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Samba Diop : un an après le drame, les questions
Le 7 avril 2018, le décès de Samba Diop, jeune joueur du centre de formation du Havre, clôturait un triste cycle de disparitions dans le football français. Plus d'un an après les faits, les circonstances du drame restent inexpliquées et soulèvent toujours des interrogations quant à la dangerosité de la pratique du football au sein des centres de formation.
En ce 13 avril 2018, dans les tribunes clairsemées du Stade Océane, l’heure est au recueillement lorsqu’un groupe d’ultras havrais déploie une banderole blanche floquée d’or : « Enfant de la Cavée, enfant du HAC, repose en paix, Samba » . Quelques jours plus tôt, le 7 avril 2018, un jeune joueur de la réserve du club, Samba Diop, dix-huit ans, s’éteignait dans un hôpital de la région. Au terme de la rencontre, la victoire du Havre face au Gazélec ne parvient à dissiper ni la tristesse qui règne logiquement dans tous les cœurs, ni l’incompréhension qui obsède insidieusement tous les esprits : comment un jeune bien portant, qui venait d’ailleurs de parapher un premier contrat pro avec Le Havre, peut-il s’éteindre de façon si impromptue ?
Plus d’un an plus tard, les interrogations sont toujours vivaces. Des explications, notamment celle d’une mononucléose qui aurait affaibli l’organisme du joueur, ont été avancées, mais beaucoup ont été démenties par l’entourage de Samba Diop. D’autres ont été exposées par la famille et restent sans réponse, comme celle d’une injection, effectuée le jour du décès pour soulager une gêne à la hanche, qui aurait pu causer une réaction allergique. L’autopsie « n’a pas établi la cause du décès » et l’enquête ouverte par le parquet du Havre n’a pour l’heure pas livré son verdict. Face à ce qu’elle qualifie de « passivité » et d’ « inertie » , la mère de Samba Diop, Arame Diop, qui n’a pu rencontrer un juge que neuf mois après le décès de son fils, a récemment lancé une pétition sur la plateforme change.org : celle-ci a déjà récolté plus de 60 000 signatures.
De battre leur cœur s’est arrêté
Le texte qui accompagne la pétition esquisse les contours d’un engagement plus large : « J’ai décidé de me battre pour Samba et pour tous ces jeunes qui meurent dans l’indifférence totale, précise ainsi Arame Diop. Plusieurs cas de mort subite de sportifs ont eu lieu à la même période dans d’autres villes.(…)Combien de décès faut-il avant que l’on s’indigne tous de ces anomalies et de ces morts subites de jeunes sportifs ? » De fait, le décès de Samba Diop a clôturé une triste série noire : le 9 mars 2018, Thomas Rodriguez, dix-huit ans, était retrouvé inanimé dans son lit du centre de formation du Tours FC ; le 28 mars 2018, le Guingampais Baptiste Le Foll, douze ans, disparaissait brutalement dans la nuit.
Les trois décès ont en commun leur diagnostic : la mort subite, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit comme « un événement brutal survenant dans l’heure qui suit le début de premiers symptômes ou dans les 24 heures alors que le patient avait été vu sans aucune plainte particulière » . Le plus souvent, la mort subite d’un sportif âgé de moins de 30 ans est le fait d’une malformation cardiaque indétectable ou inaperçue. Si la cause du décès de Samba Diop reste pour l’instant inconnue, il s’agit de fait, selon les enquêtes, de la cause des disparitions de Thomas Rodriguez et Baptiste Le Foll. Et si ce cycle de décès tient probablement plus de la coïncidence morbide que de la corrélation scientifique (d’autant que le décès de Baptiste Le Foll, qui tenait le football pour un loisir, ne peut complètement être mise en parallèle avec ceux de Samba Diop et Thomas Rodriguez, qui le pratiquaient eux en centre de formation), il soulève des interrogations quant aux dangers sanitaires du football.
Entre les mailles du filet
La première concerne la détection des malformations : aurait-il été possible de les déceler avant la survenue des drames ? À cet égard, le bilan effectué par les clubs français ne plaisante pas avec les règles en vigueur. « On est au-delà de ce que demande le ministère des Sports et le gouvernement, indiquait Emmanuel Orhant, directeur médical de la FFF, dans un entretien pour Ouest France. On impose un électrocardiogramme tous les ans, au moins deux échographies cardiaques durant la présence en centre de formation. » Cependant, certains cas peuvent passer entre les mailles du filet. « On ne peut pas faire d’échographie cardiaque ou d’épreuves de force à tout le monde(…)et encore moins à tous les pratiquants du dimanche, avoue pour La Dépêche Michel Charrançon , cardiologue et président de Ligue de football en Occitanie. Certains éléments échappent à la détection. »
En réalité, les éventuelles défaillances ne seraient pas tant issues du nombre de tests réalisés, car ceux-ci semblent largement suffisants, mais plutôt de leur qualité et de leur efficacité. « Je dois reconnaître que les capacités actuelles de la médecine sont un peu prises en défaut dans l’identification des gens à risques, confiait Xavier Jouven, directeur du Centre d’expertise de mort subite, pour Ouest France. Nous n’avons actuellement pas les moyens médicaux de faire de la détection sûre à 100%. On n’a pas assez de connaissances. Malheureusement, même si les résultats sont négatifs, la personne peut quand même décéder d’une mort subite. »
« La marche n’est-elle pas trop haute ? »
En effet, la mort subite est la résultante de deux facteurs. « Il faut d’abord un substrat, c’est-à-dire un muscle ou une artère un peu abîmée, indique Xavier Jouven. Puis il faut un déclencheur. Et ce déclencheur, ce peut être le stress physique ou psychique, donc le sport. » Pour autant, le nombre de décès de sportifs par mort subite, s’il est conséquent (environ 800 cas par an en France), est faible au regard du nombre de pratiquants et reste minoritaire par rapport au nombre de cas de mort subite considérés dans leur ensemble (environ 60 000 cas par an en France).
De plus, les études menées par les instances ne semblent pas faire du football un facteur de risque significatif, malgré des charges de travail intenses. La prévention et les nombreux tests réalisés permettent le plus souvent de déceler les anomalies avant qu’elles ne deviennent fatales. Cependant, le cas des jeunes sportifs serait tout autre. « Est-ce que pour eux, l’adaptation du cœur ne se fait pas trop vite ?, interroge Emmanuel Orhant. Sur un pro, on sait qu’année après année, on a une évolution qui se fait correctement. Mais pour un jeune de 16-17 ans, la marche n’est-elle pas trop haute quand il passe du rang d’amateur à celui de pro ? » Sur cette marche, se sont en tout cas heurtés les espoirs et les vies de Thomas Rodriguez et Samba Diop. Un an après, la cicatrice, marquée sur le cœur du football français, ne s’est pas refermée. Au contraire, tant que lumière n’aura pas été faite, elle continuera de s’ouvrir.
Par Valentin Lutz