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Sadio Mané-Désiré Segbé, l’amitié d’attaque
Le 22 juin dernier, Sadio Mané quittait Liverpool pour le Bayern Munich. Un mois plus tard, son meilleur ami annonçait son arrivée dans la réserve du club allemand. Réel choix au regard des qualités sportives et humaines de Désiré Segbé ou signature de complaisance, le recrutement de l'international béninois n'est pas passé inaperçu. Pour les rares personnes qui ont réellement pu côtoyer ce binôme très réservé, il s'agit en tout cas d'une amitié assez atypique dans le monde du football. Et ce depuis les terrains cabossés de Dakar, en passant par les rives de la Moselle lors de leur formation au FC Metz, et désormais en Bavière.
C’est l’histoire de deux potes, vraiment fidèles. C’est l’histoire de Sadio Mané qui profite de son transfert au Bayern Munich pour intégrer dans la transaction son plus proche ami Désiré Segbé, lui aussi footballeur professionnel, et elle aurait une nouvelle fois montré l’altruisme du Lion de la Téranga. Mais pas uniquement sur un terrain de football, cette fois. Pourtant, le principal intéressé évoluant (pour l’instant) dans la réserve bavaroise s’en défend : « J’ai juste accompagné mon pote lors de la signature de son contrat, car nous étions en vacances ensemble. Sans ça, jamais je ne discute avec un responsable du club. Je suis quand même international, mon profil leur a plu. » Une version que veut croire un ancien pensionnaire du centre de formation, au FC Metz : « Si c’était uniquement pour vivre dans les pas de Sadio, il l’aurait fait dès son départ à Salzburg (en août 2012, pour quatre millions d’euros). »
Répondant depuis l’Allemagne, assis devant Real Madrid-Eintracht Francfort en compagnie de Sadio Mané, Désiré Segbé explique avec timidité et un faible timbre de voix que ce seront ses seuls mots au sujet de cette supposée passe décisive contractuelle du Ballon d’or Africain 2019 et 2022 : « Je suis un ancien dans ma tête, je n’aime pas le tourbillon médiatique. Sadio, c’est Sadio. Désiré, c’est Désiré. Si ça ne tenait qu’à moi, je ne voulais pas l’annoncer et me concentrer sur le terrain. Mais je suis en sélection, ils voulaient savoir ce que j’allais faire après mon départ de Dunkerque (N1) et ma blessure au dos en Roumanie. »
Mané traducteur pour Segbé à Dakar
Au-delà de cette version ou de celle soupçonnant une signature de complaisance pour satisfaire une demande de la recrue star de l’été munichois, c’est une amitié sans faille qui a de nouveau vu un de ses chapitres s’écrire plus de dix ans après les premiers ballons échangés. Celle d’un Sadio Mané d’abord interprète à l’Académie Génération Foot de Dakar (Sénégal) pour le nouvel arrivant depuis son Bénin natal, Désiré Segbé. Jusqu’à devenir « deux frères inséparables sur et hors du terrain, unis par des valeurs communes », selon Olivier Perrin, recruteur du FC Metz qui a repéré les deux adolescents peu avant 2010 sur les terrains africains. Un duo, déjà. Un duo d’attaquants, d’abord : « Sadio était un créatif, il préférait le beau geste donc multipliait les passes décisives à son compère davantage porté vers le but avec de réelles qualités de finisseur. Sadio ne s’est intéressé au but que plus tard. Même à son arrivée à Metz, ce n’était pas un killer. » Une fois en chambre, l’ex de Liverpool se muait en traducteur car lui seul parlait français et pouvait communiquer avec le Béninois. Qui, lui, ne comprenait pas le wolof.
« Ce n’était pas le centre de formation fermé comme maintenant, c’était une maison ouverte à tous. C’était dur, parfois, de vivre avec d’autres personnes qui parlaient une langue différente et ils se sont renforcés mutuellement pour grandir de cette épreuve », poursuit celui que les deux joueurs définissent comme leur « père » . Alors, quand le diamant à polir Mané est invité par le FC Metz à rejoindre la France en 2011 au nom de ses qualités et du partenariat qui unit les deux entités, Désiré Segbé attire également l’œil des dirigeants mosellans. Au point de lui réserver une place dans la chambre du Sénégalais, la numéro 16, pour asseoir leur amitié alors que les débuts en Lorraine sont difficiles. « Sadio est arrivé avec une pubalgie, sa principale force était sa qualité d’appuis et il ne pouvait pas exploser. Désiré, lui, s’est fait les croisés. Ils se sont alors entraidés, soutenus entre expatriés. C’était une relation sincère, au-delà du football », poursuit le Lorrain le plus célèbre de Dakar.
