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Sarah Boudaoud : « Depuis la Coupe du monde, tout le monde sait qu’une fille peut jouer au foot »

Propos recueillis par Tara Britton et Julien Duez
Sarah Boudaoud : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Depuis la Coupe du monde, tout le monde sait qu&rsquo;une fille peut jouer au foot<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Quand elle ne joue pas avec Issy-les-Moulineaux en D1, Sarah Boudaoud occupe un poste d’assistante parlementaire à l’Assemblée nationale, bûche ses partiels à Sciences-Po et représente l’Algérie sur la scène internationale. Entretien majeur avec la latérale droite la plus complète du monde.

Peu après la montée d’Issy en D1, tu as commencé un deuxième master à Sciences-Po, ce qui doit être assez lourd à gérer. Pourquoi ?Un master en finance et stratégie, précisément. Je confirme : c’est très lourd, beaucoup plus que je ne l’imaginais. Mais après mon premier cursus en management et affaires publiques, j’avais l’impression d’être trop axée sur la sphère institutionnelle. J’ai un tempérament d’entrepreneuse, je voulais engranger des connaissances qui me permettraient de développer ma propre boîte et de rester indépendante. Ce qui n’est pas possible sans compétence financière et stratégique.

Cet amour des études, il te vient de ton environnement familial ?Oui, au niveau de la discipline et de l’ambition. Mes deux parents sont profs : ma mère de physique-chimie en collège, mon père de dessin en bâtiment en lycée professionnel. Ils ne m’ont jamais imposé de contrainte si ce n’est à neuf ans, quand je leur ai dit que je voulais faire du foot, parce que ce n’était pas forcément beaucoup pratiqué par les femmes à l’époque. C’est pour ça que par la suite, ils m’ont poussée à intégrer le pôle espoir de Vaulx-en-Velin plutôt que le programme de l’Olympique lyonnais. Ils étaient contre l’idée que je perde un an au lycée, ce qui aurait été le cas avec l’OL, puisque les filles passaient leur bac en quatre ans à l’époque.

Tu es la première de ta famille à avoir intégré Sciences-Po.Au vu du prestige que ça renvoie, c’est une énorme fierté pour mes parents. Après mon bac S, ils m’ont suggéré de faire math sup-math spé. Mais l’idée de bosser deux ans à fond me plaisait peu, car je voyais mal comment combiner ça avec le foot. Donc j’ai tenté le concours et découvert d’autres horizons comme les sciences sociales, où j’ai tout de suite accroché.

Il ne faut pas hésiter à dire qu’on fait du sport à haut niveau, c’est une compétence transposable dans le milieu professionnel.

Ta casquette de footballeuse t’a-t-elle servie, à ce moment-là ? Je vais vous répondre avec une anecdote. Pendant l’oral d’admission, j’étais atrocement stressée. On n’arrêtait pas de me dire de boire de l’eau, pour me détendre avant de commencer ! Et quand j’ai parlé de mon parcours à l’OL – on venait d’être championnes de France U19 -, l’atmosphère s’est tout de suite détendue. Donc, c’est un peu ma carte « chance » . Depuis, je le rappelle tout le temps à mes coéquipières : il ne faut pas hésiter à dire qu’on fait du sport à haut niveau, c’est une compétence transposable dans le milieu professionnel.

Tant mieux, parce que le foot ne semble pas toujours bien perçu dans les sphères élitistes…Mais le fait de jouer en étant une femme, c’est bien vu. Parce que dans leur tête, c’est rare. C’est aussi un bon point de jouer à haut niveau, ils sentent que j’ai des engagements extérieurs qui sont forts et un rythme de vie élevé. Ça ne veut pas dire qu’ils sont tolérants pour autant au niveau des devoirs, mais il y a toujours eu une sorte de respect et d’admiration de la part de mes professeurs.

Tu es actuellement à un niveau bac+5, ce qui reste assez peu fréquent dans le sport de haut niveau. Est-ce que ça te confère un statut d’ « intello » au sein du groupe, à Issy ?Un peu, forcément. Ça a évolué entre la D1 et avant. Le fait que je sois plus exposée médiatiquement aujourd’hui fait que je ne suis plus perçue de la même manière, c’est dommage.

