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Sagna, l’heure de la mise au point

Par Romain Duchâteau
7 minutes
Sagna, l’heure de la mise au point

Depuis longtemps et encore aujourd’hui, il est pour une grande majorité de bon ton de se gausser de Bacary Sagna. Parce que le latéral serait là par défaut et a une qualité de centre fluctuante. C’est trop vite oublier que l’international tricolore reste un défenseur solide et l’une des garanties les plus fiables de Deschamps dans un secteur qui fait débat.

D’aussi loin qu’on se souvienne, sa parole a toujours été discrète. Pour beaucoup, elle est même passée inaperçue la plupart du temps, ne trouvant pas d’écho au sein d’un microcosme où chaque mot peut avoir son importance. Parce depuis qu’il a endossé la tunique des Bleus en 2007, Bacary Sagna avance à pas feutrés. Sans jamais faire de bruit. Mais à trente-trois ans, devenu un cadre respecté dans les rangs tricolores, le latéral droit s’est enfin départi des discours lisses et policés pour se faire entendre. Avec, une fois n’est pas coutume, une franchise désarçonnante pour son auditoire. « C’est mon quotidien d’être critiqué, c’est comme ça, martelait-il avec conviction quelques jours avant l’ouverture de l’Euro. Il m’est arrivé de venir en équipe de France à reculons, je ne l’ai pas caché et je ne le cacherai pas. Maintenant, je donne le maximum. » C’est un fait, une constante immuable. Depuis presque une décennie, le joueur de Manchester City a essuyé une litanie de critiques. Il a encaissé et vacillé, aussi. Sans pour autant renoncer.

Discipline et apport offensif contesté

L’international aux 58 sélections le confiait lui-même il y a peu : « Être là aujourd’hui, ce n’est pas un cadeau qu’on m’a fait. Parce qu’on ne m’a jamais rien offert. J’ai toujours travaillé pour arriver où je suis. » Et quand on se plonge à la source auxerroise, là où son parcours a débuté, ses mots prennent un peu plus d’épaisseur. Évoluant d’abord avant-centre, voire parfois ailier droit dans les catégories jeunes de l’AJA, il a été reconverti latéral après la blessure d’un joueur à ce poste. Si les lacunes sont présentes, Sagna s’évertue avec pugnacité à apprendre son nouveau rôle. « Il avait des lacunes, même beaucoup de lacunes, notamment dans le déplacement, témoigne Bernard David, son coach en CFA en Bourgogne. Mais il avait une telle envie et tellement de jambes que ça lui permettait de rattraper ses erreurs. Ce n’était pas un joueur complet pour évoluer dans le domaine offensif, mais j’étais quasiment persuadé qu’il deviendrait un latéral complet. » Guy Roux, celui qui l’a lancé en pro, corrobore les dires de l’actuel responsable du centre de formation de l’ASSE : « C’était le même qu’aujourd’hui mais moins expérimenté, évidemment. C’est-à-dire qu’il avait un bon coup d’œil, une bonne technique générale. La qualité principale de Sagna, c’est de ne pas avoir de gros défauts. »

Au cours de ses trois saisons à l’AJA, il se révèle et se distingue avec le titre de meilleur latéral de L1 en 2007. Lors de son septennat à Arsenal, il est élu à deux reprises meilleur arrière droit du Royaume (2008, 2011). Cette saison, à City, « Bac » a profité d’une blessure de Pablo Zabaleta pour obtenir et ne plus quitter sa place de titulaire (joueur de champ le plus utilisé avec 45 matchs, soit 3842 minutes disputées au total). Grâce, avant tout, à sa discipline et sa rigueur défensives. Mais à une époque où les latéraux deviennent de plus en plus des contre-attaquants, son apport offensif continue de faire débat en équipe nationale. « Aujourd’hui, je suis respecté dans le monde du football. Même si, en France, ce n’est pas toujours le cas, lâchait-il encore récemment, plein de lucidité. Quand j’entends parler certains journalistes surtout, mais ça me passe au-dessus.(…)Au début, ça m’énervait, mais je n’ai rien volé à personne. J’ai connu trois sélectionneurs en équipe de France. Aucun ne m’a fait de cadeau. Il n’y a pas de hasard. » Pour Guy Roux, cette situation découle du plan de jeu tricolore où chaque latéral présente un profil différent. « Sagna prend des décisions sages d’un point de vue tactique, expose l’ancienne figure bourguignonne. Évra attaque sans arrêt sur son côté gauche. Et Sagna sait bien que dans un 4-3-3 ou 4-4-2, il ne faut pas qu’ils soient moins de trois derrière. Alors quand Évra monte, il ne le fait pas non plus et il compense au milieu. Mais quand il peut ou quand il faut, il a un apport offensif de qualité. »

« Tu dois être plus arrogant que ça, Bac »

