Porto de Mourinho en demi-finales d’une Ligue des champions 2003-2004 complètement tarée. Surnommé « El Caballo » par ses potes du Depor pour sa façon de mettre des têtes comme un cheval, Scaloni finira sa cavalcade footballistique à l’Atalanta en 2015.

Un « traître » qui devrait plutôt coacher « un Mondial de moto »

Installé aux îles Baléares avec sa femme et ses deux enfants, l’ancienne idole de Riazor s’emmerde très vite sur son canapé. « J’ai senti un vide que je ne savais pas comment combler, expliquait-il récemment sur ESPN, et puis j’ai commencé à entraîner des gamins de 14 ans au club de Son Caliu à cinq minutes de chez moi. Ça a été une expérience incroyable. » Définitivement ambiancé par le métier de coach, Scaloni poursuit ses cours à la fédération espagnole aux côtés de types comme Redondo, Saviola et Leo Franco. En janvier 2018, il obtient sa licence UEFA Pro, le plus prestigieux diplôme d’entraîneur. À ce moment-là, l’ancien latéral droit a déjà retrouvé les vestiaires professionnels depuis quelque temps. Jorge Sampaoli lui a offert sa première expérience dans un staff au FC Séville. Son job ? Analyser les adversaires. Séduit, le bouillant chauve l’embarque avec lui dans sa périlleuse aventure avec la sélection argentine. Pour sa proximité avec les joueurs, Scaloni sera le seul membre de l’équipe technique qui gardera le respect du vestiaire après son implosion au Mondial russe. Alors que tout le staff sampaolien sort pas la petite porte à la suite du désastre, l’ex-Galicien, lui, choisit de rester. Il demande à la Fédération argentine (AFA) s’il n’y a pas un poste pour lui. Une attitude qui passe mal dans le petit monde du football. C’est une histoire de codes, paraît-il. « Dans tous les clubs où j’ai été avec Jorge, on m’a toujours demandé de rester après son départ, expliquait il y a deux ans Sebastián Becaccece, l’ancien adjoint de Sampaoli. Je considère que quand quelqu’un te fait venir quelque part, si cette personne décide de partir, c’est point final. » Pas pour Scaloni.

Après cet épisode, il n’échangera plus jamais avec l’actuel coach de l’OM. L’ex-international prend les rênes des U20 avec Pablo Aimar et gagne dans la foulée le prestigieux Tournoi international de l’Alcudia en Espagne. En galère pour trouver un mec suffisamment fou pour prendre la barre des A en pleine tempête, le président de l’AFA, Claudio Tapia, demande un petit coup de main à un Scaloni redevable. Juste un petit intérim de six matchs. Le temps de trouver le sélectionneur idéal. « On va essayer d’intégrer le plus de joueurs possibles pour que le prochain entraîneur puisse avoir le choix », expliquait l’ancien du Depor en août 2018, presque certain qu’il ne s’agirait sûrement que d’une pige.

Hommage à Joachim Löw.

Six matchs plus tard et sans être particulièrement convaincant, Scaloni est toujours là, conforté à son poste jusqu’à la Copa América 2019. Ce choix d’un jeune coach qui n’avait jamais entraîné pour s’occuper de la plus haute fonction du football argentin fait grincer quelques dents et suscite des jalousies au pays. Quelques confrères pas très corpo n’hésitent pas à égratigner celui qui serait arrivé là comme « un traître ». Trolleur de l’Albiceleste jusqu’à sa disparition, Diego Maradona tire même à balles réelles depuis le Mexique où il entraîne alors ses Dorados de Sinaloa : « Vous imaginez si demain Scaloni se réveille et dit qu’il veut aller à la Coupe du monde ? Non Scaloni, non. Toi, tu peux aller au Mondial de moto. Pas de football ! »

Lors d’une conférence de presse, un journaliste osera même interroger le sélectionneur sur la validité réelle de ses diplômes. Constamment provoqué, le coach garde son calme. Même quand des médias se foutent littéralement de sa gueule après un accident de vélo aux Baléares. « Il y a eu un vrai manque de respect de la part de certains confrères, se rappelle Roberto Parrottino de Tiempo Argentino. Certains hinchas ont commencé à le soutenir en opposition à tout ça. D’autant plus que l’équipe, malgré des hauts et des bas, a commencé à s’améliorer et à avoir une identité. »

Tous à bord de la « Scaloneta »

L’évènement fondateur restera certainement cette Copa América perdue il y a deux ans contre le Brésil en demi-finales (2-0). En reconstruction, l’Albiceleste tient tête aux Auriverdes à Belo Horizonte. Le bail de Lionel Scaloni est prolongé jusqu’au Qatar. Quelque chose est en train de naître. Un groupe qui prendra sa revanche au Maracanã en juillet dernier. La grande réussite du sélectionneur ? Avoir effectué ce changement générationnel tant espéré. En trois ans de mandat, le coach argentin a convoqué 78 joueurs ; 36 ont débuté avec lui. De nouveaux cadres ont émergé : le gardien de but Emiliano Martínez, le défenseur central Cristian Romero, le milieu de terrain Rodrigo de Paul ou l’attaquant Lautaro Martínez.

