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Sarina Wiegman : boss finale
À la tête d’une sélection anglaise qu’elle a déjà amenée sur le toit de l’Europe, Sarina Wiegman s’apprête à vivre une nouvelle finale avec les Lionesses, sa quatrième en quatre grandes compétitions consécutives. Une deuxième chance pour la coach batave, qui s’était heurtée aux États-Unis lors de la Coupe du monde 2019.
Si Mario avait un personnage féminin un peu plus badass que Peach, il se nommerait sûrement Sarina Wiegman, aka, la boss finale. La sélectionneuse de l’Angleterre, dernière femme technicienne en lice dans cette Coupe du monde, va vivre sa quatrième finale de rang, après avoir conquis l’Europe, deux fois, mais pas le Mondial, où elle reste sur une finale perdue face aux États-Unis avec la sélection néerlandaise. À 53 ans, elle est même devenue la première entraîneuse, hommes et femmes confondus, à accéder à deux finales de Coupe du monde avec deux nations différentes. Pourtant, après avoir écrasé leur Euro à domicile, les Lionesses étaient loin de partir favorites, minées par les forfaits longue durée de leurs cadres (Beth Mead, Leah Williamson et Fran Kirby), les discussions difficiles avec la fédération sur les primes, un manque d’efficacité offensive récalcitrant… Autant de problèmes que la coach aux yeux cerclés d’une monture dorée affronte avec philosophie, malgré un début de compétition ponctué de victoires arrachées 1-0.
Maîtresse des émotions
« Dans ce Mondial, avec les blessures et maintenant la suspension de (Lauren) James, Wiegman en est certainement à son plan F ou G. Mais jusque-là, elle et l’Angleterre ont su gérer. L’équipe est toujours unie et elles croient dans leur capacité à résoudre la situation », analysait la championne d’Europe 2022 Ellen White, désormais retraitée, pour la BBC. Là où Sarina Wiegman avait remporté l’Euro en alignant toujours le même XI, la coach batave a dû procéder à plusieurs changements successifs, délaissant son 4-2-3-1 après la blessure de Keira Walsh lors du second match de poules, pour opter pour un 3-4-1-2 avec Lauren James en numéro 10 derrière un duo d’attaque inédit composé de Lauren Hemp et Alessia Russo. Et même lorsque la sœur de Reece James fait des siennes et est exclue après un sale geste contre le Nigeria, la sélectionneuse de l’Angleterre s’adapte et passe à un 4-4-1 qui emmènera les Lionesses à une victoire au bout des tirs au but (0-0, 4-2 T.A.B.).
« Elle est très calme, ce qui est très important dans les moments de haute pression, salue Alessia Russo après la partie. C’est formidable d’avoir à notre tête quelqu’un qui sait comment gérer ces moments de haute tension, quelqu’un qui veille à ce que tout le monde reste calme sur le terrain. » Une sérénité qu’elle doit à son travail méticuleux et l’attention aux moindres détails, ceux qui ont été si souvent négligés jusqu’ici dans le football féminin. Après avoir insufflé cette culture du professionnalisme à tous les étages à la sélection néerlandaise, Sarina Wiegman a entamé le même chantier en Angleterre en posant ses valises à Londres en 2021, dans une fédération ayant déjà un projet très solide pour son football féminin local. « Elle a un grand plan annuel, puis un plan plus restreint en fonction des semaines ou des rassemblements », explique Arvid Smit, son ancien entraîneur assistant chez les Leeuwinnen, auprès de The Athletic.
Winning planneuse
« La dernière chose, c’est le jour du match lui-même. Chaque matin, vous discutez des séances d’entraînement préparées à l’avance. Wiegman et son équipe en ont déjà parlé les semaines précédentes, lorsque l’équipe n’est pas réunie. La périodisation est tactique – les moyens d’améliorer l’attaque, la défense et les moments de transition de l’équipe – mais elle tient également compte de l’entraînement physique et du repos. Elle a planifié toutes les réunions – individuelles, du staff et de l’équipe. Elle a tout planifié comme elle le souhaitait, y compris les déplacements », explique celui qui l’a vue à l’œuvre durant la Coupe du monde 2019. Pour ce Mondial à l’autre bout du monde, la coach anglaise, soutenue par sa fédération, avait à cœur que les joueuses se sentent « comme chez elles ». Ainsi Kay Cossington, directrice technique des féminines de la FA, et Anja van Ginhoven, manageuse générale des Lionesses, ont visité dès juin 2022 près de 23 hôtels et 18 terrains d’entraînement en onze jours, avant de choisir avec Sarina Wiegman celui qui sera le plus approprié en fonction du tirage.
