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Samuel Eto’o en dix dates

Par Chérif Ghemmour
13 minutes
Samuel Eto’o en dix dates

De Douala à Yaoundé, en passant par Madrid, Barcelone, Milan, le Caucase, Londres et tous les continents de la planète, Samuel Eto'o a marqué son temps et son monde grâce à un talent pur et une personnalité lumineuse. À l'occasion de la sortie d'un magazine consacré spécialement au Neuf des Neuf, voici les dix dates majeures de son parcours.

7 septembre 1993 : trois étoiles à la Coupe Top U13

En 2006, pour Libération, Dominique Wansi, DTN à la FÉCAFOOT, raconte son flash pour Samuel Eto’o. Entraîneur provincial, il l’a repéré à Douala lors de la Coupe Top, le célèbre tournoi U13 de détection nationale créé par l’École de football Brasseries du Cameroun (EFBC) : « Je le vois débouler, j’y crois à peine. Tout fluet. Dans un univers de densité, de physique et de mental… J’ai tout noté ! Là, trois étoiles pour le match du 7 septembre 1993 ! Quatre étoiles trois jours plus tard ! »

Quand on joue pieds nus, on ne tombe jamais dans le piège de se croire meilleur que les autres.

L’effronté Samuel bluffe ses jeunes partenaires en affichant cash ses ambitions quand ses exploits en Coupe Top lui ouvrent les portes de l’EFBC : « Vous entendrez parler de moi un jour. » Wansi observe les progrès fulgurants de celui qui joue alors numéro 10. « C’est de là qu’il a tiré cette aisance devant le but et sa technique. » Tel un Bob Marley réchappant du ghetto de Trenchtown, le petit génie étoilé est originaire de New Bell, quartier dur de Douala, avec vue sur le proche pénitencier où beaucoup de ses potes ont fini. Jouant des pieds (au ballon) et des poings (à la castagne), le rejeton d’une pauvre famille nombreuse s’en va dribbler la fatalité en se forgeant un caractère de feu qu’il saura tempérer d’humilité : « Quand on joue pieds nus, on ne tombe jamais dans le piège de se croire meilleur que les autres. » Sa précocité stupéfiante l’enverra à la célèbre Kadji Sports Academy, qu’il intégrera en fixant une condition à M. Gilbert Kadji, le maître des lieux : « Mon papa ne travaille pas, si vous lui donnez du travail, ça me va. » Adjugé !


9 mars 1997 : voyage initiatique

À l’Estadio Nacional de San José, au Costa Rica, le triplé de Paulo Wanchope scelle la manita et claque à la figure de Samuel, qui fête là sa première sélection chez les A, la veille de ses 16 ans. Cadeau empoisonné du sélectionneur belge, feu Henri Depireux, qui le grille prématurément ? Pas vraiment : « Il avait beau être encore très jeune, il était puissant et cela se voyait qu’il était doué, clamait le bon Henri en 2020. Il avait le caractère d’un gagneur, d’un battant. Samuel est un garçon qui n’est impressionné par personne. » Arrivé au Real Madrid à l’été 1996, où il fait ses classes à la Castilla, Samuel s’égaye au milieu des Lions indomptables. Sa précoce virée costaricienne de mars 1997 sera le point de départ de la première odyssée fabuleuse à travers le monde d’un représentant de la diaspora footballistique africaine. Tout comme Bob Marley, à nouveau, animé de conquêtes planétaires ( « Many rivers to cross » ), Eto’o Fils parcourra tout au long de sa carrière toute l’Afrique, toute l’Europe, l’Asie (Coupe des confédérations 2001 et Mondial 2002), l’Océanie (JO 2000 de Sydney), l’Amérique du Sud (Mondial 2014 au Brésil), la Russie caucasienne (Anji Makhatchkala) et le monde arabe (au Qatar SC de Doha). Claude Le Roy, successeur de Depireux, tout aussi ébloui, convoque le surdoué à la Coupe du monde 1998. Le surdoué, âgé de 17 ans et 3 mois, est alors le plus jeune joueur du tournoi…


