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Santillana : « Le public du Bernabéu peut aussi marquer un but »
643 matchs, 290 buts et une montagne de titres. Carlos Santillana est ce que l'on appelle une légende au Real Madrid. Merengue de 1971 à 1988, le troisième meilleur buteur de l'histoire de la Maison Blanche a connu quelques-unes des plus belles remontadas de son club. C'est donc en connaisseur qu'il se projette sur la rencontre qui attend l'équipe de José Mourinho, ce soir au Santiago Bernabéu. Un match forcément particulier.
Quels sont les ingrédients pour réussir une remontada ?Le plus important, c’est que l’équipe sorte des vestiaires avec la conviction qu’elle peut le faire. Il faut exercer une pression sur la défense adverse dès les premières minutes et récupérer le ballon le plus rapidement possible. Se battre sur tous les ballons comme si c’était le dernier du match. Cette mentalité de gagneur, c’est la clé. Mais il ne faut pas oublier de jouer au foot. Il faut avoir une parfaite connaissance du jeu que l’on veut produire. Jouer vite avec le ballon dans les pieds, écarter sur les côtés… Les adversaires sont très regroupés en début de rencontre, dans ce genre de situation. Je suppose que Mourinho a déjà établi une tactique très précise.
Le Real peut y croire, selon vous ?Le plus important, c’est que les grands joueurs jouent à leur véritable niveau. Cristiano, bien sûr, mais aussi des joueurs comme Özil, Xabi Alonso ou Sergio Ramos. Si ces grands joueurs répondent présent, avec le Bernabéu plein et qui pousse, la remontada est possible. Il faut que les joueurs oublient la pression et qu’ils prennent du plaisir. C’est, d’ailleurs, ce qu’ont fait les joueurs de Dortmund à l’aller. S’ils l’ont fait, pourquoi pas nous ? Il faut rendre la monnaie de sa pièce au Borussia. Ce sera dur, bien sûr, mais c’est possible. Il faut y croire.
Vous avez connu quelques-unes des plus belles remontées de l’histoire du Real. Quels souvenirs avez-vous de ces matchs ?C’étaient des matchs pleins d’émotion. Mais tout était différent par rapport à aujourd’hui. À l’époque, dans l’équipe, il n’y avait que deux joueurs étrangers. Aujourd’hui les plus grandes stars internationales jouent dans cette équipe. Nous, on misait tout sur notre force physique, notre caractère, notre envie d’y arriver. Nous n’avions pas la qualité du Real actuel, c’est évident. Et puis, à l’époque, les arbitres étaient un peu plus souples, aussi. Ils permettaient plus d’agressivité dans le jeu. C’était l’idéal pour les guerriers comme nous. Aujourd’hui, les arbitres sortent des cartons jaunes dès qu’il y a la moindre petite faute. Après, le football reste le football… Nous, on avait le cœur, eux ils ont le talent. S’il y a un mélange de tout ça, ce soir au Bernabéu, ça peut marcher.
« Benzema est loin d’avoir mon caractère »
D’autant qu’une grosse ambiance est à prévoir, ce soir à Madrid…Oui. C’est métaphorique, mais je crois que le public peut aussi marquer un but. Si le Real joue bien et qu’il fait un match comme il en a l’habitude en Coupe d’Europe, l’ambiance va être incroyable. Ça se voit dans de nombreux stades, d’ailleurs. Au match aller, à Dortmund, par exemple. Le public a porté son équipe. Les supporters ont poussé les joueurs pour qu’ils marquent toujours plus de buts. Si les Madrilènes marquent deux buts, le Bernabéu inscrira le troisième.
Jorge Valdano a dit un jour que le Bernabéu intimidait les adversaires du Real. Le célèbre « miedo escénico » . L’ambiance de ce soir peut-elle impressionner le Borussia ?
On a commencé à parler de cette « peur panique » après nos grandes victoires. Les équipes qui venaient au Bernabéu avaient toujours un peu peur. Les joueurs se demandaient ce qui pouvait leur arriver. Mais je crois que ça n’existe plus aujourd’hui. Tout le monde peut gagner à l’extérieur. Avant, quand tu jouais à l’extérieur, tu souffrais énormément. Les arbitres avaient pour habitude de siffler en faveur de l’équipe qui jouait à domicile… C’était vraiment compliqué. Et c’était aussi le cas, quand on jouait au Bernabéu, bien sûr. Mais aujourd’hui tout est plus stratégique, plus tactique.
