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Saliba, le prince William
Ce lundi, face à la Croatie, William Saliba devrait connaître sa troisième sélection chez les Bleus à 21 ans. Rien d’étonnant pour un homme qui a toujours été précoce et qui, malgré un bad buzz autour d’une vidéo de masturbation, était destiné à jaillir au plus haut niveau depuis tout petit. Un joueur qui a, également, laissé la même trace partout où il est passé : celle d’un coéquipier impossible à critiquer, aussi à l’aise dans le vestiaire que sur le pré.
En général, quand on reçoit un ordre d’un homme en treillis, on a tendance à l’appliquer. C’est en tout cas ce que souhaitent tous les supporters de l’Olympique de Marseille, depuis plusieurs semaines. Le militaire en question : Djibril Cissé. Le champ de bataille : les trophées UNFP. Le soldat : William Saliba, tout juste sacré meilleur espoir de l’année en L1. Et enfin, l’ordre : « Reste à Marseille, s’il te plaît. » Dans une tenue dont il a le secret, l’ancien buteur de l’OM profite de la lumière de la cérémonie des trophées UNFP pour rappeler tout haut ce que le peuple phocéen pense tout bas. Il faut dire qu’après une saison de patron, Saliba a toutes les chances d’enfin s’imposer à Arsenal (qui l’avait prêté, sans option d’achat, au club phocéen).
Mais avant d’en savoir plus sur son avenir, le défenseur de 21 ans a un détour à faire par Clairefontaine où Didier Deschamps l’attend pour le deuxième rassemblement consécutif. « Je l’avais pris au dernier stage, et il a répondu à mes attentes. Il joue dans un système à trois, et a toutes les qualités d’un défenseur moderne », précise alors le sélectionneur, qui l’a préféré à Ibrahima Konaté*. Car Saliba n’a peut-être pas disputé la finale de C1, lui, mais Deschamps l’a vu s’imposer « à 21 ans dans un club comme l’OM, c’est fort. C’est une force tranquille, il est serein et il a tous les atouts pour franchir un cap dans sa carrière ». Un cap certainement franchi cette année, à quelques nautiques du Vieux-Port.
L’autre génie précoce de Bondy
Comme pour un génie qu’il est l’un des seuls à pouvoir regarder dans les yeux au sprint, Saliba commence son histoire à Bondy. Né d’un père libanais et d’une mère camerounaise, le prince William se lance d’ailleurs dans le football sous les ordres d’un certain entraîneur nommé Wilfried Mbappé. À l’époque, cela se passe surtout en attaque. Et parfois au milieu, où Saliba se montre déjà dur sur l’homme, au point de se faire surnommer « El Duro ». « À ce moment-là, on était loin du monde professionnel, mais on savait que ce gamin sortait du lot. Il était imposant, et ça lui permettait de jouer avec des garçons qui avaient un an de plus que lui. Mais bon, ça restait un petit nounours tout mignon qui faisait rigoler tout le monde, se souvient Fabio Frascoli, le coach qui va devenir son mentor.C’est déjà arrivé qu’on me demande de vérifier sa licence. Comme tout le monde pensait que Saliba était plus vieux, certains entraîneurs et joueurs tenaient des propos déplacés à son égard. Libre à eux de penser ce qu’ils voulaient. Mais quand on regarde ce qu’il est devenu aujourd’hui, je suis certain que tous ces gens se sont rendu compte qu’il n’aurait pas pu tricher tant d’années. »Avant de l’accompagner vers le FC Montfermeil, qui lui servira de tremplin vers le centre de formation de Saint-Étienne, Frasconi a surtout tenu la main du jeune William à une époque où tout n’était pas rose autour de lui : « Il y a des épreuves de la vie qui l’ont rendu mature très tôt. » Dans un foyer abandonné par le père, il grandit avec sa sœur, sa mère et sa tante. Un noyau dur et sain, qui deviendra ensuite sa force. Pour le moment, les problèmes sont surtout scolaires.« Il ne faisait pas tout pour avoir des bonnes notes, on va dire, euphémise Frasconi. Ce n’était pas non plus un élève irrespectueux, mais plutôt quelqu’un qui voulait faire rire ses camarades et ses potes. » De quoi lui valoir un conseil de discipline. Heureusement pour lui, le surveillant de son établissement joue avec Frasconi et ce dernier lui demande d’intervenir en sa faveur. « Il allait se faire virer, et c’était vraiment pour des petites bêtises. Quand j’y suis allé, ça a touché la famille, et l’école a pu voir qu’il avait un suivi extrascolaire. Ça lui a donné un petit sursis. Ensuite, il y avait un deal entre lui et moi sur le côté scolaire. Je n’étais plus son entraîneur principal, mais je l’aidais à garder le pas de ce côté-là », continue le coach.
