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Samuel Eto’o, le fils d’Espagne

Par Antoine Donnarieix
8 minutes
Samuel Eto’o, le fils d’Espagne

Avant de sillonner les quatre coins du globe en tant que star interplanétaire du football, Samuel Eto’o, qui a annoncé sa retraite ce week-end, s’est fait une réputation au sein de la Liga espagnole. Une évolution réalisée en trois temps entre Madrid, Majorque puis Barcelone, où le Camerounais s’est mis l’Europe dans la poche tel un phénomène.

L’envie est-elle vraiment un pêché capital ? Au regard de la carrière de footballeur menée par Samuel Eto’o, il y a matière à s’interroger. Depuis la ville portuaire de Douala, la légende camerounaise s’est mise à avancer sans prendre l’habitude de se retourner. Dès 13 ans, le prodige de l’UCB Douala ne perd pas de temps : son souhait est d’atterrir en Europe le plus tôt possible, quitte à serrer les dents. « J’arrive en France avec un visa de 10 jours seulement. Je vais d’abord sur Marseille, Avignon et après, je décide de rester à Paris, à Notre-Dame, relate Eto’o dans une interview pour France 24 en 2014. Je ne suis sorti de mon logement que deux ou trois fois car, à l’époque, tout le monde était soupçonné d’être sans papier. Et lorsque que l’on vous attrapait, on vous renvoyait chez vous. » Après des mois dans la clandestinité, les essais en France sont formels : aucun club ne souhaite engager Samuel Eto’o Fils. Le retour au pays sous la pression des parents devient obligatoire, mais l’envie est toujours là. Tant mieux : l’Espagne va lui tendre la main.

L’imbroglio Kalou et l’aile de Mijatović au Real

Grâce au destin, Eto’o va mieux peaufiner son deuxième séjour européen. Depuis Madrid, des émissaires du Real prévoient de se déplacer en Côte d’Ivoire pour évaluer un espoir prometteur de l’ASEC Abidjan : Bonaventure Kalou. À la suite d’une erreur de réservation sur la destination du vol, les voilà à… Douala. Dans leur malheur, les recruteurs madrilènes vont tout de même poser leurs yeux au centre de formation Kadji Sport pour une poignée de rencontres. C’est à ce moment précis que le talent d’Eto’o va les inciter à lui proposer un contrat au sein de la Maison-Blanche. « Cette signature au Real était l’espoir, le début d’un rêve, confessait Eto’o à beIN Sport en mars 2014. Malheureusement, mon rêve est devenu cauchemar, car je ne pouvais pas jouer au football. »

D’abord membre de la réserve du Real, Eto’o ne bénéficie d’aucun temps de jeu au milieu de Raúl González Blanco, Davor Šuker et Predrag Mijatović, mais parvient à tisser des amitiés dans le vestiaire, notamment avec l’avant-centre yougoslave. « Quand je suis venu d’Afrique, je n’avais pas encore les moyens de m’offrir des chaussures de marque. Predrag m’a offert ma première belle paire de chaussures au Real, c’était un geste dont je me souviendrai toute ma vie. Aujourd’hui encore, je porte des chaussures de la même marque. » Sur le plan sportif, l’attaquant n’apparaîtra que sept fois sous le maillot merengue, avec un tout petit match en tant que titulaire à 18 ans. Logique ? Pas pour l’intéressé qui, pour acquérir le respect, accepte trois prêts successifs à Leganés, l’Espanyol Barcelone et surtout le Real Majorque, où sa griffe s’apprête à laisser des traces.

Eto’o : « Majorque est toujours mon club de cœur »

En 154 matchs avec le maillot majorquin sur les épaules, Eto’o va inscrire soixante-six buts, dont quatre en treize rencontres lors de son prêt qu’il passe aux Baléares. Confiant dans le potentiel de son buteur, Luis Aragonés incite ses dirigeants à conclure un transfert définitif avec le Real Madrid qui conserve 50% des droits sur le joueur. Pour la première fois depuis son arrivée en Europe, Eto’o obtient la confiance de son employeur. « Majorque, c’est toujours mon club de cœur, dévoile Eto’o. Durant mon passage là-bas, Luis Aragonés était notre papa. Quand cela n’allait pas, il nous tirait les oreilles. Mais s’il y a bien quelqu’un qui aime les Noirs, c’est Aragonés. Il était tout sauf raciste. Quand Finidi était au chômage, il l’avait fait revenir à Majorque pour lui faire signer deux ans de contrat au sein du club. »

