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- 8e journée
- Naples/Fiorentina
Sarri ou la révolution de velours
Alors qu'Arrigo Sacchi justifiait le semi-échec de Benítez par une absence de mentalité de gagneurs à Naples, Maurizio Sarri reste sur cinq victoires en six matchs. Au-delà des résultats, c'est ce qui se passe sur le terrain qui est bouleversé. Entre 4-3-3, trequartista et coups de pied arrêtés, analyse d'une révolution tout en douceur.
Quand le mec qui a révolutionné le foot prend le micro, on a tendance à l’écouter : « Naples n’est pas une ville avec une mentalité de gagneur. Cette équipe n’a jamais rien gagné de vraiment important. Prenez Maradona, le meilleur joueur que j’ai vu sur un terrain, il n’a jamais levé une Coupe d’Europe. » Un tacle au genou made in Arrigo Sacchi glissé dans les colonnes d’AS début septembre. Facile à dire, après une défaite contre Sassuolo et un nul contre la Samp. Depuis, deux nuls et cinq victoires, parmi lesquelles de belles roustes contre des gros morceaux. En Ligue Europa, Bruges en prend cinq au San Paolo. Même tarif pour la Lazio en Serie A. La Juve, elle, s’arrange pour ne perdre que 2-1. Dernière victime, le Milan pour une boucherie sans bavure : 4-0 à San Siro. La prochaine fois, le mage de Fusignano tournera sept fois sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir.
Occupation des côtés et prudence défensive
Le véritable changement napolitain s’exprime sur le tableau noir et est le fruit d’une révolution personnelle pour Sarri. L’année dernière à Empoli, le sosie de Don Savastano dans Gomorra avait imposé un 4-3-1-2 bien consistant. Alors, en revenant dans sa Campanie natale, l’intention est de continuer sur le même modèle. Mais Insigne n’est pas le trequartista qu’est Saponara et persiste à squatter le tiers gauche. Une défaite et deux nuls plus tard, la décision est prise : l’équipe passe au 4-3-3 contre Bruges. Ce qui change tout. Dans le 4-3-1-2, les attaques par les côtés étaient souvent ralenties par la nécessité pour les latéraux de préparer une perte de balle, de basculer proche des centraux, ce qui entraînait un retard dans la prise de profondeur collective. Désormais, les couloirs étant déjà occupés par les fusées Callejón et Insigne, ne reste plus à Hysaj et Ghoulam qu’à dédoubler pour créer le surnombre.
L’approche tactique change aussi en phase défensive. Si le 4-3-1-2 permettait de poser deux avants-centres sur les centraux adverses et de gêner la relance, l’absence d’ailiers forçait les mezzale Hamšík et Allan à sortir sur les latéraux adverses. Distances plus longues pour les milieux donc, mais aussi possibilités pour les latéraux adverses de jouer dans l’axe déserté par l’un ou l’autre des milieux. Sarri a en outre adapté le comportement de son back-four : alors que, dans l’Empoli 2015, Hysaj, Rugani, Tonelli et Mario Rui jouaient le hors-jeu et restaient très proches les uns des autres, les latéraux ne sortant pratiquement jamais pour cadrer un ailier, laissant le sale boulot aux milieux, la ligne de quatre du Napoli 2016 est plus prudente et n’hésite pas à reculer tout en laissant Hysaj/Maggio et Ghoulam sortir. Le changement, c’est maintenant.
Jorginho, Hamšík, Insigne… Koulibaly
Changement chez les joueurs, aussi. Don Savastano, lassé des ballons aériens en profondeur et en une touche de Valdifiori, systématiquement anticipés par les adversaires, a sorti l’Italien au profit du plus liant Jorginho. Valdifiori s’en accommode : « Le dualisme avec Jorginho ne me dérange pas. Celui qui est le plus en forme joue » , confie-t-il à la Repubblica, entre deux matchs de Ligue Europa. Changement encore avec Hamšík, lassé de jouer dos au but sous l’ère Benítez. Son nouveau coach, et ancien banquier, le repositionne au milieu, et son rendement s’en ressent, étant plus souvent derrière le ballon, donc face au but. Mieux, il se balade dans le « half-space » du couloir gauche et crée des 3 contre 2 avec Insigne et Ghoulam. Changement toujours pour Insigne, satisfait d’avoir quitté le rôle de trequartista. Maurizio a replacé Lorenzo sur le côté gauche, avec consigne de provoquer en un contre un, et le Napolitain s’en réjouit dans les colonnes d’Ul Mattino : « Je m’exprime mieux dans le 4-3-3. Ça se sait. Avec Zeman, en deux ans, j’ai marqué plein de buts. J’espère continuer ainsi. »
Mais, à Castelvolturno, le bouleversement le plus important est peut-être celui concernant Kalidou Koulibaly. Le central, qui se distinguait par ses duels de bûcheron et tirait les pigeons à la moindre pression adverse, dénote dorénavant par sa classe de patron. Fini les duels dans la profondeur, Kalidou anticipe et intercepte. Plus encore, il devient un acteur principal de la transition défense-attaque. Que ce soit par ses passes verticales, briseuses de lignes, ou par sa faculté à fixer l’avant-centre adverse, le forçant à sortir pour ensuite jouer court, le double K devient le premier relanceur d’une équipe qui ne perd pas de vue le beau jeu.
Des coups de pied arrêtés au Scudetto ?
Là où le retour au pied du Vésuve n’a pas changé l’entraîneur, c’est dans sa préparation minutieuse des coups de pied arrêtés. Car Sarri, c’est avant tout Mister 33, l’homme aux 33 combinaisons sur CPA lors de son époque dans les troubles divisions italiennes. À Naples, Koulibaly doit toujours chercher le côté droit sur les coups d’envoi. Les changements de position brusques et calculés sur les touches sont encore à l’ordre du jour ; les combinaisons avec insertion de joueurs sur les coups francs sont toujours d’actualité, Bruges peut en témoigner. Pour les corners, les stratégies varient, mais les principes ancestraux restent : les petits Mertens, Insigne et Callejón posent les écrans et Jorginho de chercher les crânes de Koulibaly, Albiol ou Pipita. Ici encore, le rôle des mezzali est primordial. Ainsi Allan, qui doit débouler en seconde ligne pour s’insérer dans le dos des arrières adverses – Empoli, la Lazio et Milan s’en souviennent. Tout ce travail tactique, et la réussite qui l’accompagne, donnent de l’ambition à Koulibaly, dans la Repubblica : « La route est longue et on doit rester concentrés. Même discours pour le Scudetto. Prenons match après match et quand il n’en restera plus que dix, on verra où on sera. » Pourquoi ne pas y croire ? Naples a déjà réussi à faire mentir Sacchi. Pas le moindre des succès.
Par Josselin Juncker