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Santander : l’épopée des fauchés

Par Robin Delorme, à Madrid
5 minutes
Santander : l’épopée des fauchés

L’histoire récente du Racing Santander, c’est celle d’un conte de fées qui se termine mal. Celle d’un club centenaire qui s’imaginait sur le toit de l’Espagne et sombre en 3e division. Celle d’un président qui ne paie plus des joueurs pourtant qualifiés en quarts de la Copa del Rey. L’histoire du football espagnol dont on ne parle plus.

L’Espagne a appris à ne pas parler des sujets qui fâchent. Elle ferme souvent les yeux sur les problèmes qui la touchent. Elle fait le dos rond et attend. Attend de se réveiller face à un événement qu’elle ne pourra ignorer. Dernièrement, la ville de Burgos a vu son train-train quotidien bouleversé. Exaspérés, les résidents d’un quartier se sont soulevés face aux aberrations de son maire. En cause, la rénovation d’un boulevard pour un coût de 8 millions d’euros alors que des milliers de personnes ne touchent même plus la moindre allocation chômage – on ne parle même plus des sans-emploi. Pendant ce mois de janvier, une autre Espagne, celle du football, a également connu son « Gamonal » (du nom du quartier de Burgos) : le Racing Santander. En apparence, le Racing vit un conte de fées. Qualifié pour les quarts de finale de la Copa del Rey, il en est le Petit Poucet, lui le modeste pensionnaire de Segunda B. Mais derrière ce parcours inattendu, il y a le récit d’un club au bord du gouffre. Après deux descentes consécutives, sans un sou en poche, le fanion centenaire ne paie plus ses joueurs. Des joueurs au bout du rouleau.

Ahsan Ali Syed, ce Kachkar qui ne fait plus rire

Pour qu’une descente soit si abrupte, encore faut-il avoir rêvé. Le Racing a pas mal rêvé, le temps de quelques semaines, qu’il allait pouvoir squatter les cieux de Liga en compagnie des Barça et Real. À l’instar d’un Málaga et son cheikh, un richissime milliardaire débarque. Ahsan Ali Syed, aka Mister Ali, a fait fortune dans le business. De cet entrepreneur indien à la fortune estimée à huit milliards de livres, on ne connaît pas grand-chose. Qu’importe, ces gros sous font rêver. Contre 40 millions d’euros, il rachète le club et ses dettes en janvier 2011. Il vient pour « faire que le club soit rentable et compétitif tant au niveau national qu’international » . Avec des rêves plein les yeux, toutes les entités en lien avec le club – la région de Cantabrie, les investisseurs locaux, le président du club… – sont confiants. Entre sa vie en Suisse et à Dubaï, Mister Ali aura bien le temps de passer dans ce vétuste Sardinero. De toute façon, il l’a promis : pour étoffer un palmarès inexistant, il va « investir 100 millions d’euros d’ici 2015 » . Jack Kachkar, aussi, avait beaucoup promis.

Car il ne faudra qu’un mois et demi pour comprendre. Comprendre la supercherie d’un Indien qui croyait s’offrir un club de cricket. Dès mars, une délégation de joueurs emmenée par Munitis prend rendez-vous avec le boss. À l’ordre du jour, des salaires qui n’arrivent pas. Le propriétaire rassure son monde, les salaires vont être virés. Mi-mars, toujours rien. Début avril, pas l’ombre d’un transfert bancaire. Le 21 de ce mois, le club est donc obligé de souscrire un crédit de deux millions d’euros. La descente aux enfers peut commencer. Après des révélations de Marcaet El Mundo, le Racing Santander apprend les ressorts de la supercherie : en rachetant le club, Mister Ali se voulait un intermédiaire pour sitôt le revendre à des éminences du Bahreïn. Problème, aucun cheikh à l’horizon. En quelques semaines, les joueurs se plaignent officiellement de ne pas recevoir leurs salaires, Marcelino Garcia Toral rompt son contrat, puis, sous la pression du gouvernement de Cantabrie, le club est obligé de recourir à la « Ley Concursal » : la faillite est officielle, le club est « sauvé » .

Trois mois et treize heures

En quelques mois, le club passe du rire aux larmes. En deux ans, il chute de la Liga à la Segunda Division B. C’est donc en troisième division que le Racing Santander débute cette saison 2013-2014. Avec un effectif rajeuni entouré de quelques vieux loubards, le fanion centenaire fait bonne figure. Mieux, il pointe à la fin de l’année à la première position de son groupe – il en existe quatre. Mais le sportif est accessoire. Depuis juin dernier, Mister Ali, dont Interpol est à la recherche, a renoncé à 99,98 % de ses actions dans le club. Une anecdote. Car depuis juin 2012, c’est Angel Lavin, aka Harry, qui occupe la présidence. Sauf que lui n’est pas un ami qui vous veut du bien. Plus intéressé par son train de vie présidentiel, il s’octroie un salaire onéreux alors que le club a toujours une dette de 50 millions d’euros. Depuis trois mois, joueurs et employés ne reçoivent plus de salaires. Certains ne peuvent plus payer leur loyer, d’autres logent chez des proches. Avec quelques espoirs dans son effectif, le club pourrait dégraisser. Mais rien n’est simple au Racing. En sous-main, l’ancien président qui avait attiré Ahsan Ali Syed, et qui est un proche de « Harry » , manœuvre.

Ainsi, Dani Sotres, portier des U21 espagnols, avait un accord pour un transfert vers Huelva. Pour ce faire, il devait prendre un certain Eugenio Bota en guise d’agent. La raison : Eugenio est un ami d’Angel Lavin et Francisco Pernia, actuel et ex-président des Verdiblancos. Le transfert foire, le club est au plus mal. Cette situation rocambolesque, personne n’en aurait eu vent en Espagne. Le parcours homérique des hommes de José Aurelio Gay en Copa del Rey change la donne. Après avoir sorti le FC Séville en seizièmes de finale (2-0 au Sanchez-Pizjuán, 0-1 au retour), ils se sont offert le scalp d’un autre club andalou de Liga en huitièmes. Et se sont montrés aux yeux d’une Espagne qui ne veut les voir. À l’aller, au Sardinero, les joueurs restent immobiles durant les 20 premières secondes. En tribunes, les supporters, exaspérés, s’en sont violemment pris à la direction. Après ce 1-1 de l’aller, le retour ne devait être qu’une formalité pour Almería. Après treize heures et 1000 km avalés en bus, le Racing va pourtant s’imposer 2-0. À leur retour à Santander, les vainqueurs sont fêtés par les supporters. Eux ne savent pas trop quoi ressentir. « L’espoir est ce qui nous fait bouger » , lâche Granero, groggy après ce trajet. Aujourd’hui, qu’il se rassure, le Racing reçoit.

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