Reste que malgré ces considérations, les remontrances demeurent tenaces à propos du Citizen, notamment en ce qui concerne ses centres à la qualité abondamment décriée. Et les ombres de Thuram et surtout de Sagnol, encore ancrées dans la mémoire collective, ne plaident pas en sa faveur non plus. Mais lors du match amical contre l’Écosse (3-0), Sagna a répondu aux quolibets en offrant une jolie passe décisive à Giroud. « Je suis personnellement satisfait parce que j’ai contribué au but d’Olivier et je sais que je suis très critiqué offensivement en équipe de France, donc j’essaie de donner beaucoup plus » , confiait-il au sortir de la rencontre, avant de rappeler quelques fondamentaux un brin bafoués ces derniers temps : « Mon rôle, c’est d’abord de défendre correctement. Quand t’as Coman qui va à 2000 à l’heure devant toi, il vaut mieux le laisser en un contre un et être un peu plus dans le repli. Quand c’est Griezmann qui se balade de partout, il va falloir être vigilant côté droit, les équipes adverses vont vouloir profiter pour contre-attaquer de mon côté. On a un potentiel offensif impressionnant, mais on doit aussi prendre du plaisir à dégager le ballon, à effectuer un geste défensif. À moi, avec d’autres, de transmettre ça. » Contre la Roumanie (2-1), la première offensive des Bleus est venue d’un centre de Sagna pour Griezmann. Comme quoi, si les détracteurs ne cessent de se répandre, le latéral travaille ses lacunes. Toujours en silence.

C’est aussi, et sans doute, ce trait de caractère qui a longtemps desservi l’ex-Gunner. Humble et refusant de tirer la couverture à lui-même, il a toujours préféré s’exprimer sur le terrain plutôt que de faire entendre sa voix publiquement. « Très souvent, les journalistes l’oublient ou lui mettent une note moyenne, regrette d’ailleurs Guy Roux. Contre le Paris Saint-Germain en Ligue des champions, c’est lui qui a provoqué l’erreur d’Aurier. Mais personne n’a toutefois mentionné que c’est Sagna qui avait centré. Personne. » « Je me souviens qu’en 2010, en Afrique du Sud, après notre premier match contre l’Uruguay (0-0), Patrice Évra était venu me voir et m’avait demandé ce que j’avais pensé de ma prestation, racontait pour sa part Sagna en 2014. Je lui avais répondu que j’estimais avoir fait un bon match. Il m’a alors repris de volée et m’a dit : « Tu dois être plus arrogant que ça, Bac, parce que tu as été très bon. C’est ça qu’il te manque : un peu d’arrogance. » Je pense qu’il avait raison. Je dois être plus arrogant. » Six ans plus tard, Sagna n’affiche pas le même aplomb que le Bianconero, mais les prises de position sont devenues plus incisives : « Je n’ai jamais cherché à me mettre en avant. Mais je suis un bosseur. Tout ce que j’ai eu jusqu’à maintenant, je suis allé le chercher. Par l’attitude, j’ai gagné le respect des plus jeunes. Mes coéquipiers m’appellent « le fou », c’est bien pour une raison. Quand j’ai quelque chose à dire, je le dis. »

La dernière grande représentation

Et il a la légitimité pour le faire. Au sein du groupe tricolore, le latéral est derrière Lloris et Évra celui qui compte le plus de sélections. Sans compter qu’avant l’Euro, il s’érigeait à son poste comme le joueur présentant quoi qu’on en dise les références et les certitudes les plus solides (250 matchs de Premier League, 53 en C1). Pour ce qui représente vraisemblablement sa dernière compétition majeure avec les Bleus, « Bac » sait pertinemment qu’il n’a plus de temps à perdre. D’autant que jusqu’ici son parcours en équipe nationale s’est avéré plus que chaotique. En 2008, il perd son frère un mois avant l’Euro auquel il ne participe pas. Deux ans plus tard, il est titulaire, mais sombre lui aussi dans le naufrage de Knysna. Puis, en 2012, une fracture du tibia péroné l’empêche de faire partie de l’aventure, tandis qu’au Mondial 2014, il doit composer avec le statut de doublure derrière Debuchy. Quid de 2016 ? « Je pense avoir l’avantage(sur Jallet), mais ce n’est pas une fin en soi, assurait-il récemment. Il a fallu faire des choix pour le coach. Maintenant, il faut être performant pour rester dans le onze. » La compétition se déroulant chez lui, Sagna nourrit également le doux rêve d’inscrire son premier but en Bleu : « Ce serait magnifique, j’y pense. Ça viendra quand Dieu le décidera. » Ça lui permettrait sans doute de faire une fois l’unanimité. Au moins le temps d’une soirée.

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Par Romain Duchâteau

Propos de Guy Roux et Bernard David recueillis par RD, ceux de Bacary Sagna extraits de L’Équipe

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