5 février 2004 : le plus grand du continent

Passation de pouvoir symbolique entre « Mister George » Weah, seul Ballon d’or africain de l’histoire (en 1995), qui raccroche en fin de saison, et Samuel Eto’o, vainqueur de l’Étoile d’or Afrique Football 2003, récompensant le meilleur footballeur africain de l’année. D’une résilience insondable, il a surmonté son échec madrilène ( « Mes multiples déboires au Real ont été une source de motivation en plus dans ma carrière » ) et brille au RCD Majorque. Durant la Coupe des confédérations en France, en juin, il se tape un go fast à Elche pour remporter la Coupe du Roi face à Huelva en signant un doublé (3-0), avant de disputer avec les Lions la finale perdue contre les Bleus (1-0) au Stade de France, le lendemain… Pour l’Étoile d’or 2003, Samuel a devancé Didier Drogba, goleadorde l’OM : c’est le début de leur fantastique clash des Titans, qui va tirer le foot africain vers le haut comme jamais auparavant. En 2004, Sam (Barça) et Didier (Chelsea) intégreront la crème de la crème du football de clubs, ouvrant la voie aux frères du continent : Adebayor, Essien, M. Diarra, Kanouté, Seydou Keïta, Yaya Touré… Fin 2005, Eto’o rendra un hommage africaniste au néo-Londonien : « Je ne suis pas en concurrence avec Didier, qui est un excellent joueur qui œuvre pour l’Afrique. Il est un des meilleurs de Chelsea, et ce qu’il fait dans ce club est pour le bien des milliers d’Africains qui ne rêvent que de réussir dans la vie. » José Mourinho songera à les réunir à Chelsea. Raté ! Klopp sera plus chanceux avec Salah et Mané, qui doivent tant à Sam & DD…


23 novembre 2004 : Eto’o exonère Aragonés

Le 6 octobre 2004, lors d’un entraînement de la Roja, les images TV captent les propos de Luis Aragonés aboyant après son attaquant José Antonio Reyes : « Dis à ce Noir de merde que tu es bien meilleur que lui ! Dis-le lui de ma part ! » Le « Noir de merde », c’est Thierry Henry, le coéquipier de Reyes à Arsenal… Le scandale est servi, et la fédé espagnole se voit obligée d’infliger une amende de… 3000 euros à son sélectionneur.

Bien sûr qu’il faut quitter le terrain ! La plupart des acteurs qui engendrent l’argent du football sont noirs. Si un jour, avec l’appui des joueurs blancs, ils disaient : « On ne joue pas », je pense que tout changerait rapidement, car beaucoup de gens perdraient de l’argent.

Insuffisant pour tout le monde et surtout pour Henry, qui contre-attaque avec la campagne Stand up, Speak up. Samuel Eto’o n’y participera pas. Il préfère prendre la défense de son mentor Aragonés. « S’il y a une personne qui n’est pas raciste, c’est Luis. Si une personne défend les Noirs, c’est lui. Quand je parlerai à Henry, je lui dirai qu’Aragonés n’est pas comme ça. » Face à la consternation générale, Samuel persiste en jugeant celui qu’il appelle « Abuelo » (grand-père, en espagnol) d’après ses actes et non d’après ses paroles : Aragonés l’a fait venir à Majorque après son échec au Real, il l’a fait progresser et l’a même recommandé au Barça. Problème, ce dernier n’a pas jugé bon de le soutenir lorsque, le 25 février 2006, lors d’un Saragosse-Barça, Eto’o est à son tour victime de racisme aggravé. Ce jour-là, l’Africain veut sortir du terrain, mais coach Rijkaard le convainc de poursuivre la partie. Ni plus ni moins que du cinéma, selon le coach de la Roja : « Dans le foot espagnol, il n’y a pas de racisme. Eto’o a tout confondu, je pense que dans le foot espagnol, il existe de nombreuses façons d’insulter, mais ce n’est pas raciste. Eto’o a pris les choses trop à cœur et est parti en vrille. » En 2019, Eto’o fera une mise au point définitive : « Bien sûr qu’il faut quitter le terrain ! La plupart des acteurs qui engendrent l’argent du football sont noirs. Si un jour, avec l’appui des joueurs blancs, ils disaient : « On ne joue pas », je pense que tout changerait rapidement, car beaucoup de gens perdraient de l’argent. »


