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Salaire des joueurs : vers un syndrome Payet ?
L'attaquant de l'OM a accepté de baisser sa rémunération à l'occasion de la prolongation de son contrat. Si son cas peut sembler atypique ou lié au contexte marseillais, il n'empêche que s'y décèlent un certain nombre de logiques qui annoncent, si ce n'est une tendance, du moins une nouvelle configuration dans la négociation des salaires des pros en France : travailler plus longtemps en gagnant moins.
Tout d’abord, il peut s’avérer délicat de s’y retrouver parmi les différents chiffres alignés. Un seul fait est sûr, le salaire (à ne pas confondre avec les revenus qui comprennent marketing, droits à l’image, etc.) versé par son employeur va énormément diminuer, et ceci avec l’assentiment, du moins officiel de Dimitri Payet. Le week-end dernier, Jacques-Henri Eyraud précisait que l’international a « accepté que son salaire soit divisé par deux pour la saison 2020-2021, et de le réduire de 30% pour la saison 2021-2022. Sur les deux années de plus qu’il va effectuer dans son contrat, il a accepté que son salaire de base soit réduit entre 40 et 60%. Et il a renoncé à ses primes de qualification pour les compétitions européennes. » Ce choix est évidemment assorti de quelques garanties pour son avenir, notamment au sein de l’OM puisqu’il se voit « marseillais à vie ». Il existe donc évidemment et d’abord une démarche personnelle, relative à son âge, l’état du mercato en cette période et une certaine intelligence à anticiper l’après-carrière en cette imprévisible année 2020.
Les caisses Covid
Toutefois cette histoire singulière, celle d’un salarié qui accepte de lui-même un rabotage de sa fiche, dépasse la situation de l’ancien international ou même celle de Steve Mandanda, également concerné par une telle proposition. De fait, trois logiques fortes se conjuguent et se dessinent, qui risquent à l’avenir de peser sur ce marché du travail si singulier. Tout d’abord, les choix des joueurs en fin de carrière, ceux dont le poids des salaires hérité de leur ancienne stature, peuvent sembler, au regard de leur performances, un frein pour acquérir de jeunes pousses prometteuses. Il devient essentiel de plus en plus souvent de trouver les arguments pour rester, plutôt que de courir après les illusions des championnats chinois ou du Golfe. Le long terme professionnel devient un objectif, et non plus seulement un bonus après s’être mis à l’abri durant les saisons fastes.
Dans cette perspective, le niveau de salaire représente non plus seulement une somme, mais un outil de communication. On se souvient que le même Dimitri Payet avait refusé d’en réduire la voilure durant la crise du Covid-19, provoquant un tollé. Pendant que les stars à l’étranger acceptaient de se « sacrifier » pour aider ou sauver leur club, voire les boulots du « petit personnel » , Payet restait de marbre. En matière d’image, la question sur le fond est bien plus complexe, et les directions ont le beau rôle à endosser : celui du pauvre « entrepreneur » qui tente de survivre. Avec cette nouvelle annonce, Dimitri Payet corrige le tir, tout en protégeant son avenir dans le petit monde du ballon rond, il lui permet de se présenter en amoureux de ses « couleurs » auprès des supporters et du grand public. Une posture, sincère ou non, rare et donc finalement marchandable par la suite. Son entraîneur, André Villas-Boas, l’a très bien résumé : « C’est un geste qui le porte plus haut sur l’aspect humain, qui transmet son amour pour l’Olympique de Marseille. »
Enfin la situation financière des clubs s’imposent comme la grande inconnue de la saison à venir. Le regain d’intérêt pour le salary cap en est un signe. Les effets immédiats de l’interruption de la saison ont été en grande partie amortis par les dispositifs généreux de l’État, ou des emprunts garantis par ce dernier. Mais désormais, le foot pro va rentrer dans le dur. Droits télé, sponsors, pouvoir d’achat des supporters-clients… toutes les parties vont être affectées. Le train de de vie des pensionnaires de L1 ou L2 va forcément ralentir. Dans un secteur économique à part au sein du capitalisme, les salaires seront évidemment les premiers leviers pour combler le manque à gagner, en attendant que les membres de la LFP daignent enfin réfléchir à un nouveau modèle économique. Dans ce contexte, le discours culpabilisateur sur ces vilains footeux trop riches et les impératifs budgétaires vont devoir se conjuguer pour pousser à la raison. Dans ce nouveau rapport entre patron et salarié, la baisse de salaire deviendra désormais un outil essentiel de régulation. Devinez en faveur de qui…
Par Nicolas Kssis-Martov