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Sarah Bouhaddi : « Prendre un but, ça fait tache »
Face à Dijon samedi, Sarah Bouhaddi disputera son dernier match de la décennie. Une période où la gardienne s'est gavée de succès avec l'Olympique lyonnais, a vu quelques rêves s'envoler avec les Bleues, et a accompagné le football féminin dans sa progression. À 33 ans, la Cannoise sait aussi très bien que le chemin est encore long.
Nous bouclons une décennie durant laquelle tu as remporté chaque année le championnat de France. Il n’y a que Wendie Renard qui fait mieux, avec 13 titres consécutifs. Est-ce qu’on s’y habitue ?Quand on est à l’OL, on ne peut pas s’habituer à gagner. Dès qu’une joueuse nous rejoint, on lui dit que l’objectif est de remporter tous les matchs, tous les titres. On est éduquées avec cette mentalité, on a appris avec ça, on a grandi avec ça. Pour Wendie, c’est pareil. On travaille tous les jours pour remporter ces titres, ce n’est pas si facile, malgré ce que disent les gens. Et puis, la ferveur est toujours là après chaque victoire.
Est-ce que tu te souviens de chacune de tes défaites avec l’OL ? Il y en a eu dix en dix ans…*Je me souviens de quelques-unes, mais pas toutes, non. Je sais que la défaite fait aussi partie du lot des sportifs et je ne m’attarde pas trop là-dessus.
Ce qui me marque plus, c’est la différence entre une victoire 8-0 et une victoire 8-2. Cette année par exemple, on a pris 4 buts en championnat (contre 47 marqués en 11 journées, N.D.L.R.), et ce sont autant de buts qui étaient évitables. Pour moi, c’est ça le plus rageant. Quand on prend un but, c’est un match qui n’est pas abouti, quel que soit le score. C’est qu’il y a une erreur quelque part et ça fait tache.
Sincèrement, où est le plaisir quand on joue pour un club qui gagne tout ? Est-ce que ton cerveau dégage encore de l’endorphine après une victoire ?Rien que de voir tout le monde derrière nous et d’enchaîner les bonnes prestations, le plaisir se multiplie. Et on en prend conscience réellement à la fin de la saison. Beaucoup de monde a envie de nous faire tomber et on se doit de répondre présent à chaque fois. Tout ça participe à ce sentiment de satisfaction.
Est-ce que tu arrives à hiérarchiser chacun de ces accomplissements ? Par exemple, saurais-tu me dire quel est le plus grand moment de bonheur que tu as connu sur un terrain, au cours de ces dix dernières années ?On en discute souvent avec celles qui sont au club depuis longtemps et, pour nous, ce n’est pas notre première finale de Ligue des champions remportée, mais paradoxalement celle que l’on a perdue contre Potsdam en 2010 (0-0, 6-7 aux t.a.b, N.D.L.R.). Certes, c’est une défaite, mais le club et le président Aulas avaient fait quelque chose d’énorme : toutes nos familles s’étaient vu offrir un maillot de l’OL et on les a vues arriver au moment de l’échauffement comme ça. Ça nous a vraiment motivées, parce qu’on s’est senties soutenues et reconnues. Après, toutes les autres victoires européennes (6 depuis, N.D.L.R.) ont évidemment une place spéciale, sans qu’on puisse vraiment en détacher une en particulier.
C’est marrant de choisir une défaite comme moment marquant de ta décennie…C’était la première finale du club, la première pour moi. C’était un match très dur aussi. Peut-être qu’on n’était pas attendues à ce moment-là. Mais on a vu une équipe de Lyon qui commençait à se construire et ça a été le début de l’histoire. Je crois que le président a construit beaucoup de choses sur la base de ce match.
Du coup, quel est le pire souvenir de cette décennie ?Je ne sais pas si j’en ai… (Elle hésite.) Si, peut-être l’élimination contre le PSG en huitièmes de finale de Ligue des champions 2014-2015 (1-1, 0-1). On a dominé les deux matchs, et on n’a pas réussi à concrétiser nos occasions… Et puis c’était une année assez difficile en matière d’effectif.