Alors en 4e, Saliba a enfin le déclic. En dehors de quelques relâchements, son attitude évolue, et il obtient les encouragements le conseil suivant. Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, Saliba voit surtout trois clubs pros l’inviter à rejoindre leur centre de formation. Rien d’étonnant, pour un joueur surclassé depuis les U11. « En U13, il jouait avec les U15. À cet instant, tout le monde a commencé à le regarder de plus en plus près et voyait qu’il était au-dessus. Avec un an de moins, il avait un temps d’avance sur le terrain et répétait les performances chaque semaine. Son petit souci, c’est qu’il avait tendance à se relâcher contre les équipes plus faibles », pointe Frasconi, dont le joueur est resté proche (au point de l’inviter à Lille pour sa première titularisation en Bleus, en mars dernier). Une relation qui ne date pas d’hier, puisque lorsque son grand frère officieux quitte Bondy en 2014, son poulain n’hésite pas à le suivre… Avant même de connaître sa destination : « Je voulais qu’il progresse, donc je lui avais dit, avant que je rejoigne Montfermeil, qu’il ne me suivrait que si je rejoignais un club meilleur que celui de Bondy. Ça a été le cas, donc il est venu à Montfermeil. » À quatorze ans, le voilà titulaire en U15 DH. Bonjour les grands terrains et un nouveau poste, celui de défenseur central. Frasconi, toujours : « Honnêtement, sur les petits terrains, ça aurait été trop facile pour nous s’il avait joué défenseur. Là, sur un grand terrain, ça devenait plus intéressant. Il était à l’aise techniquement et ça arrivait même que l’entraîneur l’envoie en attaque à la fin du match, il était tellement facile dans la conservation du ballon… » Une aisance technique travaillée lors des heures passées sur les city stades de Bondy, lors de cinq contre cinq interminables. « Il dormait là-bas ! », se marre Fabio, qui se souvient d’un jour où, après une journée d’entraînement intense lors d’un stage estival, il avait retrouvé le minot à 19h en train de jouer dans le quartier. À Montfermeil, Saliba passe deux années pleines (deux titres de champion, une coupe régionale), et ce tremplin le fait décoller. Atterrissage prévu à Saint-Étienne, à l’été 2016.
Un Vert déjà mûr
Comme pour tout jeune déraciné, les premières semaines sont difficiles. D’autant que sa mère vient de tomber gravement malade. « À Saint-Étienne, les six premiers mois n’ont pas été faciles, et son entourage lui manquait. En plus, quand il revenait à Bondy, ses potes étaient en vacances, donc il ne voyait personne. Il m’appelait même pour me dire qu’il voulait retrouver du plaisir, jouer avec moi en U17 et repartir à Saint-Étienne après. Je lui ai dit que ce n’était pas possible de faire marche arrière, mais sa vie d’avant lui manquait », témoigne Fabio Frasconi. Le mal-être finit par être éclipsé par une adaptation éclair sur les terrains de L’Étrat. « Il a fait partie de cette excellente génération 2001 qui a gagné la Gambardella, avec Fofana notamment, resitue David Wantier, alors responsable du recrutement de l’ASSE.La première fois que je l’ai vu, c’était avec les U17. C’était impressionnant, il était déjà très suivi. Il allait souvent en équipe de France, et attirait forcément les regards. Le premier à avoir mis le doigt dessus, c’était le Borussia Mönchengladbach. » Comme depuis tout petit, Saliba est vite surclassé à l’ASSE. U17 sur le papier, il joue le plus souvent en U19 ou avec la réserve. Conscient du joyau qu’il détient, Wantier se penche vite sur son cas : « Le but, c’était d’abord qu’il ne nous échappe pas et qu’il ne signe pas libre dans un autre club. Ensuite, l’objectif était de l’accompagner dans sa formation et vers le groupe pro. » Bien aidé par l’entourage réduit (mais sérieux) du joueur, le dirigeant rhodanien sécurise l’avenir en vert du Bondynois : « Son agent, Djibril Niang, est une personne importante dans son évolution. Avec ce socle-là, on s’est tout de suite éloigné d’un possible départ rapide. On a tout fait pour l’emmener vers les pros. Six mois après l’arrivée de Gasset, Jean-Louis m’a dit qu’il lui fallait un quatrième défenseur central. Je lui ai répondu :« Bah, tu l’as. »Il m’a dit :« Comment ça ? »Je lui ai dit« C’est William Saliba. » Il ne faut pas oublier qu’on visait l’Europe, Jean-Louis était très sceptique sur la réussite de Saliba face aux objectifs du club » .