Pour Eto’o, les duels face au Real Madrid prennent un intérêt particulier : il faut prouver à son ex que le vendre était une mauvaise idée. En janvier 2003, Majorque écrase le Real 4-0 à San Moix, Eto’o plante un doublé. En mai de la même année, Majorque rouste le Real 5-1 dans son antre du Santiago-Bernabéu, Eto’o s’offre un but et une passe décisive. Lors de la saison 2003-2004, Aragonés obtient le meilleur rendement de sa perle africaine avec 22 buts en 41 matchs toutes compétitions confondues. Une machine est née, et le technicien espagnol veut lui offrir le meilleur avenir possible. « J’avais deux options : rester à Majorque comme idole du club ou chercher à me faire une place dans un très grand club. À cette époque, j’avais très faim. Alors Aragonés s’est permis d’appeler Begiristain (directeur sportif du FC Barcelone, N.D.L.R) devant moi, et il a dit : « Txiki, tu veux gagner des titres ? J’ai un jeune enfant ici, tu dois le prendre. » »

2006, le discours du Lion

Aussi fou que cela puisse paraître, la signature d’Eto’o au FC Barcelone à l’été 2004 aurait pourtant bien pu ne jamais voir le jour sans le consentement du Real Madrid, l’éternel rival. Désireux de poursuivre sa carrière à Barcelone, Eto’o avait pu compter dans cette affaire sur un soutien de poids côté madrilène : Mijatović, ami de longue date devenu proche de la direction sportive des Blancos. Grâce au Monténégrin, l’affaire est conclue. Au sein du Barça de Frank Rijkaard où débarquent Deco, Giuly et Edmilson pour épauler le génie Ronaldinho, Eto’o régale avec 29 buts en 45 matchs pour sa première saison catalane, doublé d’un titre de champion d’Espagne à la clé. Aragonés avait dit vrai : Eto’o possède la graine du champion, comme en témoigne son rôle dans la finale de C1 contre Arsenal la saison suivante.

« Quand nous perdons contre Arsenal à la mi-temps, Frank n’a pas parlé dans le vestiaire. C’est moi qui ai tenu le discours. J’ai parlé et j’ai dit ce que je pensais de chacun de mes coéquipiers. Quand nous sommes revenus sur le terrain, nous avons vu un autre Barça pour aller gagner le trophée. Mais dans le fond, je m’en foutais : le plus important pour nous, c’était de gagner. Voir un groupe avec autant de talent perdre ce match contre Arsenal, c’était juste inconcevable pour moi. » Résultat ? Aidé par Henrik Larsson, le Pichichi de la Liga 2005-2006 débloque le match d’un but égalisateur et lance le Barça vers le deuxième sacre en C1 de son histoire, après quatorze années d’attente. Pour Eto’o, le succès devient avant tout une affaire de culot.

Le meilleur ennemi de Guardiola

Si le Fils place les Culés sur le toit de l’Europe, la suite du mandat de Rijkaard va connaître une fin moins glorieuse : la gestion des ego engendre le début d’une rixe médiatique entre Ronaldinho et Eto’o, destinée à obstruer les plans du Barça des 4 Fantastiques sur le long terme. Dès lors, l’arrivée sur le banc de Pep Guardiola à l’aube de la saison 2008-2009 met les choses au clair : Ronnie, Deco et Eto’o doivent quitter le Barça. « À cet instant précis, il se trompe profondément, évoque l’intéressé. Vous avez souvent des enfants qui sont beaux, d’autres qui le sont moins. Moi, j’ai toujours été le moins beau. Cela me permettait de pouvoir tout dire droit dans les yeux à n’importe qui dans le vestiaire. J’ai d’abord rappelé à Guardiola qu’il n’avait jamais été un grand joueur, simplement un bon joueur. C’était lui le coach, mais en tant qu’entraîneur, il n’avait encore rien démontré pour se permettre de dire certaines choses sur notre vestiaire. » Boum.

En guise de réponse, Guardiola prend un malin plaisir à titiller son joueur. « J’avais reçu une offre d’Ouzbékistan à 26 millions d’euros l’année, confie Eto’o. Dans son bureau et en compagnie de Txiki, Guardiola s’est adressé à moi pour me dire : « Samuel, ça peut te faire du bien, vas-y ! » Là, je lui ai répondu : « Celui qui va te faire gagner, c’est Eto’o. Et à ce moment-là, tu viendras me demander pardon. » Je suis resté à ma place. Finalement, j’ai parlé deux fois avec Pep dans la saison : la première pour dialoguer avec Yaya Touré qui ne voulait rien savoir sur lui, et la deuxième pour me dire comment un attaquant devait bouger entre les lignes. Mais il était milieu de terrain, comment pouvait-il me donner des leçons ? Malgré sa grande envie de gagner, Pep n’a pas respecté certaines choses sur le football. » Sur ce fond d’ambiance hostile, les deux hommes parviennent à cohabiter pour faire triompher le Barça grâce à un fabuleux triplé C1-Liga-Coupe du Roi en 2009. Douze années sont passées depuis son arrivée en Espagne, et la faim du monstre Eto’o ne semble pas rassasiée. « À partir du moment où j’ai pu dire à ma mère qu’elle ne devait plus se lever à deux heures du matin pour vendre le poisson, je me suis dit que j’étais capable de faire une grande carrière et devenir le meilleur. » Le meilleur avant-centre de l’histoire du Barça ? Sans aucun doute.

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