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Santa Cruz : 100 ans à la vie, à la mort (Part II)

Par Eric Delhaye, à Recife (Brésil)
Santa Cruz : 100 ans à la vie, à la mort (Part II)

Cette année, le Santa Cruz FC a fêté son centenaire. Un siècle au cours duquel l'histoire du club brésilien de Recife s'est moins jouée sur le terrain que dans ses tribunes. Où après une messe, un stop pour manger du cochon grillé et une conversation avec Jesus dans la première partie publiée hier mardi, il est ici question d'une cuvette de WC meurtrière et de matchs de D4 devant 60 000 torcedores.

Santa Cruz : 100 ans à la vie, à la mort (Part I)

Qu’il le veuille ou non, Jesus Tricolor est un torcedor símbolo, comme on baptise les supporters stars des clubs brésiliens. Le Santa Cruz en compte d’autres, dont le plus secoué habite Garanhuns, à 230 km de Recife, un peu plus dans les terres. Difficile de rater la maison de Bacalhau : son parvis et sa façade sont aux couleurs du club. Tout comme l’intérieur, du sol au plafond, et dans le moindre détail puisque même le papier hygiénique est noir-blanc-rouge. Idem pour son futur cercueil et le caveau qui l’attend dans le cimetière de la ville. Le septuagénaire lui-même s’est joliment peint les cheveux et les ongles, jusqu’à ses dents toutes arrachées et remplacées par des implants tricolores. La mascotte du club a poussé le vice jusqu’à avoir onze enfants et se rendre un jour à Salvador à vélo, soit 1 000 km en quinze jours, tout ça pour se tromper de tribune, s’asseoir au milieu des supporters adverses et voir le Santa Cruz encaisser cinq pions à zéro.

Bacalhau n’est que l’épiphénomène folklorique de la passion qui anime les supporters du Tricolor, ce que traduit l’un des surnoms du club : « O Mais Querido » , le plus aimé. Un titre nullement galvaudé. La preuve : alors que des gestions désastreuses provoquent trois relégations successives, plongeant le club dans les abysses de la série D en 2008, la ferveur populaire redouble à Arruda. En 2011, toujours en 4e division, le Santa Cruz possède la meilleure moyenne de spectateurs du pays avec 37 000 spectateurs, loin devant les puissants de série A que sont Corinthians et Santos. En 2012, il se classe à la 39e position dans le top 100 des meilleures affluences mondiales. Enfin, le match de l’accession en série B, en novembre 2013 contre Betim, s’est joué devant plus de 60 000 torcedores. « Souffrir ensemble, en groupe, constitue une identité, observe alors le psychologue Jacques Akerman dans le magazine Veja. Le masochisme, d’un point de vue individuel autant que collectif, est une forme de plaisir. » Normal donc que le public revendique le titre de « Torcida Mais Apaixonada Do Brasil » .

Expéditions illégales et policiers bizuteurs

Pour s’en assurer, il suffit de gravir l’étage d’un immeuble foutraque du centre-ville. Le réduit, qui ne désemplit pas, est l’une des boutiques d’Inferno Coral, plus grande torcida organizada du Nord-Nordeste : « Dix mille abonnés et 100 000 sympathisants dans le pays » , annonce Amilton « Buiu » Lima, qu’on ne se risque pas à contredire. Colosse de 29 ans, tatoué du cobra coral emblématique du club, il est le directeur général de la torcida fondée en 1992. « L’idée a toujours été de transformer Arruda en chaudron et de faire vivre un enfer à nos adversaires, assène-t-il sans démentir la réputation sulfureuse du groupe. On s’autorise des actions illégales si c’est pour le bien du club. Avec d’autant moins d’hésitation que nous vivons dans un pays où la police elle-même se croit au-dessus des lois. » Ses meilleurs moments, il ne les racontera pas pour éviter les ennuis judiciaires. Mais, à mots couverts, il fait comprendre qu’il était dans le coup lors d’une expédition menée contre les supporters du Sport : au milieu de la nuit, des Tricolores se sont introduits dans le stade adverse pour cramer tout l’attirail de la Torcida Jovem, des drapeaux aux tambours.