Peut-on comparer votre Real à celui d’aujourd’hui ?Aujourd’hui, on essaye de faire renaître l’ambiance de l’époque autour de la remontada. Et quelque part, ça fonctionne. Mais il ne faut pas mentir aux gens : les joueurs sont différents. Benzema est loin d’avoir le même caractère que Juanito, Camacho ou le mien, par exemple. Il est difficile de croire qu’il va se passer la même chose à chaque fois. Après, la force du Real d’aujourd’hui, c’est la qualité de l’effectif. Les joueurs actuels n’ont pas besoin de se battre autant que nous, tout simplement parce qu’ils sont plus talentueux. Cristiano, Özil, Di María, Higuaín, Xabi Alonso… Ils peuvent venir à bout de n’importe quelle équipe en se contentant de jouer au foot.
« Pas le même amour du maillot qu’à notre époque »
Il manque donc des joueurs de caractère dans cette équipe ?Je ne suis pas dans le vestiaire donc c’est difficile à dire. Je me répète, mais, à mon époque, il n’y avait que deux étrangers dans l’équipe. Les autres joueurs étaient tous de la maison, des Espagnols. Ça facilite forcément les choses pour unir une équipe quand la majorité des joueurs sont d’une même nationalité. J’étais le capitaine avec Juanito et Camacho et je peux vous dire que l’on n’avait aucun problème pour maintenir l’union au sein du groupe avec Michel, Butragueño ou Gordillo… Il y avait un grand respect entre nous. Aujourd’hui, tout a changé. Il n’y a plus que deux ou trois Espagnols dans l’équipe titulaire… Je ne pense pas que les joueurs d’aujourd’hui éprouvent les mêmes sentiments pour ce club. Qu’ils ont le même amour du maillot que nous. Attention, je ne doute pas de leur professionnalisme. Ils veulent tous atteindre la finale et faire le plus beau match de leur vie, c’est certain. C’est juste qu’aujourd’hui, les choses se vivent différemment. Et c’est normal, c’est inhérent à l’évolution du foot.
Il y a pourtant des joueurs comme Iker Casillas ou Sergio Ramos…C’est vrai, mais ils ne sont que deux ! Ce sont deux joueurs avec beaucoup de caractère et un très bon état d’esprit. Même si Iker ne joue pas en ce moment. Ils sont très madridistas. Ce n’est pas un hasard si ce sont les leaders du vestiaire…
Comment expliquez-vous la déroute madrilène au match aller ?J’ai encore du mal à comprendre ce qu’il s’est passé. Nous aussi, on a vécu ça. Il y a toujours des matchs où tu n’es pas dans le coup. Où l’adversaire est au-dessus physiquement. Le Borussia est une équipe très puissante. Ce soir-là, à Dortmund, les meilleurs joueurs de l’équipe ont brillé, comme Lewandowski, qui est un attaquant extraordinaire. Ils ont marché sur le Real. Il n’y a pas d’explication cohérente. Le Real a eu un mauvais jour, c’est tout. Ce soir, on peut avoir le scénario inverse.
Mourinho est-il l’homme de la situation pour inverser la tendance ?Je ne le connais pas, mais je suppose qu’il a les capacités nécessaires pour emmener le Real à la victoire. Il a une très grande expérience et il a prouvé à de nombreuses reprises que c’était un grand meneur d’homme. À Chelsea, à l’Inter. Donc oui, c’est l’homme qu’il faut.
« Il n’y aura pas de changement d’hégémonie »
Une élimination serait un véritable échec, non ?Non. Perdre en demi-finale de la Ligue des champions ne peut pas être considéré comme un échec. On est à un stade de la compétition où tout peut arriver. Après, tout n’a pas été parfait, c’est sûr. Le problème, c’est qu’on a perdu la Liga beaucoup trop cette saison. On est en finale de la Coupe du Roi (le 17 mai prochain face à l’Atlético Madrid, ndlr), mais ce n’est pas une compétition avec la même saveur que la Coupe d’Europe ou le championnat. Ne pas gagner la Decima serait, évidemment, une grande déception, mais je ne pense pas pour autant qu’on puisse parler d’échec.
Une finale 100% allemande serait-elle le point de départ d’une nouvelle hégémonie sur le foot européen ?Je ne pense pas. Le Barça a perdu 4-0, ok. Mais ça reste une très grande équipe, capable de battre n’importe qui. Et je ne pense pas qu’une élimination change leur manière de jouer au foot. Ça fait 5 ans qu’ils jouent comme ça ! Même chose pour le Real. Après, oui, c’est peut-être l’année du foot allemand. Mais ça ne veut pas dire que les dix prochaines années seront dominées par l’Allemagne, loin de là.
Vous serez présent au Bernabéu ce soir ?Non, malheureusement, je ne suis pas à Madrid. Je vais voir le match tranquillement à la télé. Entourés d’amis, comme d’habitude (rires) ! Et en espérant que l’on pourra se qualifier. Un petit 3-0, ce serait parfait, non ?
Propos recueillis par Grégory Blasco