Tu le vis mal ?À titre personnel, je trouve ça assez valorisant de réussir à aller en cours et d’avoir de bonnes notes tout en combinant les entraînements ou les matchs. Mais il y a aussi eu des périodes où c’était très dur, et c’est le cas aujourd’hui, parce que j’ai beaucoup plus de connaissances à ingurgiter sur des périodes plus courtes tout en jouant des matchs plus intenses. Je suis plus stressée dans ma gestion du temps, et mon manque de sommeil peut avoir une incidence sur mes performances. Jusqu’à présent, je l’ai plutôt bien géré. Mais cette année, j’ai un peu plus de mal.

On dirait que tu sers de courroie de transmission entre les joueuses qui n’ont à s’occuper que de foot et celles pour qui l’après-carrière n’est pas du tout assuré, qui doivent donc gérer un projet en parallèle.C’est exactement ça. Mais ce sur quoi je veux insister, c’est qu’on peut être une sportive épanouie peu importe le niveau auquel on joue. Que ce soit dans une structure pro comme l’OL, ou avec le statut amateur comme à Issy. L’épanouissement sur le terrain ne doit pas être un frein à la poursuite d’études supérieures, et dans mon cas, ça s’est vérifié quand je suis allée un an aux États-Unis dans le cadre de ma L3 à Sciences-Po.

Là-bas, tu as porté les couleurs des Gators de l’université de Floride. C’était comment ?Après le bac, certaines de mes coéquipières ont passé des détections à Clairefontaine pour obtenir une bourse et y partir directement. Je traînais un peu ce regret de ne pas l’avoir fait, donc quand la possibilité de partir à l’étranger s’est présentée, je n’ai pas hésité une seconde : je voulais partir aux États-Unis. En plus, en Floride, tu as le soleil et des installations de dingue. Tu vis ta meilleure vie pendant un an, alors je n’ai pas cherché plus loin. La coach a été convaincue par mon CV sportif, et m’a dit de venir quelques jours avant la rentrée pour visiter le campus. On y est allés avec mon père, mais il y a eu un problème.

Lequel ?La NCAA, qui gère les compétitions universitaires, ne voulait pas que j’intègre l’équipe, car j’étais seulement en échange. On m’a donc proposé une bourse pour y rester les trois années suivantes, mais il fallait que je donne ma réponse dans la journée.

Et tu as répondu quoi ?J’ai pleuré, j’étais dégoûtée ! J’ai dit non dans les trois minutes qui ont suivi, parce que j’étais déjà étudiante dans une très bonne école à Paris et que j’étais sur le point d’avoir mon bachelor. Donc à ce moment-là, je savais que je ne pouvais pas mettre ça de côté juste pour jouer au foot à plein temps. Le plus surprenant, c’est que mon père a douté de ma réponse et m’a dit : « À ta place, peut-être que j’aurais choisi le foot. » Finalement, j’ai pu intégrer la club team, l’équivalent de la réserve, et j’ai joué une saison complète.

Il faudra encore attendre une dizaine d’années, avant que la plupart des joueuses puissent vraiment vivre du foot.

Ce n’est peut-être pas trop tard pour rétropédaler, puisque tu n’as que 24 ans.Quand j’ai eu mon premier diplôme, j’ai effectivement envisagé de ne faire que du foot pendant un ou deux ans. Pourquoi pas à l’étranger, pour voir autre chose. Pendant un moment, je me voyais bien bosser à l’UEFA, donc jouer en Suisse aurait été un super compromis. Mais en parallèle, je ne voulais pas lâcher mon poste d’attachée parlementaire que j’ai décroché en décembre 2018 et qui me permet de commencer à comprendre un peu mieux la politique. Donc pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis épanouie en France, et il n’y a rien de péjoratif à cela.

D’une certaine manière, tu incarnes ce fameux double projet que l’ancienne génération a été contrainte de mener de front. Mais qui, malgré le boom de la professionnalisation, n’a pas complètement disparu.Beaucoup imaginent en effet pouvoir jouer à haut niveau et vivre du foot toute leur vie sans devoir travailler derrière, mais ce n’est pas du tout le cas. Une carrière, ça s’arrête généralement autour de 30-35 ans, et on peut aussi avoir envie de faire un enfant. Alex Morgan vient juste d’en avoir un, et elle est déjà de retour sur les terrains ? C’est super pour elle, mais il y a aussi des femmes qui ne souhaitent pas l’imiter ou qui n’ont pas la possibilité d’avoir les mêmes aménagements qu’elle. C’est pour ça qu’il faut avoir d’autres cordes à son arc, les filles ne le voient pas assez. Avec les médias et les réseaux sociaux, l’image de la vie d’une footballeuse professionnelle est enjolivée. On voit encore moins les problématiques économiques, qui peuvent se poser en parallèle.

