- France – Ligue 1 – 10e journée – Nantes/Troyes
Saint Corentin, patron de l’ESTAC
Grand artisan de la remontée de l'ESTAC en Ligue 1 lors de la saison 2014/2015, Corentin Jean fait la fierté du club et de son centre de formation. Transféré à Monaco, mais prêté dans la foulée à son club formateur, l'attaquant devra bientôt dire au revoir à sa deuxième famille, celle qui l'a vu devenir le joueur qu'il est aujourd'hui.
Le soleil peine à se lever au-dessus du centre d’entraînement de l’ESTAC qui jouxte le stade de l’Aube. Là, sous une fine brume et un froid mordant, Jean-Marc Furlan dirige sa séance d’entraînement d’une voix calme mais autoritaire. Au programme, renforcement musculaire pour les uns, petites confrontations attaque/défense pour les autres. La plupart des joueurs du groupe professionnel sont là. Claude Robin, le directeur du centre de formation du club, regarde attentivement évoluer beaucoup de joueurs qu’il a vu pousser il y a peu. « Corentin n’est pas là, il est en sélection, avec les espoirs » , explique-t-il, souriant. La réussite du petit attaquant, c’est un peu la sienne également. Il faut dire que c’est lui qui l’a repéré et qui lui a donné une chance, alors même que d’autres clubs professionnels l’avaient recalé en raison de sa taille. En France, on commence à connaître la rengaine : Valbuena, Griezmann et tant d’autres. Alors forcément, imaginer son ancien protégé en Bleu donne forcément le sourire à M. Robin. D’autant que d’après lui, rien n’aurait pu se passer différemment pour Corentin Jean.
Jeune et pas con
Refusé au centre de formation du Stade rennais dans ses jeunes années de footballeur, Corentin retrouve son club de Blois et joue sans jamais perdre de vue son but ultime. Un jour de match de coupe nationale des moins de 15 ans à Clairefontaine, Corentin l’ignore, mais M. Robin est penché de l’autre côté de la main courante, attentif. « J’étais là-bas, avec un recruteur. Un moment, mon recruteur me dit : « Viens voir, il y a un joueur en ligue du Centre. » Et voilà, je l’ai vu, j’ai tout de suite compris » , se souvient le directeur du centre de formation de l’ESTAC, qui s’empresse de faire venir le petit attaquant dans l’Aube. En 2010, Corentin Jean débarque donc dans le centre tout récent, inauguré en 2002. Ici, on se targue aujourd’hui d’avoir fait naître des joueurs de talent : Blaise Matuidi, bien évidemment, mais aussi Djibril Sidibé, le joueur du LOSC, ou Damien Perquis, qui évolue aujourd’hui au Canada, avec Toronto. Mais personne ne se leurre, et surtout pas M. Robin : « Une faible partie des garçons qui entrent ici termineront professionnels. »
Seulement voilà, Corentin a tendance à se faire remarquer. En bien. « C’était un garçon exemplaire. Je n’avais jamais rien à lui reprocher. Non vraiment… c’était un garçon… S’il n’y en avait que des comme lui, ce serait top (rires) » , se souvient monsieur le directeur, admiratif du sérieux et de la maturité du jeune attaquant. Sérieux pendant les cours au sein du lycée privé du centre comme sur les terrains, Corentin ne laisse personne indifférent. « Dans le comportement, le travail, tout. C’était un très gros travailleur, assidu, qui plus est » , ajoute M. Robin, qui semble ne pas avoir assez d’adjectifs pour décrire son ancien protégé. C’est à se demander si Corentin Jean a déjà fait une bêtise ! Malicieux, Claude Robin rassure. « Une anecdote, oh oui, j’en ai une belle ! Ici, au centre, tous les garçons qui oublient de se lever un jour, ils viennent courir avec moi le lendemain matin à 6h30. Voilà, ça marque le coup. C’est bien rentré dans les mœurs et croyez-moi, les jeunes se lèvent maintenant (rires) » , raconte-t-il, fier de sa trouvaille. « Quand Corentin était en professionnel, l’année où il passait son bac, il était encore au centre, il avait sa chambre ici. Un matin, personne ne se lève. Je prends tout le monde à part et je dis : « Vous vous rendez compte, Corentin, il bosse avec les professionnels, et lui, il n’a jamais de panne de réveil ! Il se réveille tous les matins ! » Et deux jours plus tard, que se passe-t-il ? Corentin ne se lève pas… Le lendemain, je suis allé le chercher, et on est allés courir ensemble. Mais là encore, il n’a pas bronché » , conclut le directeur en quittant le complexe du stade de l’Aube.
