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Samba Barça

Par Arthur Jeanne
Samba Barça

On a un peu oublié que le Barça de Ronnie dansait sur la tête de ses adversaires cette saison-là. Victime du succès du Bulldozer construit par Pep Guardiola, Rijkaard et son Barça Samba ont été relégués à l'arrière-plan. Pourtant, et malgré son abominable maillot jaune fluo, que cette équipe était belle.

15 juin 2003, un avocat de 41 ans, Joan Laporta, arrive à la tête du Barça. Le club est alors en crise, le Barça Oranje de Van Gaal en bout de course, l’équipe vient d’ailleurs de terminer 6e de la Liga, une position inadéquate pour l’institution catalane et ses exigeants supporters. Pour se faire élire, l’homme a promis David Beckham aux socios culés. Le bel Anglais ira au Real. Premier affront. Finalement, Laporta ira chiper Ronaldinho au Paris Saint-Germain pour la somme de 27 millions d’euros. Bonne pioche. Comme entraîneur, le jeune président tentera Hiddink et Koeman. En vain. Il se rabattra alors sur un autre Néerlandais. Un mec qui bénéficie d’une belle aura pour son passé de joueur, mais qui n’a pas prouvé grand-chose sur le banc. Frank Rijkaard. Le légendaire 6 du Milan dispose d’un joli jouet pour se faire les dents et il va en profiter. Progressivement, le Barça regagne ses lettres de noblesse perdues vers la fin de la décennie précédente. Pour la première saison de Rijkaard sur le banc, l’escouade catalane fait deuxième. Ensuite, en 2004-2005, Samuel Eto’o arrive et Ronnie explose. Conséquence : le Barça est champion devant le Real des Galacticos. Mais c’est bien en 2005-2006 que le Camp Nou vibre le plus fort.

4-3-3, forcément

Quand la saison débute, le Néerlandais dispose des mêmes joueurs que l’année précédente plus Van Bommel, arrivé pour apporter un peu de vice au milieu de terrain (ainsi qu’Ezquerro qui avait pris le train depuis Bilbao pour faire le nombre). Dans les bois, Víctor Valdés est solidement installé. Devant lui, quatre défenseurs. Giovanni Van Bronckhorst laboure le flanc gauche, tandis que le droit est occupé par Oleguer, ou Belletti si Rijkaard veut disposer d’une solution plus offensive. En défense centrale, le Hollandais a eu l’intelligence de faire reculer d’un cran Rafael Márquez pour apporter un peu d’élégance et de technique à sa charnière. Le Mexicain fait la paire avec Carles Puyol. Placé en libéro devant la défense, Edmilson est beau en 6 à l’ancienne. Surtout, le Brésilien est couvert en cas de saute de concentration. Ensuite, Xavi ou Iniesta et Deco dans la forme de sa vie se chargent de distiller avec amour des bons ballons pour les attaquants. En bon disciple de Cruijff, Rijkaard ne peut renoncer au 4-3-3. Ronaldinho sur son flanc gauche fait figure d’électron libre. Le Brésilien danse sur la tête de ses adversaires. Il invente des dribbles fous et sert à merveille Samuel Eto’o qui enfile les buts comme des perles. À droite, Giuly et ce bon vieux Henrik Larsson se partagent le poste. Messi le prodige (qui n’évolue pas encore dans l’axe) joue les jokers de luxe et éclot tranquillement à l’ombre des génies.

Son premier coup d’éclat, le Barça le sert à ses supporters le 19 novembre 2005. 5 ans avant la manita, les Blaugrana s’amusent avec le grand Real à Bernabéu. Ce soir-là, Ronaldinho gagne le Ballon d’or. À l’heure de jeu, le gaucho accélère toutes dents dehors au milieu du terrain. Il casse les reins de Sergio Ramos, dribble un Ivan Helguera mobile comme un plot et fusille Casillas en souriant. Comme des années plus tôt au Vélodrome où Ronnie avait joué le fossoyeur d’Olympiens, le Brésilien enterre le Real. Feus les Galactiques. D’un match grandiose, il fredonne le chant du cygne du Madrid de Zidane, qui mettra un terme à sa carrière à la fin de la saison.

La C1 sur le gâteau

Après cette victoire, le Barça sera inarrêtable. En Liga, les potes de Puyol enchaînent 14 victoires consécutives et se mettent vite à l’abri. En Champions League, ils survolent leur poule et retrouvent Chelsea en huitièmes de finale. Ronaldinho a un contentieux à régler avec les Blues : l’année précédente, l’escouade de Mourinho avait fait tomber le Barça après une double confrontation houleuse. Xavi et ses potes prennent leur revanche grâce à Samuel Eto’o et signent un exploit inoubliable, malgré ce maillot jaune fluo à foutre au feu. Au retour, Ronaldinho validera la qualif d’un nouveau but monstrueux. Ensuite, le Barça sort Benfica en quarts, puis élimine péniblement le Milan AC. En finale, au Stade de France, ils retrouvent ces gentils losers d’Arsenal. La suite est connue, Jens Lehmann est injustement expulsé et Barcelone, mené jusqu’à 15 minutes de la fin, renverse la vapeur. Rijkaard a réussi son pari. Son club est champion d’Europe pour la seconde fois de son histoire.

Human after all

Huit ans plus tard, alors que le succès total du Barça de Guardiola a un peu condamné à l’oubli le Samba Barça de Rijkaard, la question de la comparaison se pose fatalement. Était-il vraiment moins fort, ce Barcelone 2006 ? Oui, sans doute, mais qu’il était beau. Il était plus humain aussi. Déjà parce qu’un match contre Almería ou Saragosse n’était pas forcément synonyme de victoire 6-0. Ce Barça gagnait, mais n’écrasait personne, il faisait la différence sur quelques coups de génie de Ronaldinho, sur une ouverture lumineuse de Deco ou une frappe de Fils l’indomptable. Il était plus vertical aussi, Eto’o bouffait les espaces et prenait la profondeur. Le Camerounais aussi énorme que son melon pressait comme un dingue, permettant à Ronaldinho l’artiste de se concentrer sur la création et d’exprimer la pleine mesure de son génie. Ce Barcelone-là n’avait pas encore de haters. Ce n’était pas une équipe de handball, même si la possession était déjà essentielle. Et puis comment détester une équipe où cohabitent cette pipe d’Oleguer et Ronaldinho ? Le Barça de Rijkaard pouvait attaquer à tout va, arriver devant le but en 3 passes et se faire piéger sur une contre-attaque.

Pourtant, au-delà de la comparaison pure est simple, l’équipe de Rijkaard a largement préfiguré celle de Guardiola. Le Néerlandais a formé les cadres de l’équipe du Pep. Valdés, Iniesta ou Messi sont devenus titulaires sous le règne de Rijkaard. Tactiquement non plus, Pep n’a pas tout inventé ; Rijkaard, fort de sa culture foot hollandaise et de son passage au Milan AC allie toque et calcio. Guardiola, passé par Brescia, ne fera pas autre chose. En fait, Rijkaard a posé les fondations du Barça de Guardiola, il a créé la version beta de la machine à gagner du Pep. Une équipe sans doute moins forte, mais en un sens plus belle. Tout le monde se lasse de ce qui est parfait, et si ce Barça-là était si beau, c’est qu’il était imprévisible.

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