Mais l’entraîneur français, aujourd’hui à la tête des Éléphants, mesure vite le potentiel du gamin de 17 ans poussé par la cellule de recrutement. Pas de quoi surprendre Yannis Salibur. « J’allais voir les matchs des jeunes, assure l’ancien Guingampais. William paraissait déjà très fort, et le truc, c’est qu’il était pareil avec le groupe pro. Tous les joueurs n’ont pas cette faculté. Son premier match, je m’en souviens encore ! Il n’y avait pas besoin de faire du football pour voir qu’il avait un truc en plus… » Dans un vestiaire alors composé de quelques têtes (Perrin, M’Vila, Khazri, Subotić, Debuchy…), l’espoir s’impose sans trembler. « De toute façon, il imaginait déjà être pro à onze piges, reprend Frascoli. Le football, c’est sa vie. Pour preuve, il connaissait les recruteurs de tous les clubs en U13. Il n’a jamais imaginé autre chose que ça, même quand c’était difficile. Je devais le calmer parce quand on terminait un match, il venait me voir tout excité et me disait :« Fabio, il y avait le recruteur de Lille, de Lyon, de Bordeaux…. » Alors qu’ils n’avaient pas le parka du club. C’était presque pesant, tant c’était obsessionnel. Depuis que j’entraîne, c’est le joueur qui avait le plus grand souhait de devenir pro. » À Saint-Étienne, le staff lui fixe des objectifs personnels pour le booster encore un peu plus. « Ils lui ont donné à manger pour le pousser, encore davantage, vers l’avant. Du coup, il est retourné au charbon et a rapidement passé les étapes chez les Verts », analyse son mentor.
Aux côtés des plus expérimentés, le jeune Saliba intègre vite les codes du professionnalisme. Il gomme ses vilaines habitudes alimentaires, lui qui ne disait jamais non à un bon grec, et prend son abonnement aux séances supplémentaires en salle. Le gros bébé de Bondy se mue en beau bébé. Coéquipier à Nice, Pierre Lees-Melou se souvient d’un « gros bosseur, du genre à rester deux heures en salle chaque jour après l’entraînement. Tout ce qu’il lui arrive, ce n’est pas tombé du ciel. » Aux commandes du Terminator de la région parisienne pendant une saison dans le Forez, Claude Puel acquiesce : « William a la tête bien faite et sur les épaules, il a vite pris les codes du professionnalisme. Au début, quand je suis arrivé, c’était encore un petit jeune. Il s’est vite mis à faire du travail physique et de préparation, à avoir un suivi en salle. » À son talent, le roc a donc ajouté le travail. Ce qui explique sa fulgurante progression.« Il est paramétré pour le haut niveau, il a du talent et il fait tout pour y aller, approuve Wantier, qui tient à évoquer une autre force du joueur. C’est un exemple de loyauté, de fierté. Alors que Gladbach lui proposait un salaire astronomique par rapport à nos lignes économiques, il est resté pour jouer. » Vendu pour 30 millions d’euros à Arsenal à l’été 2019, le joueur insiste pour être prêté une saison chez les Verts afin de ne pas partir trop tôt. « C’est un tout qui en fait un joueur équilibré émotionnellement, sachant calmer ses partenaires sur le terrain rien que par sa façon de jouer. La pression glisse sur lui », apprécie Puel, qui n’a qu’un regret à son sujet : ne pas avoir pu l’aligner en finale de Coupe de France 2020 contre le PSG, Arsenal refusant de le libérer pour l’occasion.
