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- HAC–Quevilly-Rouen
Saigne Maritime
Il y a bien longtemps que ce beau département tout gris qu’est la Seine-Maritime ne pèse plus rien sur la scène nationale. Le derby de ce vendredi soir entre Le Havre et Quevilly-Rouen (20h) souligne un peu plus la tristesse de ce coin de la France qui préfère le hockey sur glace au football.
Le derby de ce soir entre le Havre AC et Quevilly-Rouen Métropole ne sent rien. Ni la poudre ni rien d’autre. Difficile de s’emballer pour un choc qui oppose le 8e au 19e de Ligue 2. D’un côté, un club dont les dirigeants bégayent chaque été depuis neuf ans que l’objectif est « la montée dans les deux ans » , de l’autre un machin dont on ignore s’il s’agit d’une fusion, d’une entente ou d’autre chose, mais pour lequel on est simplement certain que tout cela n’est qu’éphémère.
La vie est une machine Rafik
Il est donc l’heure de cracher sur la Seine-Maritime, département qui est en train de passer à côté de son histoire. Si les choses se passent comme elles doivent se passer, le HAC profitera une nouvelle fois du printemps pour trébucher dans la dernière ligne droite pour la montée en Ligue 1 et ainsi être assuré de passer dix ans de suite dans l’antichambre de l’élite nationale. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que dans l’esprit des jeunes formés au club, le doyen représente davantage un paillasson qu’un tremplin. On en arrive à parler de Rafik Guitane. Rafik le magnifique, la pépite, le joyau, le jeune homme dont les épaules étaient censées supporter tous les espoirs des supporters ciel et marine.
Content d’avoir signer mon contrat au Stade rennais , mais je promet de tout faire pour que mon club formateur rejoint l’élite pic.twitter.com/pxfFRJzdI3
— Rafik Guitane (@rafikhino10) 1 février 2018
Au Havre, on n’avait jamais vu un tel talent, et Dieu sait qu’on en a vu, des talents. Juste une stat, comme ça : sur la feuille de match de la finale de la Coupe du monde 2006, combien de joueurs formés au HAC ? Trois. C’est un de moins que les clubs formateurs les plus représentés ce jour-là (le Monaco de Henry, Trezeguet, Thuram et Givet ; la Roma de Totti, De Rossi, Peruzzi et Amelia), mais c’est énorme. Jean-Alain Boumsong, Pascal Chimbonda et Vikash Dhorasoo faisaient alors la fierté d’une maison qui pouvait aussi frimer en rappelant qu’elle avait offert à Alou Diarra ses premières minutes en Ligue 1.
Rafik Guitane, donc. Un fabuleux n°10 qui fait les beaux jours de l’équipe de France U19 qui vient de torpiller l’Espagne. Un fabuleux n°10 qui porte le n°27 en référence à l’Eure, l’autre département de la défunte Haute-Normandie dont il est originaire. Si tout va trop vite en 2018, le HAC en fait les frais plus que n’importe qui. Le 27 janvier dernier, Guitane vivait ce qu’on appelle un « moment particulier » : une première à domicile dans la peau du titulaire avec son club formateur. Quatre jours plus tard, il signait un contrat avec le Stade rennais jusqu’en 2022 contre un chèque de 10 millions d’euros. Nouveau record pour un joueur de Ligue 2, l’ancien étant détenu par… le HAC et la vente de Lys Mousset pour Bournemouth à l’été 2016 (7,3 millions).
Un mug du HAC à Matignon
Il n’y a pas de quoi s’offusquer. Après tout, comment refuser ce pactole quand on dispose d’un budget de 11 millions d’euros ? Et pourquoi pleurer le départ des 18 ans de Guitane quand on se souvient que Paul Pogba a rejoint Manchester United à 16 ans et que Florent Sinama-Pongolle et Anthony Le Tallec avaient 17 ans quand ils paraphaient leur contrat pour Liverpool. Toujours est-il que le HAC, expert en relations humaines, n’a offert aucune titularisation à Guitane depuis ce 31 janvier. Une punition qui handicape surtout l’équipe, qui se prive donc de son plus grand talent. Soit.
Aujourd’hui, le HAC est ce club bien sympathique dont on aime simplement rappeler de temps en temps qu’il alimente régulièrement les rangs de l’équipe de France. Rien de plus. Et c’est bien dommage de ne pas jouir de plus de privilèges quand on vit dans un pays où le Premier ministre possède sur son bureau à Matignon un mug du HAC. Oui, Édouard Philippe (né à Rouen) dévore ses dosettes Senseo dans une tasse ciel et marine, c’est comme ça.
Relégation, François Hollande et hockey sur glace
Les Rouennais n’ont pas non plus à faire les malins. Eux aussi ont cohabité avec la honte alors que la communauté rouennaise était au sommet de l’État. À l’été 2013, le FC Rouen décide d’aller titiller la DNCG de manière à faire tomber le CA Bastia et ainsi récupérer la troisième place de National, synonyme de montée en Ligue 2. Problème, la DNCG découvre quelques cadavres dans les placards du club de la préfecture de Seine-Maritime. Les anciens dirigeants ont camouflé un trou d’1,8 million d’euros… Dans un monde normal, le fait d’être dirigé par un président de la République né à Rouen (François Hollande) et une ministre des Sports né à Petit-Quevilly et ancienne maire de Rouen (Valérie Fourneyron) aurait dû permettre aux choses de rentrer dans l’ordre. Une relégation administrative en Division d’honneur plus tard, le football seinomarin meurt un peu plus. De toute façon, c’est bien connu, la ville préfère consacrer son énergie et son amour à ses Dragons. Comme à peu près tous les ans, les hockeyeurs viennent de remporter la Ligue Magnus en dérouillant les Brûleurs de Loup grenoblois, quatre manches à zéro. Bravo.
Sur une terre de foot, on pourrait trouver du réconfort dans la nostalgie. Là encore, c’est raté. Le HAC a beau être le doyen des clubs français, il n’a jamais participé à la moindre Coupe d’Europe. Le FC Rouen, lui, a fait vibrer le continent lors de l’édition 1969-1970 de la Coupe des villes de foires en accrochant le gros Arsenal (futur lauréat) en 8e de finale (0-0 au stade Robert-Diochon à l’aller, 1-0 à Highbury au retour). Ces histoires n’intéressent personne. Pas plus que la poignée de main de ce soir à 19h59 entre les capitaines Alexandre Bonnet et Stanislas Oliveira. En plus, il va pleuvoir.
Par Matthieu Pécot