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Sarai Bareman : « Nous demandons de l’équité et du respect pour le foot féminin »
À quelques jours de l'ouverture de la neuvième Coupe du monde féminine, Sarai Bareman, directrice du football féminin à la FIFA, revient sur ce problème de diffuseurs qui touche la compétition, la place des femmes dans ce milieu plutôt réservé aux hommes et le futur de ce sport. Entretien avec une femme qui veut faire bouger les lignes.
Comment vous sentez-vous à quelques semaines du début de cette Coupe du monde ?
Très enthousiaste. J’ai hâte que le premier match commence le 20 juillet. Ce Mondial se déroulera dans mon pays d’origine, la Nouvelle-Zélande (elle a porté les couleurs des Samoa, NDLR), ainsi qu’en Australie. Il y a donc quelque chose d’encore plus spécial à pouvoir amener le football mondial en Nouvelle-Zélande, à y organiser la Coupe du monde, à y accueillir certaines des meilleures athlètes du monde. Et bien sûr, j’ai en plus la chance de pouvoir voir ma famille, ce qui n’arrive plus très souvent, car je vis en Suisse. C’est donc très spécial et je suis très enthousiaste.
Comment cet événement est-il accueilli dans ces deux pays, plutôt tournés vers le rugby ?
Il est très bien accueilli, surtout en Australie. Ils ont évidemment les Matildas (le surnom de l’équipe nationale australienne, NDLR), ce sont vraiment des héroïnes nationales, en particulier Sam Kerr. Pour nous, c’est un rêve d’avoir une telle athlète qui participera au tournoi parce qu’il y a tellement d’enfants, de garçons et de filles, qui l’admirent, et c’est une superstar mondiale. Les deux pays sont très enthousiastes. Mais je suis très intéressée de voir comment nous pouvons convertir certains de ces fans traditionnels de rugby en fans de football grâce à cette Coupe du monde.
Est-ce aussi quelque chose qui entre en compte dans le choix des pays désignés pour accueillir de telles compétitions ?
Nous avons un processus de candidature très solide pour la Coupe du monde féminine. Bien sûr, nous choisissons ou recommandons les pays à sélectionner sur la base du mérite, des infrastructures en place, mais aussi de la valeur commerciale que ces pays offriront. Nous appliquons donc de nombreux critères pour désigner les pays hôtes. C’est la première Coupe du monde organisée dans l’hémisphère sud, la première dans la région Asie-Pacifique et la première à être organisée par deux pays appartenant à deux confédérations différentes (L’Australie fait partie de la confédération asiatique, la Nouvelle-Zélande de celle d’Océanie, NDLR). Nous sommes un sport mondial, le plus grand sport du monde, il est grand temps que d’autres parties du monde puissent accueillir la Coupe du monde et en ressentir les avantages dans leur région. Ça me tient à cœur, mais c’est surtout très important pour l’héritage du football féminin et pour l’ensemble de la région Asie-Pacifique.
Quel rôle cette compétition peut-elle, ou doit-elle jouer pour voir plus de femmes dans le football et plus de football féminin dans le monde ?
Une fois tous les quatre ans, on a cette occasion de promouvoir et d’encourager tout ce que nous faisons à la FIFA pour développer le football. L’exemple parfait est ce que nous avons vu en France en 2019. Ça a été un énorme succès, non seulement pendant le tournoi, mais aussi après. Plus de 1,2 milliard de personnes dans le monde entier ont regardé le tournoi. Un nombre considérable de supporters ont rempli les stades pour y assister. Par la suite, nous avons constaté une augmentation considérable des licenciées. En Angleterre, par exemple, 850 000 filles supplémentaires ont commencé à jouer après le beau parcours de leur équipe à la Coupe du monde de football féminin. De nouveaux parrainages commerciaux ont été signés dans les ligues nationales. Nous avons vu des joueuses signer des contrats plus importants. Nous avons vu nos athlètes à la Une des journaux. L’effet de la Coupe du monde est donc un grand accélérateur pour tous les efforts que nous faisons pour le football féminin et cette Coupe du monde, en Nouvelle-Zélande et en Australie, sera tout aussi importante à cet égard.