Saveur et sauveur
De retour au centre, M. Robin trouve la personne la mieux placée pour appuyer ses propos. Farès Bouzid, ancien entraîneur de Corentin au centre, lance sa séance et prend quelques minutes pour étayer les propos du directeur. « C’est vrai qu’ici, on aime bien le donner en exemple aux jeunes du centre. Il y en a eu d’autres aussi, hein. Mais lui, c’est un garçon qui n’a jamais triché dans son parcours de formation. Il n’y a jamais eu une séance après laquelle on se soit dit : « Tiens, aujourd’hui, Corentin n’a pas été bon » » , raconte Farès. « Bien sûr, parfois il ratait des trucs, comme tout le monde, mais il était toujours investi à 100%. Même quand il faisait des erreurs, qu’il avait du déchet dans son jeu, il rattrapait ça par un état d’esprit irréprochable. » Combatif, sérieux, appliqué, tous les éléments étaient réunis pour que le petit attaquant fasse son trou. D’autant plus qu’il possédait déjà de grosses qualités. « Il avait de grosses qualités de vitesse et d’explosivité sur ses premiers appuis et ses enchaînements. Ce sont des choses qu’il a su faire fructifier. Surtout qu’aujourd’hui, la vitesse compte beaucoup au haut niveau » , détaille l’entraîneur, vite rejoint sur ce point par monsieur le directeur. « Sur le terrain, c’est un garçon très généreux, avec une grosse vivacité. Il est très spontané. Il fait mal, très mal, aux grands gabarits. Il ne s’arrête jamais et sait très bien se déplacer dans les espaces. Il use beaucoup ses adversaires. Il me fait un peu penser à Mario Götze, par exemple. Mais vraiment, c’est un joueur chiant pour ses adversaires. »
Jamais l’ascension fulgurante de Corentin Jean ne semble avoir été interrompue. Grâce à une détermination à toute épreuve et à un sérieux rare chez les jeunes garçons de son âge, le natif de Blois n’a eu aucun mal à aller frapper à la porte du groupe professionnel. « À l’époque, quand il s’entraînait avec les U16 alors qu’il avait le niveau pour aller chez les U17, il ne bronchait pas, et il se donnait à fond. Pareil plus tard, quand il jouait en U19 alors qu’il était censé jouer avec les U17, quand il fallait aller donner un coup de main aux U17, il ne disait rien et il y allait à fond. Peu importe le groupe d’entraînement et peu importe le niveau d’entraînement, il était toujours à fond » , raconte son entraîneur entre deux exercices imposés à la nouvelle génération. S’entraînant avec les professionnels à seulement 17 ans, Corentin confirme. « Quand un jeune a la chance de s’entraîner avec les professionnels, s’il a des qualités, il se bonifie automatiquement. C’est ce qui s’est passé avec Corentin. Comme c’est un garçon irréprochable, il n’a eu aucun mal à se faire son petit trou » , abonde M. Robin.
S’il ne multiplie pas les poissons, comme le Saint portant son prénom, Corentin a tout de même des allures de sauveur. Pour le directeur du centre de formation, pas de doute, son transfert à Monaco a permis à l’ESTAC de se refaire une santé : « De toute façon, ce qu’il faut bien dire, si je peux me permettre, c’est qu’un joueur du centre a sauvé notre club en fin de saison. C’est ce qu’il faudra retenir, parce que nos dirigeants peuvent avoir tendance à l’oublier. C’est vrai, Corentin a sauvé le club ! Si on ne le vend pas, on ne repart pas. J’ai un petit peu de regrets de le voir partir, oui… Et puis, on aurait peut-être pu le vendre un peu plus cher, quand je vois ce qui a été donné pour Martial, qui est de la même génération (rires). » L’ESTAC a encore une petite saison devant elle pour profiter de sa pépite avant qu’elle ne s’en aille définitivement rejoindre le Rocher. Un temps suffisant pour lui permettre d’empêcher la relégation ? À coup sûr, pour ses ardents défenseurs du centre de formation.
Par Gabriel Cnudde, à Troyes