« Chaque petit détail est discuté et très bien exécuté, résume Arvid Smit. Les joueuses savent quand travailler et quand se détendre. Ce n’est jamais chaotique. Sarina a la qualité de penser à l’avance. Elle rend les choses très simples. La seule chose que vous devez faire en tant que membre du staff est d’exécuter votre mission. » Une clarté que les joueuses retrouvent elles aussi dans leur rôle sur le terrain, plusieurs d’entre elles saluant son « honnêteté » et sa « franchise ». Comme lorsqu’on lui demande après la qualification en finale ce que l’Angleterre avait de plus que l’Australie : « On a marqué trois buts, ça aide un peu ! » « Le fait qu’elle soit très honnête avec toi, t’inspire le respect et la confiance. Parfois, certains managers ne veulent pas avoir de conversations difficiles parce qu’ils se sentent trop concernés. Je ne dis pas qu’elle s’en fiche, mais Sarina veut gagner. Elle est très honnête lorsqu’il s’agit de savoir où vous vous situez dans l’équipe », explique Jill Scott, qui a gagné l’Euro en étant mise sur le banc par Wiegman.
Du bonheur aussi en-dehors des terrains
Un franc-parler qui ne l’empêche pas d’avoir une certaine proximité avec ses joueuses. En pleine compétition l’été dernier, la sélectionneuse organisait chaque jour des mini-challenges où son staff et elle se mélangeaient aux 23 joueuses. « On était dans notre bulle et il fallait trouver un moyen de dépenser un peu d’énergie, lorsqu’on ne s’entraînait pas et qu’on n’avait pas de jour off, rembobine Beth Mead. Je me rappelle qu’on a joué au volley à 20 contre 20 et tout le staff était impliqué, de l’intendant à Sarina. (…) La liberté que nous avons eue pendant l’Euro et les choses que nous avons faites ensemble nous ont aidées à nous sentir libres sur le terrain. Et c’est vraiment vraiment très important. » Des compromis entre rigueur sportive et souplesse mentale qui donnent parfois lieu à des scènes cocasses, comme le raconte Lucy Bronze après avoir fêté la qualification en finale : « Nous avons commencé à sauter et à célébrer. Sarina m’a attrapée et m’a dit : « Arrête de sauter ! Tu dois te préparer pour le prochain match, laisse les gamines sauter. Toi, tu ne bouges pas ! » »
À la veille d’une nouvelle finale, Sarina Wiegman préfère préserver celle qu’elle a replacée comme piston droit, dans un schéma tactique surprenant qui voit Rachel Daly, meilleure buteuse du championnat anglais, être replacée sur l’aile gauche, d’où elle envoie transversale sur transversale pour alimenter la paire Russo-Hemp. « L’Angleterre a joué de façon plus directe en transition que d’habitude », remarquait d’ailleurs le sélectionneur australien Tony Gustavsson, pris à son propre piège. Une évolution du jeu bienvenue avec des contres terriblement efficaces, couplés à davantage d’engagement physique, avec des joueuses majoritairement issues d’un championnat anglais où les duels sont plus âpres. Suffisant pour affronter une Espagne souvent dominatrice et qui ne laisse que peu d’espaces ? « Chaque équipe va essayer de garder le ballon, mais en fin de compte, je pense que tout se jouera le jour J, explique Keira Walsh qui, comme Lucy Bronze, va affronter bon nombre de ses coéquipières du Barça dimanche. Nous avons l’expérience d’une finale auparavant et nous avons l’esprit combatif. Nous avons déjà été menées au score et sommes revenues. Toutes ces choses s’ajoutent les unes aux autres. » Comme toutes celles que Sarina Wiegman a déjà anticipé pour les Lionesses.
Par Anna Carreau
Propos de Beth Mead recueillis par AC, ceux de Jill Scott issus de The Athletic. Tous les autres propos de joueuses sont issus de zone mixte et conférence de presse.