17 mai 2006 : l’Europe à ses pieds

On vient d’entrer dans le dernier quart d’heure et les Blaugrana n’y arrivent pas… L’orage gronde dans le ciel du Stade de France et les favoris de cette finale de Ligue des champions sont toujours menés 1-0, alors qu’ils évoluent à onze contre dix Gunners depuis la 18e minute. Le trident Giuly-Eto’o-Ronaldinho bute sur la défense héroïque d’Arsenal, et le poteau a renvoyé en première mi-temps un foudroyant tir en pivot du Camerounais. Frank Rijkaard a posé son va-tout en faisant entrer Belletti, Iniesta et Larsson. Bien vu. À la 76e, à trente mètres du but côté gauche, Sam transmet à Iniesta et amorce une course supersonique vers l’axe, tandis que Don Andrés glisse pour Larsson, qui prolonge… pour le Camerounais. Ce dernier surgit aux six mètres et glisse la pelota entre Almunia et le poteau. Un but « New Bell style » du filou de Douala, qui s’est littéralement dédoublé en initiant puis en finissant cette action laser : 1-1. Plus Romário que Ronaldo, le fauve de poche a étalé tout son registre létal : démarrage supersonique, appel en coup de vent, technique en mouvement et coup de patte griffu… Belletti achèvera la bête, et le Barça enlèvera sa deuxième C1. Premier Africain subsaharien à avoir marqué en finale, Eto’o est élu homme du match. Pas mal du tout pour un petit sans-papier qui avait été refusé par le PSG dix ans plus tôt.


En équipe nationale, pour un match, tu as 16 millions de vies camerounaises entre tes mains…

12 août 2009 : c’est quoi ce brassard ?

Nommé sélectionneur du Cameroun le 27 juillet afin de relancer une sélection mal partie dans sa quête pour rallier le mondial 2010, Paul Le Guen confie le brassard à Eto’o lors d’un match amical contre l’Autriche. Une première pour Sam, mais un impair énorme… Pour ce match en Autriche, le Breton a non seulement mis sur le banc Rigobert Song, le capitaine emblématique depuis dix ans, mais il ne l’a pas non plus prévenu de ce choix. Or, au Cameroun, le capitanat est une affaire d’État : « Chez nous, on appelle Capitaine Courage celui qui porte le brassard, précise Benjamin Moukandjo, guide du Cameroun victorieux à la CAN 2017. Il doit être rassembleur et, en sélection, on respecte l’aîné, même si on a fait une plus belle carrière. » Le Guen a fait de l’immense Samuel, 28 ans, le nouveau Roi Lion, mais en rabaissant le glorieux ancien de 33 ans… « Cette transition ratée, qui a cassé une certaine hiérarchie », dixit Rigobert, actuel sélectionneur du Cameroun, créera des clans et des tensions qui persisteront longtemps au sein de la tanière. Reste qu’en novembre 2009, après la victoire 2-0 contre le Maroc, synonyme de qualification pour le Mondial sud-africain, Captain Samuel marquera son leadership généreux en offrant à chacun de ses coéquipiers une montre à 33 000 euros. Il assumera par la suite tant bien que mal la lourde responsabilité de chef des Lions : « En équipe nationale, pour un match, tu as 16 millions de vies camerounaises entre tes mains… »


16 mars 2010 : dans le cœur du Mou

Lancé dans l’axe par Sneijder, Eto’o prend de vitesse Ivanović et foudroie Turnbull d’un tir mi-exter/mi-pointu : 1-0. L’exploit de l’attaquant à Stamford Bridge fait bondir son coach Mourinho. Et pourtant… Quand il a débarqué à l’Inter à l’été 2009 auréolé d’un triplé coupe-Liga-C1 avec le Barça, ses débuts mitigés ont poussé le Special One à asseoir le Camerounais sur le banc le temps d’un match de Serie A. Sam appartient à l’ethnie Bassa, une tribu de combattants réputés belliqueux et sûrs d’eux. Alors, il est allé recadrer Mourinho Tout-Puissant, comme il avait convaincu Guardiola à l’été 2008 de le conserver au Barça alors qu’il voulait s’en débarrasser. « Je me retrouve sur le banc pendant un mois(un match en fait, NDLR),or ça fait dix ans que je joue au football. J’ai dit à Mourinho :« José, je n’ai plus 15 ans pour être sur le banc sans explications ou pour jouer des bouts de matchs. »Il m’a emmené à Catane, et là, il m’a mis titulaire en me disant :« Maintenant, je sais qu’on peut tout gagner. Tu es le joueur qui peut changer cette équipe. »Et comme par miracle, on a tout gagné. » Dont acte. Au sein de la paire Milito’o, Sam s’offrira un inédit second triplé coupe-championnat-C1 d’affilée.