Et avec l’équipe de France ?Ce sera la dernière Coupe du monde. C’est une cicatrice qui s’est refermée aujourd’hui, mais qui restera en moi. Je me suis beaucoup investie pour ce Mondial, j’ai consacré beaucoup de temps pour m’y préparer, parce que c’était dans notre pays, parce qu’on avait envie d’être au rendez-vous et de gagner ce titre. Malheureusement, on n’a pas rempli notre objectif sur le plan sportif.
Si tu devais analyser la façon dont a évolué le football féminin sur la dernière décennie, quels changements soulignerais-tu ?Le plus notable, c’est le fait de voir que beaucoup de pays commencent à se professionnaliser, beaucoup de nations progressent. Je pense notamment au développement de l’Angleterre, qui a fait un bond extraordinaire. De manière générale, en quinze ans, ça a énormément bougé en matière d’équipements ou d’infrastructures. Aujourd’hui, on met tout en œuvre pour mettre les équipes dans les meilleures conditions. Certes, il reste encore beaucoup d’équipes qui sont amateurs dans notre championnat. Mais la dernière Coupe du monde a aussi montré que tout ça pouvait aussi se traduire par l’engouement qu’on a connu en France. Il y a quelques années, on n’aurait pas pu imaginer tout ça.
Le poste de gardienne de but a également beaucoup progressé. À quoi est-ce dû ?C’est la suite logique de ce qui a été fait lors des dix dernières années. À l’époque, toutes les gardiennes n’avaient pas d’entraîneur spécifique. Toutes celles qui ont fait de bonnes performances à la Coupe du monde, comme les trois gardiennes nommées aux trophées The Best (Sari van Veenendaal, Hedvig Lindhal, Christiane Endler), sont suivies au quotidien par un professionnel qui connaît le poste. Ça m’a fait plaisir de voir que les gardiennes ont répondu présent cet été, parce qu’on est beaucoup critiquées. On a un poste à risque, on est le dernier rempart, et on est pointées du doigt à la moindre erreur. Mais les mentalités évoluent.
Quel est le chantier prioritaire du foot féminin pour l’avenir ?Il faudrait trouver un moyen pour permettre au football français de se confronter aux meilleures nations, aux meilleures équipes.
Avec l’Olympique lyonnais, on gagne nos matchs les week-ends, on remplit nos objectifs, mais il nous manque cette concurrence. Le championnat n’est pas homogène, avec un déséquilibre entre les premières et les équipes de bas de tableau. Si l’équipe de France veut réussir dans le futur à accomplir quelque chose d’extraordinaire, il faudra réussir à ce que les joueuses arrivent sur les compétitions avec un bagage plus calibré sur les exigences internationales. On retient aujourd’hui qu’on a perdu contre les championnes du monde, mais on aurait pu aussi faire quelque chose contre les Américaines, avec un peu plus d’expérience.
Ça suppose que les joueuses doivent partir à l’étranger, pour voir autre chose ? D’ailleurs, tu disais il y a quelque temps que tu aimerais t’offrir un challenge aux États-Unis…Je suis en fin de contrat avec l’OL, il y a eu une proposition du club pour une prolongation de trois ans. Mais, comme je l’ai dit au président, j’avais besoin de prendre le temps de réfléchir sur ce que je vais faire de mon futur. La décision, aujourd’hui, je l’ai prise, mais je ne peux pas encore l’annoncer. Mais concernant mes coéquipières, partir à l’étranger, ce n’est pas forcément la solution parce que ça n’aidera pas le championnat de France. Je pense que c’est surtout la Fédération qui doit trouver une cohésion en D1, une manière de mieux structurer l’ensemble des clubs de l’élite.
