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Sardar Azmoun, le tsar iranien
Jeune, talentueux et potentiellement beau gosse, Sardar Azmoun a toutes les caractéristiques de la star en puissance. Cela tombe bien car l'Iran en recherche une depuis les fins de carrière de Daei et Karimi. S'il est déjà sur les radars des plus grands clubs du continent, l'intéressé continue de grandir à Rostov.
C’est un peu sa spéciale : se faire oublier aux abords de la surface, souvent côté droit, faire l’appel, se retrouver face au gardien, puis l’ajuster du droit, sans frapper comme une mule, simplement en trouvant le cadre. Sauf qu’entre planter ainsi en division de jeunes iranienne ou en Premier League russe, et le mettre en phase de poules de Ligue des champions contre l’Atlético de Madrid, finaliste sortant, il y a un gouffre. Que le jeune Sardar Azmoun a sauté au bonheur du FC Rostov le 1er novembre. Certes, Antoine Griezmann a marqué en toute fin de match et douché les espoirs de la formation russe. Mais le jeune Iranien – vingt-deux ans le 1er janvier prochain – a encore fait grimper sa cote. Il y a deux ans déjà, il se disait qu’Arsenal, Everton et même le Barça s’étaient penchés sur son cas. Plus récemment, ce serait l’OM, de nouveau ambitieux avec Frank McCourt, et Liverpool qui auraient coché le nom du « Messi iranien » sur leurs emplettes de fin d’année. Un joueur qui, à bien des égards, représente plus qu’un simple sportif dans la fleur de l’âge, mais l’espoir fou de tout un peuple d’avoir dégoté un nouveau héros. D’où un surnom involontairement galvaudé, car avec la star argentine à qui le grand public l’associe, il n’a que peu de points communs. Il fait 1,86m, tire plus volontiers du droit, ne rechigne pas à s’imposer dans le jeu aérien et, malgré une capacité à dépanner en milieu offensif excentré, excelle dans un rôle de pur avant-centre, quand le feu follet du Barça peut redescendre, participer au jeu ou dribbler toute une défense. Non pas qu’Azmoun soit un pingouin balle au pied. Non. Il va vite, est technique, malin, voire roublard. Mais manque aussi parfois de lucidité dans le dernier geste après une longue course. Son truc à lui, c’est plutôt le jeu en première intention, le bon positionnement pour pousser la balle au fond, que ce soit du droit, du gauche, ou de la tête. Des qualités bien plus limitées que celles de la Pulga au même âge, mais qui suffisent à faire aujourd’hui de lui un taulier de la sélection iranienne, où il a déjà dépassé les vingt sélections et les quinze buts. Réserviste malheureux au Mondial 2014, quart-de-finaliste de la dernière Coupe d’Asie des nations, et probablement titulaire de l’attaque perse dans dix-huit mois pour la Coupe du monde dans son pays d’accueil, la Russie.
Chaperonné en Russie
Un pays qu’il découvre en 2013 à dix-sept ans, quand il décide de quitter Sepahan Ispahan, l’un des grands clubs d’Iran, pour répondre favorablement aux sollicitations du Rubin Kazan. Appât du gain ? Le gamin est alors sollicité par les deux plus gros clubs d’Iran, Persépolis et Esteghlal Téhéran, ainsi que l’Inter Milan. La Russie, c’est pour son père le meilleur moyen de favoriser une carrière professionnelle, car Sepehan n’a pas daigné donner sa chance au gamin, et que de toute façon, le championnat perse est « trop sale » . Et aussi parce que le Rubin semble plus prompt à satisfaire les desiderata du paternel, à savoir d’inscrire noir sur blanc dans son contrat que son fils ne peut pas rester seul chez lui le soir, et doit donc vivre dans les locaux du club lorsque ses parents – qui, forcément, l’ont suivi en Russie – retournent régulièrement au bled. Il faut dire que papa Khalil, ancien volleyeur de haut niveau titré meilleur joueur d’Asie, et sa femme, elle aussi coach dans la discipline, savent quel sacrifice doit consentir leur fils pour réussir. Un fils qui a parfois tendance à mettre la charrue avant les bœufs. Comme lorsqu’il raconte en 2014 dans une interview dans la presse perse vouloir « se marier rapidement » pour faire comme les plus grandes stars du ballon rond, dont il a « noté qu’elles se mariaient souvent très jeunes » . À Kazan, la famille Azmoun a cependant de quoi se rassurer. Malgré des premiers mois compliqués pour le jeune homme, il bénéficie du soutien d’un second père avec son coach, Kurman Berdyev. Un Turkmène qui s’accommode forcément très bien d’un jeune talent issu de la minorité turkmène iranienne.
Meilleur que la légende Ali Daei ?
Deux ans plus tard, quand le technicien lutte pour redresser le FC Rostov et que son ancien protégé peine à exister sur le front de l’attaque du Rubin, les retrouvailles sont une évidence. Sous forme de prêt d’abord, Sardar Azmoun plante les buts qu’il faut et sauve les Bleus. Puis cette saison, sous un contrat a priori permanent – même si son transfert fait l’objet d’un litige devant le Tribunal arbitral du sport entre Rubin et Rostov –, les premiers estimant que les seconds n’ont pas correctement levé l’option d’achat. Ils ont probablement compris un peu tard que leur ancien attaquant pouvait rapporter bien plus que ce qu’ils avaient imaginé dans un premier temps. Avec Azmoun dans ses rangs, la destinée du FC Rostov a changé radicalement. De candidat à la relégation, le club est passé à la Ligue des champions après avoir notamment atomisé l’Ajax d’Amsterdam en barrages. Dans le processus, Azmoun a marqué à quasiment chaque match important, que ce soit en validant la seconde place des siens en championnat la saison passée, ou en trompant les gardiens d’Anderlecht et de l’Ajax en préliminaires. Son but contre l’Atlético a mis fin à une disette de onze ans pour le football iranien en C1, Ali Karimi étant le dernier perse à avoir fait trembler les filets dans l’épreuve reine du Vieux Continent. Ce qui rend aujourd’hui logiques toutes les comparaisons flatteuses entre le gamin et les légendes passées du football perse. Il faut dire que selon ESPN, il serait même dans des temps de passage plus élevés que le mythique Ali Daei, 109 buts en 149 sélections tout de même. Ce dernier n’avait pas su s’imposer au Bayern Munich, le plus grand défi de sa carrière. Pour faire mieux, Azmoun devra apprendre à exister dans un top club des cinq grands championnats. Mais, a priori, il n’est pas pressé et compte rester en Russie jusqu’à la Coupe du monde 2018. Le second grand saut, ce sera pour plus tard.
Par Nicolas Jucha