19 août 2011 : l’Anzhi d’ailleurs

Les chiffres sont vertigineux : un contrat de trois années à 20,5 millions d’euros net par an (plus 20 000 euros par but et 10 000 euros par passe décisive), ainsi que le dernier modèle de Ferrari en cadeau. L’oligarque russe Suleyman Kerimov (7,8 milliards de dollars de fortune perso) a racheté le contrat de Samuel à l’Inter pour le faire venir au Daghestan et le placer à la pointe de son Anzhi Makhatchkala, club qu’il s’est offert six mois plus tôt. Celui qui avait déclaré à son arrivée au Barça qu’il comptait courir « comme un Noir pour gagner comme un Blanc » devient alors le footballeur le mieux payé du monde et dépasse du même coup ce statut d’immigré salarié en devenant l’Africain du futur. Un « Afropolitain », selon son compatriote historien Achille Mbembe : binational hispano-camerounais mondialisé, Eto’o Fils se déplace en jet privé entre ses résidences de Paris, Abidjan (son épouse Georgette est ivoirienne), Douala et Milan, sa ville de cœur. Sa réussite s’étale dans les magazines Vanity Fair, Rolling Stone ou Forbes, et c’est habillé par Versace qu’il parade au Festival de Cannes 2011. Businessman parlant de lui à la troisième personne, il acte malgré tout la fin officieuse de sa carrière de footballeur en allant cachetonner dans le Caucase…


13 juin 2014 : une fin de Lion

À l’Arena das Dunas de Natal, le Cameroun foire son entrée au Mondial brésilien face au Mexique. Blessé au genou, Samuel n’a été que l’ombre de lui-même et il a disputé, sans le savoir encore, son dernier match avec ceux que la presse appelle les « Lions ingérables ». Capitaine dépassé, c’est du banc de touche qu’il assiste à la bagarre entre Moukandjo et Assou-Ekotto et à la fin du désastre contre la Croatie (4-0)… L’échec d’Eto’o et du Cameroun, géant d’Afrique, signe la désillusion d’un football continental qui, malgré sa pléiade de stars, ne perce toujours pas en Coupe du monde. Au Brésil, aucun de ses cinq représentants n’a atteint les quarts… Surtout, la fin de carrière du grand Sam, 33 ans, vire vraiment au grand n’importe quoi. Le 8 septembre 2014, il dit pour de bon adieu aux Lions… Qu’il avait déjà officiellement quittés deux fois avec fracas, en 2012 et en 2013, avant de revenir. Une sale période pour « sa » sélection, minée par les tensions, qui avait zappé les CAN 2012 et 2013. En club, son unique saison à Chelsea a inauguré une suite incohérente de transferts à Everton, à la Sampdoria, Antalyaspor, Konyaspor et au Qatar SC. Et c’est sur une image écornée qu’il annonce, le 6 septembre 2019, à 38 ans, la fin de sa carrière. Mais son tweet ( « The End, vers un nouveau défi » ) indique qu’il guidera encore sa prodigieuse destinée dans sa course ascensionnelle…

25 janvier 2022 : le temps des responsabilités

« Permettez-moi tout d’abord d’adresser mes sincères condoléances, les condoléances de la famille du football camerounais, et un prompt rétablissement pour les blessés… Nous sommes tristes que certains de nos compatriotes, par amour de leur équipe nationale, aient payé le prix cher en donnant de leur vie. » En boubou traditionnel sombre, Samuel Eto’o, grave, ému, trouve les mots justes face aux caméras en évoquant le drame du stade d’Olembé. La veille, les bousculades en amont de Cameroun-Comores, en huitièmes de finale de cette CAN organisée au Cameroun, ont coûté la vie à huit personnes. Récemment élu président de la FÉCAFOOT (le 11 décembre 2021), Samuel assume courageusement, de façon indirecte, alors qu’il n’y est pour rien, la part de responsabilité qui incombe à sa fédération pour cette catastrophe. Le 10 janvier, il avait officiellement « demandé pardon aux frères journalistes algériens » agressés à Douala… Le 1er février, il se rendra au chevet des blessés d’Olembé à l’hôpital général de Yaoundé, achevant d’incarner avec une certaine hauteur son nouveau statut de patron du foot national. Samuel Eto’o a réussi son entrée en fonction, rompant avec son ton hâbleur, pour atteindre une stature proche de son ami et inspirateur, George Weah, devenu président du Liberia en 2018. Dans un élan de résilience réconciliatrice, Samuel imposera le 28 février son « grand frère » Rigobert Song au poste de sélectionneur des Lions, tournant la page Toni Conceição. À Blida, en Algérie, « l’Esprit » de Samuel Fils inspirera en partie Toko-Ekambi, qui qualifiera les Indomptables pour le Mondial au Qatar au bout du temps additionnel…

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Par Chérif Ghemmour

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