Tu sens un changement de mentalité chez les jeunes qui sortent de centres de formation, qui ont souvent un agent et qui vivent du football à temps plein ?Je vois que les conditions sont meilleures pour mes coéquipières qui arrivent aujourd’hui. Avant, c’était beaucoup plus difficile, c’était vraiment de l’amateurisme. Mais ces dix dernières années, le professionnalisme aide les jeunes à se structurer psychologiquement et physiquement. Tout est mis en œuvre pour pouvoir réussir à faire carrière et faire quelque chose de fort. Elles ont tout pour réussir.
Par sa mise en lumière, le foot féminin sert de caisse de résonance à pas mal de combats. On l’a vu avec Megan Rapinoe ou avec la grève des joueuses en Espagne. Est-ce que tu comprends cette dimension politique que prend le foot féminin ? Non, je ne suis pas rentrée là-dedans. Je suis vraiment concentrée sur le sportif. Maintenant, si je peux aider les jeunes enfants, filles ou garçons, à aimer ce sport ou à trouver une passion, je ferai le maximum, mais je ne suis pas dans la politique. Je n’ai pas vu assez de choses, je n’ai pas eu assez de discussions pour pouvoir me pencher sur ces sujets.
Tu es un des noms les plus connus du football féminin, mais finalement, on sait peu de choses sur toi, contrairement à Amandine Henry ou Wendie Renard qui sortent des livres auto-biographiques.C’est ma personnalité, je suis quelqu’un d’un peu plus discret. On découvre Amandine ou Wendie seulement aujourd’hui. Elles se mettent un peu plus en avant sur l’extrasportif depuis la Coupe du monde. Moi, je ne suis pas du style à m’éparpiller sur ces choses-là. En fait, je fais du foot parce que c’est ma passion, que je prends beaucoup de plaisir sur le terrain et je me contente de ça. Quand je ne jouerai plus, j’aurai peut-être une vision différente.
Mais qui est donc Sarah Bouhaddi, en dehors d’un terrain ?Comme tout le monde. Quelqu’un de tranquille, qui fait son entraînement, qui fait son travail avant de rentrer à la maison. Je peux aller me promener en ville ou manger au restaurant. Je suis quelqu’un de très simple.
Tu as l’air d’être super proche de Dzsenifer Marozsán. C’est ta meilleure pote à Lyon ?Avec Dzenifer et Amandine Henry, on forme un trio inséparable. Bon, Amandine a aussi sa vie privée en dehors du terrain, donc je me retrouve très souvent avec Maro.
Plus généralement, voir le vestiaire s’internationaliser, c’est quelque chose de rafraîchissant ?Oui, ça fait du bien ! Ce mélange apporte une mentalité différente. Après il faut respecter un certain équilibre, parce que ce n’est pas possible de construire un effectif avec que des internationales. Aujourd’hui, à Lyon, on a réussi à trouver cet équilibre.
As-tu des pistes pour ton avenir après ta carrière de footballeuse ?Pas encore. J’ai passé quelques diplômes d’entraîneur, je verrai à la fin si j’ai encore envie de rester dans le monde du foot, dans le monde du sport, ou si je veux passer à autre chose. C’est encore trop tôt, parce que j’ai encore envie de jouer et d’apporter ma pierre à l’édifice. Mais je n’ai pas peur de la suite. Si demain, je dois aller travailler dans un autre domaine, je le ferai avec plaisir. Être sportive de haut niveau, ce n’est pas à vie et je sais que dans quelques années, je vais devoir me mettre dans une vie active « normale » . Il y a quelques années, je travaillais dans l’animation avec les jeunes enfants en mairie. J’aime bien ce milieu.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger
* 3 défaites en D1 (Juvisy en mars 2010, PSG janvier 2014 et PSG en décembre 2016), 2 en Coupe de France (Juvisy en 2011 et PSG en 2017) et 5 défaites en C1 (Potsdam en mai 2010, Wolfsburg en mai 2013, Potsdam novembre 2013, PSG novembre 2014 et Manchester City en avril 2017)