De fait, les batailles rangées ne sont pas rares entre supporters des clubs de Recife, en pleine journée et en plein centre-ville où les torcidas organizadas ont leurs sièges, éventuellement au moyen d’armes à feu. En marge des derbys, des bus et des métros sont attaqués. Rarement du genre à calmer le jeu, des policiers eux-mêmes se sont illustrés, fin 2013, dans une vidéo sur laquelle on voit des militaires obliger des Tricolores à entonner, mains sur la tête, le « Cazá, Cazá, Cazá » , cri de guerre des rivaux rubonegros du Sport Club. Mais Inferno Coral, ce sont aussi une demi-douzaine de salariés, des caisses garnies par un merchandising offensif, des jeunes, des vieux, une section féminine, des actions sociales et l’un des plus grands drapeaux du monde, déployé à Arruda en 2007 : 175 mètres de large pour 45 mètres de haut et 12 000 euros de budget. On comprend que même « Buiu » ne voudrait pas que les bastons finissent par couler le business : « Nous voulons faire reculer la violence en nouant des relations avec les torcidas rivales. C’est la condition de notre survie. »

Skol, psychotrope et cuvette de WC

Chaque jour de match, on retrouve ce petit monde dans une rue voisine du stade. Le siège d’Inferno Coral monte en pression, au rythme de l’arrivée des groupes fédérés de chaque quartier de la ville. On engloutit des cannettes de Skol et on sniffe le loló, un psychotrope qui mélange éther et chloroforme dans des bouteilles en plastique. Chaque passage de la police militaire, en voiture ou à cheval, fait monter la tension d’un cran. Parfois, l’information d’une rixe impliquant des membres de la torcida déclenche le sprint de cent jeunes excités qui reviennent bientôt avec le sentiment du devoir accompli. Des policiers Robocop, juchés sur des motos trail, fendent la foule pour plaquer un adolescent contre une voiture et lui pointer un flingue sur la tête. Pour rien. Saison du centenaire ou pas, la situation est d’autant plus explosive que les résultats ne suivent pas. Fin avril, une cinquantaine de torcedores ont envahi le siège du club, pénétré le vestiaire avant l’entraînement, puis menacé joueurs et dirigeants. Le pire survient une semaine plus tard. Alors que le Santa Cruz vient de concéder un nouveau nul à domicile sous des trombes d’eau, les 10 000 spectateurs ont quitté le stade dont les lumières sont éteintes. Mais trois ombres rodent encore, se glissent dans les sanitaires, arrachent deux cuvettes de WC et les hissent au sommet de la tribune. Dans la rue en contrebas : les supporters du Paraná, renforcés par quelques ultras de la Torcida Jovem du Sport avec qui ils sont alliés. Projetées d’une hauteur de vingt-quatre mètres, les cuvettes pèsent l’équivalent de 350 kilos chacune quand elles atteignent leurs cibles. Trois hommes sont blessés. Le quatrième est tué sur le coup.

Paulo Gomes Ricardo da Silva avait 26 ans et il était membre de la Torcida Jovem. Deux jours plus tard, son cercueil est porté en terre par des torcedores vêtus du maillot du Sport. Le lendemain des obsèques, un membre d’Inferno Coral est arrêté sur dénonciation : Everton Felipe Santana, 23 ans, avoue avoir jeté la cuvette fatale. Le Santa Cruz avait rêvé un autre centenaire. D’autant que, sur le terrain, les joueurs n’ont jamais réussi à accrocher le wagon qui les aurait hissés en série A, l’objectif du début de saison. Un anniversaire qui aura senti tour à tour l’encens, les fumigènes et la mort. L’histoire du Santa Cruz Futebol Clube continue d’épouser celle de la société brésilienne, pour le meilleur et pour le pire.

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