Vous l’avez dit, ce fut un véritable succès en 2019 en France, mais pourtant, quatre ans plus tard, aucun diffuseur n’a encore acquis les droits pour diffuser la compétition, comment l’expliquez-vous ?
Nous voulons protéger et maintenir la valeur du football féminin. Il s’agit de l’événement sportif féminin le plus populaire et le plus important au monde. Il y a tant de gens qui le regardent, qui le connaissent et le reconnaissent. Il est important qu’à la FIFA nous nous assurions que la valeur de cet événement soit reconnue et respectée. Il est vrai que nous n’avons pas encore pu signer d’accords avec certains pays, mais il est important de faire preuve d’équité et d’accorder au football féminin le respect qu’il mérite. Cela ne concerne pas la FIFA, c’est pour les joueuses, pour les fédérations, pour les ligues du monde entier. Si nous ne parvenons pas à assurer la valeur commerciale de la Coupe du monde, qui est l’apogée de notre sport, les confédérations, les ligues nationales et l’ensemble du football féminin en subiront les conséquences. C’est donc quelque chose qui nous tient à cœur. Et nous savons que si nous y parvenons, l’impact se fera sentir pour le football féminin dans le monde entier.
Que répondez-vous aux diffuseurs qui mettent en avant les montants demandés et les horaires des matchs pour se justifier ?
J’ai du mal à comprendre quand je vois les montants qu’ils proposent et que je les compare à ce qu’ils proposent pour la Coupe du monde masculine. Nous ne demandons pas l’égalité, simplement un peu de respect de l’équité et du respect pour notre jeu, nos joueuses et notre sport. Nous nous surpassons tous les jours. Chaque jour, je respire et je vis pour le football féminin, et tout ce que nous demandons, c’est que d’autres s’engagent au même niveau. C’est donc un peu difficile à entendre, pour être honnête. Les gens disent que les heures de coup d’envoi sont terribles, mais en France, par exemple, tous les matchs ont lieu à midi (pour les trois matchs de poule qui verront les Bleues défier la Jamaïque le 23 juillet, le Brésil le 29 juillet et le Panama le 2 août, NDLR), c’est l’heure du déjeuner, c’est l’été, les gens sont en vacances. C’est le moment le plus chaud de la journée. C’est le moment idéal pour regarder le match au frais avec la famille et les enfants. Pour moi, ce n’est pas une excuse.
Pour un sport encore en développement, ne serait-il pas préférable de donner la priorité à l’exposition et donc d’accepter les offres, même en dessous des attentes ?
L’exposition est très importante pour nous et je dois dire clairement que, que nous passions ou non un accord avec les diffuseurs, les supporters ne seront pas privés de cette Coupe du monde. Ils pourront toujours regarder les matchs de leur équipe nationale.
Comment avez-vous réussi, en tant que femme dans un milieu très masculin, à faire votre place au sein de la FIFA ?
C’est un sport dominé par les hommes, mais l’une des choses que j’aime le plus à la FIFA, ce sont les changements qui ont eu lieu dans cette organisation. Quand j’y suis entrée en tant qu’administratrice, c’était juste après les réformes, après le scandale de 2015. Ce qui a été reconnu dans ces réformes, c’est que le football féminin représentait la plus grande opportunité de croissance pour notre sport. C’est phénoménal. La trajectoire du football féminin est tout simplement incroyable, et c’est également le cas pour les femmes dans le football. Pour la première fois, la FIFA a une femme secrétaire générale (Fatma Samoura, nommée en 2016, NDLR). Pendant plus de 100 ans, cela n’a pas été possible, cela n’existait pas. J’ai récemment rencontré notre toute nouvelle vice-présidente, Debbie Hewitt, de la fédération anglaise. Aujourd’hui, de plus en plus de femmes accèdent à des postes décisionnaires, le changement est donc en marche. Mais ce qui est clair, c’est que nous ne pouvons pas lever le pied de l’accélérateur, nous devons continuer à pousser. En fait, nous devons en arriver au point où cela devient tout à fait normal, où nous n’avons pas à célébrer le fait qu’une femme soit nommée ou élue au sein d’un organe directeur.
