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Santa Barbara

Par Andrea Chazy
7 minutes
Santa Barbara

Auteure de plusieurs prestations de haute volée depuis le début de la Coupe du monde, Barbara Bonansea est l’une des figures de cette Nazionale féminine. Avec son doublé décisif face à l’Australie, « Barbie » a provoqué un tremblement de terre aux quatre coins de la Botte, dans un pays où le foot féminin se construit lentement. Rebelote face à la Chine ce mardi soir en huitièmes ?

Au cœur d’un Allianz Stadium plein à craquer, Barbara Bonansea a la larme à l’œil. Il faut dire que dans sa carrière, la longiligne ailière de la Juventus n’en a pas joué beaucoup, des rencontres devant près de 41 000 spectateurs. En ce 24 mars 2019, à l’occasion d’un Juventus-Fiorentina de gala, Bonansea accomplit un rêve : celui de jouer dans un stade quasi à guichets fermés, comme les hommes. Un de plus. « Je voyais le nombre de billets achetés augmenter heure par heure avant la rencontre. D’un côté ça te motive, mais d’un autre, ce n’est pas le meilleur moyen pour faire redescendre la pression » , racontait-elle pour Undici peu de temps avant le début de la Coupe du monde. Et puis, face à l’Australie, dans un match où la Nazionale était menée et tout sauf favorite, « Barbie » , comme la surnomme sa mère, a pris son envol devant la terre entière.

« En Italie, devenir professionnelle pouvait être une ambition, mais personne n’en parlait, rembobine Giancarlo Padovan, son premier coach au Torino. Pendant des années, jusqu’à très récemment, le football féminin italien a été un foot pauvre qui générait très peu d’argent. Les joueuses étaient parfois payées peu, parfois pas du tout. L’explosion, on ne l’a eue que très récemment, lorsque Sky a décidé de diffuser tous les matchs féminins en disant que c’était la même chose que pour les hommes. Et l’autre explosion, on l’a eue avec ce Mondial, avec Sky et la Rai qui retransmettent les matchs. Italie-Brésil a été vu par plus de 7 millions de personnes ! C’est 2 millions de plus que pour la rencontre qualificative pour l’Euro 2020 masculin entre la Grèce et l’Italie masculine. Et il faut dire que ça n’aurait pas été le cas sans le doublé victorieux de Barbara face à l’Australie. »

Ma famille d’abord

Face aux Matildas, interdites d’évoluer en Serie A en raison du déficit de compétitivité du championnat aux yeux de la Fédération australienne, Barbara Bonansea a réussi l’impossible. Un doublé pour l’entrée en lice de sa sélection, avec un ultime but de la tête à la 95e minute. 2-1, un scénario rêvé, le tout sous les yeux de Sergio Bonansea, son père maçon de profession et un tout petit peu stressé. De l’avion, d’une part, ce qui l’a poussé à acheter un camping-car pour quand même rallier la France et suivre les exploits de sa fille. Puis de l’enjeu, ensuite, comme l’a affirmé son épouse au Corriere della Sera : « Sergio était tellement stressé qu’il m’a rapidement abandonnée pendant la rencontre, et a commencé à faire le tour de l’enceinte plusieurs fois. Il jetait des coups d’œil depuis les entrées de secteurs, pour voir comment ça se passait. » La partie une fois terminée et les embrassades passées, le trophée de « Meilleure joueuse du match » peut enfin rejoindre le monstre de fer de la famille Bonansea.

Une unité familiale autour de la réussite de leur joyau qui dure depuis les premières années. Padovan se souvient : « Ses parents ont toujours été très présents. Barbara est très « famille ».Le premier avec qui elle a joué au foot est son frère Giorgio, dans la cour de sa maison. Son père l’accompagnait voir les entraînements de son frère, et puis un jour, elle a commencé à jouer à huit ou neuf ans. » Pour ne plus jamais s’arrêter. Six ans plus tard, Bonansea joue même déjà ses premières minutes en pro sous les couleurs du Torino, à l’âge de 15 ans. Un banal match de Coupe d’Italie face à Sanremo, qui a pourtant marqué son entraîneur de l’époque : « On n’avait que deux remplaçantes ce jour-là : une gardienne, et Barbara. On gagnait largement, car Sanremo était une équipe de Serie B, et j’ai alors choisi de faire entrer Barbara. Tout de suite, ce qui m’a frappé, c’était sa vitesse : elle allait deux fois plus vite que ses adversaires et ses coéquipières ! Mais elle n’était pas encore au point sur les phases de couverture. Je lui répétais alors sans cesse de se replacer, avec des « Vieni, vieni, vieni » (Viens, viens, viens ! ). Et à un moment, elle se tourne vers le banc et me lance : « Mais lâche-moi ! Comment je fais pour jouer si tu me cries tout le temps dessus ? » Après la rencontre, je suis allé voir l’entraîneur de la Primavera qui me l’avait conseillée, et je lui avais demandé : « Mais comment se permet-elle de me dire ça ? De s’adresser à moi de la sorte ? » » L’audace des plus grandes, certainement.

