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Salvini, ce Rossonero pas comme les autres
Si Matteo Salvini parle de football depuis des années, il met désormais comme jamais en scène sa passion pour l'AC Milan, le club qu'il soutient, depuis qu'il a été nommé ministre de l'Intérieur et vice-président du Conseil italien. De quoi exaspérer Gennaro Gattuso, qui a tenu à le remettre à sa place lundi dernier. Pas sûr que cela suffise à faire taire un type qui a bien compris que jacasser constamment sur le Milan et le football en général pouvait efficacement servir sa cause.
C’était sans doute la sortie de trop. Ce dimanche, Milan a concédé le nul face à la Lazio et Matteo Salvini, célèbre tifoso du Diavolo alors interrogé par la télévision italienne, a une fois de plus pioché dans sa boîte à critiques : « J’aurais fait quelques changements… Nous avions au moins trois joueurs épuisés par la pluie battante et le terrain boueux. Quelqu’un peut m’expliquer cet entêtement de Gattuso ? » De quoi inciter le principal intéressé à lui répondre du tac au tac. « Cela me rend fou que Salvini ait le temps de parler de l’AC Milan… Avec tous les problèmes que nous avons dans notre pays, si le vice-Premier ministre italien parle de football, c’est que nous sommes sur la mauvaise voie. »
Animal médiatique
Si Rino en a ras le bol des sorties de Salvini sur l’AC Milan, c’est bien parce que le phénomène prend une tournure rituelle depuis que le politicien se vend comme le mâle alpha de la politique transalpine. Illustration fin octobre dernier, alors que le Milan vient de s’incliner lors du derby : « On a perdu le match à cause du couple Donnarumma-Gattuso. Quand tu ne joues pas pour gagner, tu as déjà perdu » , siffle Salvini sur Twitter dès la fin de la rencontre. Rebelote quelques semaines plus tard, alors que la Juve vient de baffer les Rossoneri, un match où Gonzalo Higuaín a été exclu pour un coup de sang grossier : « En tant que supporter du Milan, j’ai eu honte de ce comportement indigne… Comme ministre de l’Intérieur, je ferai tout mon possible pour que reviennent la discipline, les règles, l’ordre, le respect, la bonne éducation et les sanctions sur les terrains de foot. »
Des prises de parole successives qui ne surprennent pas grand monde en Italie : « Là-bas, personne n’est choqué de le voir s’exprimer sur son club. On attend de n’importe qui, y compris des politiciens, qu’ils supportent une équipe… Certains d’entre eux parlent régulièrement de foot, ça participe à normaliser leur image » , relève John Foot, professeur d’histoire italienne moderne à l’université de Bristol et auteur de Calcio: A History of Italian Football. Le brouhaha médiatique engendré par les sorties du ministre de l’Intérieur sur le Diavolo se distingue en revanche de par son ampleur. « La nouveauté, c’est qu’il se permet de faire des commentaires tactiques. Ce qui est intéressant avec lui, c’est aussi la façon dont la presse rapporte ses propos. Il tient des réflexions footballistiques basiques, mais les médias nationaux traitent ça assez sérieusement, comme s’il avait une expertise sur le sujet, alors que ce n’est pas du tout cas. C’est aussi le traitement médiatique de la chose qui est problématique. » , analyse John Foot.
Considérations purement sportives mises à part, le discours de Salvini sur le Milan et plus globalement le football italien peut aussi s’avérer plus subtil qu’il n’y paraît. « Sa gestion du cas Higuaín, par exemple, me semble très maligne, relève John Foot. Il explique que, comme fan, il pourrait se réjouir que l’Argentin n’ait été suspendu que pour deux journées, avant d’adopter la perspective d’un responsable politique, et juger que cette sanction était bien trop faible. C’était très subtil, quelque part, ça lui permet de faire consensus auprès de tout le monde : les fans du Milan et les autres. » Les critiques de Salvini relatives aux erreurs supposées du Milan et de Gattuso pourraient aussi répondre à une volonté de démontrer qu’il partage le sentiment de lassitude qui anime certains fans du club lombard, alors que leur équipe n’a plus grand-chose à voir avec le mastodonte qui régnait sur le football italien dans les années 1990 et 2000 : « Évidemment, Milan était la meilleure équipe du monde et désormais ils sont en déclin depuis une dizaine d’années. Il y a une vraie nostalgie de l’ère Berlusconi et d’une certaine idée de l’Italie, pose John Foot. Salvini est de Milan, supporte l’AC Milan, en un sens, ses critiques reflètent légitimement le ras-le-bol de cette base de fans frustrée par la trajectoire descendante de leur club. »
Sécessionniste repenti
Et la Nazionale? Le rapport de l’actuel ministre de l’Intérieur italien avec l’équipe nationale a longtemps été tempétueux. Pour la simple et bonne raison que son parti, la Ligue du Nord, a souvent revendiqué une politique sécessionniste vis-à-vis du reste du pays. Alors que l’Italie s’apprêtait à défier l’Allemagne en demi-finales du Mondial 2006, Salvini déclarait ainsi : « L’Italie est le pire du pire. Je suis prêt à soutenir n’importe qui de plus sérieux. » Avant d’évidemment changer de discours, au fur et à mesure de son ascension politique : « Oui, ça fait partie des grosses contradictions de Salvini, déroule John Foot. Depuis 2018, son parti a changé de nom et ne s’appelle d’ailleurs plus officiellement « Ligue du Nord », mais simplement « la Lega »(la ligue, N.D.L.R.). »
Ce qui n’empêchait pas l’ex-député européen d’instrumentaliser l’élimination de l’Italie par la Suède en barrage du Mondial 2018 : « Trop d’étrangers sur le terrain, des équipes jeunes à la Serie A, et voilà le résultat. #STOPINVASION et plus de place aux jeunes Italiens, y compris sur les terrains de foot » , pestait-il sur Twitter le 13 novembre 2017. Une sortie raccord avec le discours offensif sur l’immigration d’un type en colère contre pas mal de trucs. Mais pas à l’encontre de Gennaro Gattuso, auquel il a expliqué avoir envoyé un message d’excuse : « Je lui ai dit que je ne voulais pas l’attaquer lui, en tant que coach. J’ai parlé avec mon cœur de fan. » Un fan qui, comme tout bon tifoso, n’est sans doute jamais à court de choses à dire. Sur Milan, la Nazionale, et surtout sur tout le reste.
Par Adrien Candau
Propos de John Foot recueillis par AC