N’y aurait-il pas eu un emballement, avec le Mondial 2019 ?Il y a eu un effet Coupe du monde, puisqu’on a passé le cap des 200 000 licenciées. Depuis, tout le monde sait qu’une fille peut jouer au foot. En revanche, c’est une petite minorité qui peut en vivre pleinement. En D1, Issy est l’un des rares clubs encore amateurs même si la structure se professionnalise. On a cinq filles sous contrat fédéral, elles vivent du foot comme si elles avaient un CDD sur une période de deux ans. Mais derrière, quelles perspectives ont-elles ? Bien sûr que ça peut les pousser à se révéler, et elles pourraient gagner plus en intégrant un autre club de D1. Mais la professionnalisation, ça prend du temps. Il faudra encore attendre une dizaine d’années, avant que la plupart des joueuses puissent vraiment vivre du foot.

Vouloir devenir footballeuse professionnelle, est-ce finalement raisonnable ? Je pense, oui. D’autant plus si ce sont des jeunes, puisque le football féminin va continuer de se structurer. Mais il faut garder en tête qu’il y a peu d’élues, et pour ça, les enfants ont besoin d’être bien accompagnés par leurs parents. Ainsi que par les fédérations, l’éducation nationale et les clubs.

On peut être une sportive épanouie, peu importe le niveau auquel on joue.

La FFF doit-elle en faire plus, pour accompagner les joueuses ?La fédé, c’est l’institution qui est au-dessus et chapeaute tout. S’il doit y avoir un acteur principal pour aider à l’insertion et la reconversion, ce sont les clubs car ce sont les acteurs les plus proches des joueuses. À ce titre, je me présente sur la liste avec Thierry Mercier dans le cadre des prochaines élections de la Ligue Paris Île-de-France. Je le rejoins sur la thématique performance et insertion professionnelle. C’est ce qui m’anime le plus, au-delà du football féminin. Si j’arrive à avoir cette responsabilité, on part sur un gros chantier car les clubs doivent être davantage structurés de l’intérieur sur cette question et la Ligue doit être un soutien.

Puisqu’on parle d’élections, tu bosses également comme assistante parlementaire. Ton député, Julien Borowczyk, siège à la commission des affaires sociales, mais il représente surtout la sixième circonscription du département de la Loire. Vu que tu es du Rhône, ça clashe footballistiquement parlant de temps en temps ?Non, le foot lui passe au-dessus de la tête, même si on se taquinait un peu au début. Et comme on gagne tous les derbys, il n’y a pas débat ! (Rires.) En revanche, c’est vrai que ma casquette de sportive est un atout qui m’aide à me démarquer. Je le vois en étudiant les candidatures qui arrivent dans son bureau. Parfois, on vient de la même école, mais on peut ressentir une certaine forme de formatage dans le profil de la personne. Dans mon cas, quand je dois quitter le bureau plus tôt parce que j’ai entraînement, on se dit : « Ah, elle arrive à cumuler les deux, ça veut dire qu’elle est indépendante. »

Comment vous avez commencé à travailler ensemble ?On s’est rencontrés lors d’un déjeuner organisé par une connaissance commune, il venait de perdre son attaché parlementaire et mon profil lui plaisait pour le remplacer à temps plein. Encore une fois, il n’était pas question de lâcher mon cursus, donc il m’a proposé de prendre le temps d’y réfléchir. Une semaine plus tard, on a signé un CDI à temps partiel.

Avec les médias et les réseaux sociaux, l’image de la vie d’une footballeuse professionnelle est enjolivée. On voit encore moins les problématiques économiques, qui peuvent se poser en parallèle.

L’apprentissage de la politique vu de l’intérieur, ça se matérialise comment ?Déjà, j’apprends énormément au niveau du travail en circonscription. Comme je suis lyonnaise, c’est un environnement que je ne connaissais pas au départ. Mais en travaillant à Paris, je travaille énormément sur l’aspect parlementaire à proprement parler. En matière de relecture de propositions de lois, de notes de synthèse… Cela peut paraître assez bureaucratique, mais j’ai la chance d’avoir un député très pragmatique et qui réfléchit énormément au processus de rédaction, peu importe le domaine, pour savoir ce que l’on veut voir éclore.