Masturbation, Premier League et rebond
2020, c’est pourtant le début d’une année noire pour un William Saliba placardisé chez les Gunnerssans avoir l’opportunité de prouver quoi que ce soit. « J’étais étonné qu’Arsenal ne s’intéresse pas plus à lui, ne lui donne pas plus sa chance. Ils l’ont assimilé à un jeune de 19 ans, mais il avait déjà la maturité pour s’imposer en Premier League », juge Puel. Sa réputation en prend aussi un coup alors que fuite la vidéo qu’il filme, montrant un coéquipier chez les Bleuets en pleine masturbation au milieu du groupe France. Surtout, William Saliba a la douleur de perdre sa mère. Frasconi l’épaule alors, avant que le prêt à Nice ne le relance. Dans le vestiaire des Aiglons, comme à Saint-Étienne auparavant, le défenseur s’impose immédiatement. « Ce que j’aimais beaucoup chez lui, c’était sa constance. C’est sa force, il est très régulier. En dehors du fait que ce soit une machine physiquement et qu’il soit très costaud, il est techniquement très fin et très propre. Il collait parfaitement à l’ADN de jeu de Nice, à vouloir jouer au ballon. William, tu ne lui demandes pas de dégager des sacoches. Ce n’est pas son jeu : il veut toujours repartir court, trouver les milieux ou les attaquants dans les pieds. Il sait casser les lignes par ses passes, par ses courses, et c’est précieux quand on joue dans son équipe, salive encore Lees-Melou, qui prenait moins de plaisir aux entraînements. William est imprenable en un contre un, parce qu’il arrive à tout lire et parce qu’il est dur sur l’homme. Même quand on pense être passé, il a toujours un bout de pied qui traîne. » Un avis appuyé par Puel : « C’est affolant. Malgré sa taille, sa mise en action est très rapide. La technique, c’est une chose, mais il a aussi une incroyable lecture du jeu. Il sent les choses. On a surtout travaillé sa vitesse d’exécution, parce qu’il renvoyait parfois une fausse impression de nonchalance. Et surtout, c’est un faux lent, il va très vite. Je ne peux dire que du bien de William. »
Ce qui est globalement le cas de tout le monde, tant sportivement qu’humainement. « Avant d’être un grand joueur, c’est un mec de vestiaire. Un vrai bon gars. Il n’est jamais en première ligne pour faire les conneries, mais toujours à l’affût en deuxième rideau pour envoyer sa pique. Il est aussi pas mal sur FIFA », avance le milieu de Norwich. « C’était notre gros bébé, ajoute Salibur, tout le monde l’aimait beaucoup. On était assis côte à côte, je l’ai pris sous mon aile. J’aimais beaucoup son attitude, toujours tranquille et rigolote. Même si je suis parisien, je suis content pour lui et l’OM. » Un Robocop infranchissable, sympa. Et, cerise sur le gâteau, un type dont la modestie ou l’humilité sont unanimement saluées. Bref, William Saliba est un gendre idéal. Reste à savoir à qui il dira oui, dans les jours qui viennent : l’OM, Arsenal ou un autre ? Pour rejoindre les Gunners, le bonhomme avait repoussé Milan, Tottenham et Valence. Cette fois, son cœur semble divisé. D’un côté, l’envie sincère de prolonger l’aventure marseillaise et de goûter à la C1 dans un club qui l’a profondément marqué. De l’autre, celle de prouver à Arsenal qu’il n’est pas une erreur de casting et de répondre au défi lancé par Mikel Arteta (qui disait, récemment, compter sur lui pour la saison prochaine). Sur les ondes de RMC, le 26 mai, Pablo Longoria évoquait le dossier : « On a beaucoup discuté en interne de ce que l’on peut faire, pour savoir quelles sont les possibilités. Il faut se parler, voir s’il y a la possibilité de trouver un accord entre les clubs. Il y a la volonté du joueur, la volonté du club… » Sampaoli espère quant à lui aussi conserver son joyau, qui a entretenu le flou dans sa dernière sortie pour Téléfoot à la veille de Croatie-France : « J’appartiens à Arsenal, j’ai fait zéro match et j’ai quand même envie de leur montrer mon vrai visage. » Avant de glisser que « ce serait dommage de partir comme ça » de l’OM. Ce serait surtout risqué de désobéir au colonel Djibril Cissé.
Par Adrien Hémard-Dohain et Matthieu Darbas
Tous propos recueillis par AHD et MD, sauf mentions.
* Konaté a finalement été appelé en cours de rassemblement pour remplacer Varane.