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Saint-Étienne : mais quel foot veut donc imposer la LFP ?
On s'y attendait, l'ASSE a été punie à cause de l’orgie pyrotechnique qui a embrasé le Kop Nord, à l'occasion de la réception du PSG. Mais la décision frappe par son ampleur, puisqu'il s'agit ni plus moins que de la fermeture des tribunes, jusqu’à nouvel ordre, d'un des stades de France les plus réputés pour son ambiance. Avec finalement une véritable interrogation : mais quel foot veulent donc imposer les pontes de la LFP et les instances du foot pro en général ?
La commission de discipline de la LFP a donc tranché après ce Sainté-Paris de la 18e journée, disputé le 15 décembre dernier. Un avis de juge tout puissant : « Comportement des supporters de l’AS Saint-Étienne : usage massif et jets d’engins pyrotechniques. Au regard des faits particulièrement graves, la Commission de discipline décide de placer le dossier en instruction et prononce une mesure de huis clos total à titre conservatoire du stade Geoffroy-Guichard. » En cause évidemment, l’incroyable spectacle offert par les Magic Fans, dont l’Avant-Garde fêtait ses 20 ans, dans les toutes dernières minutes d’un match d’ailleurs largement parfumé de senteur de soufre et recouvert d’un familier voile gris (il avait déjà été interrompu par une première salve partie côté sud, lancée par les Green Angels). Et ce fut d’ailleurs son principal intérêt tant par ailleurs le PSG tua rapidement tout suspense. Il faudra un jour penser à lister ces rencontres qui n’existent que par la ferveur des virages populaires. Même Thomas Meunier avait presque envie de les remercier. « C’est la première fois que je vois un feu d’artifice, a réagi le latéral du PSG. J’aime ce côté créatif. » Nous y reviendrons. On doute donc que les 37 000 spectateurs, y compris le CUP dans son parcage, se soient focalisés sur autre chose que cet orgasme de couleurs vives, de vapeurs et d’explosions.
Orgasme et fumis
Évidemment, tout le monde a immédiatement tourné le regard vers une LFP guère conciliante pour les ultras et leurs coutumes. Chacun son colonialisme. Elle ne s’est pas privée de faire un exemple. Surtout que l’incident intervient dans un contexte global où les instances du foot paraissent vouloir resserrer la vis sur ce sujet toujours sensible des supporters et d’une certaine manière saboter les timides tentatives de concertation entre les divers acteurs concernés, notamment sous la houlette de l’Instance nationale du supportérisme chapeauté par le ministère des Sports. Ainsi, en novembre, c’était même le ministre de l’Intérieur qui incitait les préfets à limiter les interdictions de déplacement.
Certes, la situation s’est tendue en cette fin 2019 dans certains clubs. À Bordeaux ou à Toulouse, les ultras ont renoué avec leur quasi-vocation syndicale. En visite au Red Star, Roxana Maracineanu a découvert que les ultras pouvaient posséder une inattendue conscience politique, puisqu’elle a dû être exfiltrée face à l’hostilité d’habitués de Bauer guère favorables à la réforme du système de retraite que défend le gouvernement dont elle est membre. Elle ne devait pas s’attendre à être Interdite de stade pour cela. Un paradoxe pour elle, face à l’une des rares tribunes qui a toujours mis en avant son refus de l’homophobie…
Noël, le père fouettard
Noël Le Graët a saisi l’occasion pour se lancer dans un procès à charge : « C’est totalement inadmissible. Le respect ministériel doit être total, surtout sur un terrain de foot. Je regrette qu’elle n’ait pas pu rester jusqu’à la fin du match, surtout au Red Star qui a sûrement besoin d’améliorer ses installations. » En en profitant aussi pour mélanger au passage toutes les situations et les conflits, des Bordelais qui réclament le respect de l’identité de leur club, aux Toulousains qui souhaitent presque désormais la descente, en passant par les Bad Gones lyonnais en délicatesse avec un de leurs joueurs, Marcelo pour ne pas le citer. « Les clubs ont relâché la pression sur leurs supporters.(…)Il est temps de reprendre les choses en main. Depuis deux mois, on a l’impression que c’est parti et qu’on ne bouge pas trop.(…)Dans cinq ou six stades, on peut difficilement jouer au football parce qu’il y a des fumigènes ou parce que la conduite de certains spectateurs, qui veulent soit changer de président, d’entraîneur ou de joueur, ne le permet pas.(…)C’est aux présidents de club de faire en sorte que leurs services de sécurité soient meilleurs et à la Ligue (la LFP) de prendre les premières sanctions. Nous sommes complètement décalés par rapport au reste de l’Europe. La Fédération ne pourra pas rester insensible. »
Toutes ces belles paroles, ces condamnations et indignations posent une question plus profonde et essentielle : quel foot veut tout ce beau monde, derrière ses bureaux des beaux quartiers parisiens et ses réflexes de notables. L’enjeu économique n’explique pas tout. Finalement, il est presque suicidaire de s’entêter dans cette bataille contre les fumis ou même de chercher à castrer culturellement ou socialement le monde des tribunes. Que vaudront, y compris en droits télé, des matchs sans ambiance, ou toute fièvre, y compris revendicatrice ou contestataire, se sera évaporée ? La passion n’est jamais neutre. Comme l’expliquait si bien Molière par la voix de Scapin l’effronté : « La tranquillité en amour est un calme désagréable. Un bonheur tout uni nous devient ennuyeux ; il faut du haut et du bas dans la vie ; et les difficultés qui se mêlent aux choses, réveillent les ardeurs, augmentent les plaisirs. » Mais peut-être est-ce le pire. Il semble fantasmé de (re)faire du foot un simple sport. Une activité raisonnable entre gens raisonnés. Qui appartient à ceux qui en dirigent les destinées et les assemblées générales. En oubliant qu’à l’instar de tous les lieux qui restent populaires, la question n’est pas qui possède le bail, mais qui tient les murs et donc les gradins. Comme le disait si bien l’ancien situationniste Alexis Violet, « un bar n’appartient pas à celui qui vend sa limonade, mais à ceux qui sont accoudés au zinc » .
Par Nicolas Kssis-Martov