Il y a un fort sentiment d’appartenance dans cette sélection. Ils sentent et respectent le maillot. C’est le succès de Lionel.

Même si le jeu n’est pas encore flamboyant, les résultats suivent. L’Albiceleste vient d’enchaîner 23 matchs sans défaite. Seul Alfio Basile a fait mieux à la tête de la sélection (31 rencontres sans déroute entre 1991 et 1993, NDLR). La qualification au Mondial semble déjà acquise. Sans embûches. « Il a réussi à former une équipe, remarque Hugo Tocalli, l’ancien bras droit de Pékerman. Scaloni a un grand pouvoir pour convaincre les gens. Un par un, il a réussi à faire en sorte que les joueurs le suivent jusqu’à réussir à construire un groupe, puis une équipe qui commence vraiment à nous plaire. Il y a un fort sentiment d’appartenance dans cette sélection. Ils sentent et respectent le maillot. C’est le succès de Lionel. Sur le terrain, tu vois que les mecs sont contents de jouer ensemble. Ce que j’aime, c’est qu’ils ont tous le ballon. Personne ne se cache. Ils veulent jouer. Quand ils n’ont pas la balle, ils se sacrifient tous pour la récupérer. Quand tu arrives à obtenir ça, tu as déjà beaucoup. » Surtout quand Lionel Messi se prête au jeu. Plus connecté que jamais à son équipe, le capitaine est convaincu par l’homme qui tient la barre. Une image symbolise la relation : cette longue étreinte en larmes entre les deux hommes, partenaires au Mondial 2006, sur la pelouse du Maracanã.

« Tout ce qui se passe est son mérite. Il a réussi à construire un groupe qui gagne, expliquait la Pulga sur ESPN. Scaloni est l’un des nôtres. » Comme le reste du staff formé par Pablo Aimar, l’idole de jeunesse du numéro 30 parisien, Walter Samuel et Roberto Ayala. Une équipe technique formée de grands joueurs récemment retraités et respectés. Des bosseurs qui ne « vendent pas de la fumée » comme dit l’expression argentine. Le pays s’enthousiasme donc pour la « Scaloneta ». Un bus imaginaire qui serait conduit par un Lionel Scaloni parvenant à embarquer les joueurs un par un sur la route des succès. Un concept si populaire que certains ont même voté pour lui lors des dernières primaires aux élections législatives en septembre dernier.

C’est un type qui a toujours une grande humilité. Il reste le Lionel simple qui est né à Pujato.

Un gringo qui les rend tous dingos

Le fantasque journaliste Alejandro Fantino imagine plutôt le sélectionneur en héros spartiate qui mènerait ses troupes vers la gloire. Lors d’une interview déjà entrée dans la légende, le présentateur a même « officiellement » intronisé, casque et épée en mains, Scaloni en « roi Leonidas de Pujato ». Pujato, c’est le village natal du nouveau héros national. Situé en plein cœur de la province de Santa Fe, à une dizaine de kilomètres du lieu de naissance de Jorge Sampaoli, la petite commune vit des récoltes de soja et de maïs transportées sur la route 33. Celle qui relie les ports de Bahía Blanca et Rosario et coupe la bourgade en deux. Pujato, c’est 4000 habitants et 400 camions qui font tourner l’industrie agricole locale.

Photo : GQC.

Les Scaloni y vivent toujours. Les parents, les deux frères et sœurs et quelques tantes et cousins. Lionel est venu il y a quelques jours se ressourcer avant les éliminatoires au Mondial. « Il a visité sa famille, les écoles du coin et les clubs de ses débuts comme le Club Sportivo Matienzo, explique le maire Daniel Quacquarini. Ici, il se déplace tranquillement en vélo dans les rues et les champs. C’est un type qui a toujours une grande humilité. Il reste le Lionel simple qui est né à Pujato. » Des racines que le sélectionneur se plaît à revendiquer pour expliquer sa personnalité et celle de son staff : « Avec Walter, Pablo et Roberto, on est tous des gringos, des mecs du campo. Je crois que les gens s’identifient à ça. Aujourd’hui, on n’est peut-être pas les plus forts du monde. Mais on veut simplement le meilleur pour la sélection. » Un discours simple, mais pas dénué d’ambitions. Un groupe sain et uni. Presque inhabituel au pays. Avant le prochain voyage de la « Scaloneta » au Qatar, les Argentins s’autorisent donc à rêver un peu. Ce que personne n’aurait imaginé il y a trois ans. « Tu n’as pas renoncé à tes rêves et tu nous as offert le bonheur », disent deux panneaux installés aux entrées du village de Pujato : « Merci champion. »

Dans cet article :
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Par Georges Quirino-Chaves, à Buenos Aires et Pujato

Propos recueillis par GQC sauf mentions

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