Travailleuse de l’ombre

Cette force de caractère, Barbara Bonansea la cultive au quotidien. Timide en apparence, la native de Pignerol est avant-tout un bourreau de travail : « Bonansea était une fille véritablement humble, désireuse d’apprendre et qui ne savait peut-être pas encore à ce moment-là jusqu’où elle pouvait aller, rappelle Padovan.Au Torino, elle cherchait déjà à apprendre des filles plus âgées qu’elle. À son poste de piston gauche, il y avait une joueuse au profil offensif qui s’appelait Ilaria Pasqui. Je disais à Barbara : « Tu fais la Pasqui », sous-entendu, « Fais tout comme Pasqui ». Alors, à chaque début d’entraînement, j’entendais une voix qui me demandais : « Mister, je peux faire la Pasqui ? » Elle demandait tout le temps si elle pouvait avoir le rôle qui était celui d’Ilaria. Elle s’est beaucoup inspirée des joueuses autour d’elle. »

Durant ses premières années à Turin, « Barbie » évolue dans l’axe quand son temps de jeu le lui permet, aidée d’un jeu de tête « au-dessus de la moyenne » et d’une bonne finition. Puis, en 2012, la Piémontaise quitte le nid familial et s’envole à Brescia, qui est alors l’une des meilleures équipe du pays. Sous les ordres de Milena Bertolini, son actuelle sélectionneuse alors à la tête de la formation lombarde, Bonansea claque 22 buts en 30 rencontres dès sa première saison. À Brescia, la gamine remportera même ses premiers trophées et notamment deux Scudetti en 2014 et 2016. Même si tout n’est pas rose sur le plan personnel, loin de là : « Son parcours n’a pas été toujours fait de grands succès, notamment à Brescia. C’est vrai que là-bas, elle a gagné un Scudetto, mais elle n’était pas aussi explosive et aussi forte qu’aujourd’hui. Pour moi, c’est depuis qu’elle est à la Juventus qu’elle a encore changé de dimension » , note Giancarlo Padovan. Comme c’est étonnant.

Une envie d’Hexagone ?

En 2017, après un Euro réussi à titre personnel où elle se permet le luxe de refuser une approche de l’OL, Barbara Bonansea rallie donc un jeune et ambitieux club à trente kilomètres de chez elle : la Juventus. Là-bas, Bonansea bosse dur. « Son rôle actuel, de piston, lui correspond très bien. Elle a d’énormes capacités de courses, et il faut dire que c’est une joueuse qui a beaucoup progressé ces dix dernières années. Lorsqu’elle a commencé avec moi, elle avait 15 ans. Depuis peu, elle en a 28. Elle ne se prend pas pour une diva. On l’a vue lors des deuxième et troisième matchs de ce Mondial face à la Jamaïque et au Brésil : elle n’a pas cherché à marquer à tout prix malgré son doublé d’entrée. Elle a cherché avant tout à travailler pour l’équipe. Ce n’est pas une fille envieuse du succès des autres. »

Ce mardi soir, face à la Chine, Barbara Bonansea devrait honorer sa 61e sélection et, forcément, une bonne partie des regards vont s’arrêter sur elle. Pas seulement ceux des spectateurs de la Mosson, ou même ceux de sa famille qui sera forcément aux premières loges. « Je ne la vois pas potentiellement rejoindre l’OL, mais un club comme le PSG pourrait tout à fait lui correspondre. Elle est sincère, capable et altruiste, appuie Giancarlo Padovan.Quand je l’ai revue il y a deux ans à Bergame lors d’un match de la Juventus, je lui avais seulement dit : « Quelle joueuse tu es devenue ». Et elle, elle a simplement souri. Mais elle n’a rien dit. Elle n’a rien dit, je pense, car dans son état d’esprit, elle doit encore apprendre et s’améliorer. D’autant que pour Barbara, on ne peut progresser que par le travail. » Alors, comme si de rien n’était, et quoi qu’il advienne, Barbie continuera à bosser comme jamais.

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