Combien de temps pensez-vous qu’il faudra pour y arriver ? Faut-il absolument en passer par des quotas ?
Nous parlons d’un changement culturel qui doit avoir lieu. Cela prend beaucoup de temps. Si vous regardez l’histoire du football et même des Coupes du monde, ce n’est que 61 ans après la première édition masculine, en 1930, que la première Coupe du monde féminine a été introduite en 1991. C’est donc quelque chose de relativement nouveau pour les femmes, même sur le terrain, sans parler des salles de réunion. Je pense que des choses comme les quotas sont très bonnes parce que ce sont des outils qui peuvent nous aider à accélérer ce changement. J’ai déjà mentionné Debbie Hewitt qui a été nommée non pas en tant que femme, non pas dans le cadre de ce quota, mais pour ce qu’elle est. L’UEFA comptera désormais deux représentantes au sein de son conseil, l’une issue du quota et l’autre élue dans le cadre du système de vote normal, en dehors de ce quota. Nous commençons donc à voir ce changement. Nous avons, par exemple, une nouvelle femme présidente en Belgique (Pascale Van Damme, NDLR) élue lundi dernier.
Est-ce aussi quelque chose lié à l’évolution de la société ?
Oui, absolument. C’est ce que j’aime dans la Coupe du monde, parce que ces sujets sont également présents dans la société. Nous l’avons vu en France. Les sujets qui sont importants pour les femmes, comme l’égalité des sexes, l’égalité des salaires, sont abordés dans les principaux journaux télévisés. Ils sont tous abordés sur les principales chaînes d’information, dans les journaux. Nous avons donc un rôle important à jouer dans le cadre de la Coupe du monde à cet égard, afin d’améliorer la situation des femmes dans la société en général et de sensibiliser le public à cette question.
Vous parlez d’autres sujets. Qu’en est-il du brassard « One Love », les équipes pourront-elles le porter lors de ce Mondial ?
Nous menons actuellement des consultations très étroites avec les 32 Fédérations qui participent à notre Coupe du monde sur la question de savoir comment nos joueuses peuvent s’exprimer pendant le tournoi. Nous savons que dans le football féminin, les joueuses sont très passionnées et très attachées aux causes auxquelles elles croient, et qu’elles aiment utiliser les plateformes dont elles disposent pour sensibiliser le public. C’est important pour nous, c’est quelque chose que nous aimons dans le football féminin. Nous travaillons donc avec les équipes et nous trouverons un moyen conforme au règlement de la FIFA pour que les joueuses puissent s’exprimer et avoir la possibilité d’utiliser leurs plateformes pour parler et montrer ce en quoi elles croient. Je suis persuadé que le résultat sera très positif.
Est-ce que, dans un coin de votre tête, vous rêvez de voir la Nouvelle-Zélande titrée et ainsi imiter les filles du rugby sacrées championnes du monde en novembre ?
Bien sûr, c’est mon espoir. J’ai toujours ça dans mon cœur parce que j’ai grandi en Nouvelle-Zélande. J’ai eu la chance d’assister à la finale de la Coupe du monde de rugby féminin. C’était un moment très important pour le sport féminin dans notre pays. Et j’ai pu constater par la suite l’impact des filles et des femmes qui pratiquent désormais ce sport. Mon plus grand espoir est donc que nos Football Ferns fassent un bon tournoi, je pense qu’il est important qu’elles soient reconnues pour les athlètes incroyables qu’elles sont. Elles vont tout de même être sur la scène mondiale. Le simple fait de participer à la Coupe du monde est un immense honneur et une grande réussite. Et j’attends que la Nouvelle-Zélande valorise et reconnaisse ces athlètes comme elles le méritent.
Propos recueillis par Florian Porta