Borowczyk est élu sous l’étiquette LREM, votre collaboration est-elle aussi basée sur une appartenance idéologique commune ?Je ne suis encartée nulle part, et même si je pense que je ne pourrais pas travailler avec un parti extrême, ce qui prime, c’est que je n’ai pas de désaccord de principe avec mon député. Et aussi d’être au service d’une cause qui me dépasse, de toujours mettre l’intérêt général au centre de ce que l’on fait.

Cette expérience peut te conduire à t’engager, toi aussi, en politique non sportive à l’avenir ?C’est une question que je ne me suis pas encore posée. (Elle réfléchit.) Enfin si, évidemment, je me la suis déjà posée parce qu’on m’en a déjà parlé et je ne peux pas forcément répondre non, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. La politique est un domaine dans lequel tu dois te donner à 200%, et pour l’instant, je n’ai pas le temps, justement à cause de mes autres casquettes. Là, j’aimerais m’investir davantage dans l’entrepreneuriat.

Je suis épanouie en France, et il n’y a rien de péjoratif à cela.

Justement, tu as récemment créé l’association « Wogether » qui s’occupe de l’accompagnement des sportives. Tu peux nous en dire plus ? Je pense qu’on n’est généralement pas assez accompagnée dans les clubs, car il y a encore un défaut d’interlocuteurs. Le but de l’asso est donc d’identifier un acteur vers lequel se tourner pour répondre à ce manque et à terme, qu’elle devienne une fiche technique que l’on pourrait copier-coller de telle sorte que chaque club ait sa « Wogether ».

La dernière vignette de ton album Panini personnel est la sélection algérienne que tu as rejointe en janvier 2020, comment ça se passe ? Pour l’instant, je n’ai pas vécu grand-chose à cause de la Covid. Ça m’a au moins permis de voyager, puisqu’on m’a convoquée pour un stage avant la CAN à Sidi Moussa (le Clairefontaine algérien, où se réunissent habituellement les Fennecs, N.D.L.R.). On était nourries et logées dans d’excellentes conditions et on a même eu droit à une visite de Djamel Belmadi, qui venait de remporter la CAN avec l’équipe masculine. Les filles avaient des étoiles dans les yeux, ça montre que les barrières entre foot masculin et féminin sont en train de tomber.

Dans quel sens ?Il y a encore une grosse marge de développement, mais ça va dans la bonne direction. La victoire des garçons à la CAN a apporté beaucoup plus de moyens, et chaque sélection veut désormais améliorer son équipe féminine. Notre staff s’est bien étoffé, on suscite désormais l’intérêt des médias nationaux et j’ai pu vérifier que l’engouement de la population est réel quand des gens à l’aéroport prenaient des photos avec nous. Je n’ai pas encore beaucoup de recul, mais je reste très optimiste pour la suite.

Quels liens tu avais avec ce pays, auparavant ?J’ai de la famille du côté de mon père en Kabylie, à Béjaïa. J’y suis allée une fois en vacances, quand j’avais onze ans. L’attachement est donc familial, avant tout. La première fois que j’ai été appelée, c’était à mon retour des États-Unis. Mon grand-père, décédé depuis, avait été particulièrement ému. Intégrer Sciences-Po, c’était déjà quelque chose. Mais la sélection, c’était au-dessus de tout.

Sachant que tu es un pur produit de la République française, pourquoi avoir fait le choix des origines ?Sur le moment, je me suis remise en question parce que j’avais joué en jeunes avec la France. Mais quand une sélection A t’appelle, ça change tout. Et si je peux jouer un rôle moteur dans le développement du foot féminin en Algérie, je serai contente de le faire. Ce qui m’anime, c’est d’être utile.

Finalement, avec toutes ces casquettes, qu’est-ce qu’il te reste comme temps pour vivre la vie d’une jeune femme de 24 ans ?Je n’ai envie de dégoûter personne, mais c’est vrai que pour assumer toutes ces activités, il faut faire des sacrifices. Pour moi, ça s’est fait assez naturellement, et mon entourage proche est assez restreint. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas faire la fête comme les autres étudiants de mon âge, c’est juste assez rare. Mais ces activités sont avant tout des passions, et je ne m’investirais pas dedans si ce n’était pas le cas. Comme je n’ai que le dimanche pour me reposer, je suis assez fatiguée… Mais épanouie.

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Propos recueillis par Tara Britton et Julien Duez

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