Amis d’abdos et de ludo
À son retour de blessure début 2012, le natif de Bambali intègre le groupe professionnel sous la houlette de Dominique Bijotat. L’entraîneur de la descente en National ne se souvient même pas de leur union : « Vous me l’apprenez, preuve qu’ils savaient rester discrets sans être démonstratifs. Mais cela ne m’étonne pas, c’est fidèle à leur tempérament. » Ludovic Guerriero, titulaire au milieu de terrain cette saison-là, se rappelle d’un Sadio Mané « très timide, réservé. Oumar Sissoko, formé au club, venait toujours le chercher pour l’intégrer et rire avec Kalidou Koulibaly ou Yeni Ngbakoto. Souvent en vain. Ils n’avaient pas d’appartement avec Désiré, donc ils se retrouvaient au Centre. Alors que nous, on rentrait chacun chez nous. Quand j’y passais, je les voyais toujours ensemble ».
Un soutien précieux pour permettre l’éclosion du futur quatrième au Ballon d’or 2019. « Au début, il avait un côté individualiste dans son jeu, reconnaît Dominique Bijotat. C’est ainsi qu’il s’est construit, et qu’il est devenu ce joueur aujourd’hui. C’était tout l’inverse dans la vie de vestiaire, même quand il s’est mis à devenir décisif. » Loin d’être le buteur tueur aux 22 réalisations en Premier League avec Liverpool, en 2019. « Il n’était pas le plus à l’aise face au but, sourit son ex-coéquipier qui le voyait dribbler souvent et croquer parfois, un peu plus haut sur le rectangle vert.Sadio avait les qualités qu’on lui connaît, mais il faisait tout à la même vitesse. Il lui manquait maturité et justesse, acquises à Salzburg et surtout à Southampton sous Mauricio Pochettino. » Une progression renforcée par les longs débriefs entre attaquants et surtout entre amis avec Désiré Segbé, après les matchs.
En quête de buts ? Un Segbé à la rescousse
De cette période dans le froid lorrain, les Grenats ont gardé une complicité à toute épreuve renforcée par ces soirées de spleen et de tristesse sur les bords de la Moselle… Avec en ligne de mire, de l’autre côté du rivage, le stade Saint-Symphorien. Une complicité dans le travail notamment, même si Désiré Segbé reste principalement en réserve. Un membre de la bulle du binôme raconte ces séances de musculation à n’en plus finir, encore aujourd’hui pendant leurs vacances : « Il faut les voir, c’est à celui qui fera le plus d’abdos. C’est une constante compétition entre deux sportifs de haut niveau et indirectement, cela a rendu Sadio plus fort. Pas techniquement, mais sur tous les à-côtés du terrain. » Quand ce n’est pas en suant, c’est autour d’interminables parties de ludo (jeu africain quelque peu similaire aux petits chevaux) sur leur tablette ou de ping-pong que les deux casaniers, désormais sous le même toit, occupent leur journée.
C’est non loin du Lac Rose qu’est née cette relation. « Sadio a besoin de Désiré, ils sont tous les deux introvertis et font peu confiance quand ils ne connaissent pas. Sa présence renforce son cocon, le rassure et l’épanouit », observe un proche. « Mané est très réservé, et voit peu de monde. Quand Désiré jouait à Épinal (2015-2017), il a pris un jet privé une dizaine de fois entre deux entraînements depuis l’aéroport de Nancy pour se rendre en Angleterre », détaille un ancien conseiller de l’international béninois, parfois déçu par ses choix de carrière (mais rarement par l’homme). La raison ? L’ancien Red avait remarqué qu’à chaque présence de son alter ego en tribunes, il marquait. Que ce soit à Southampton, ou à Liverpool. Une présence que les appels Skype puis FaceTime quotidiens, voire bi-quotidiens, ne peuvent compenser. La superstition a pris fin en 2018 quand le Béninois s’est engagé avec Oldham Athletic, en quatrième division anglaise et surtout à une heure de route des bords de la Mersey.
Pas un pote de footballeurs comme les autres
De quoi améliorer le bilan carbone du duo, mais surtout de se rapprocher de Liverpool après une saison en Slovénie qui a permis au Béninois de redevenir international. « C’est une relation saine, qui fonctionne dans les deux sens. Franchement, je souhaite au monde d’entier de vivre une amitié pareille, souffle ce même agent, au courant de quelques échanges. Sadio ne le prend pas pour son chauffeur ou Désiré ne profite pas du statut de Sadio, comme c’est trop souvent le cas avec les potes de footballeurs. » D’autant que tous ces allers-retours se font en toute discrétion, sans inonder Instagram de stories ni en faire état à ses coéquipiers. Par exemple, un témoin a découvert cette amitié quand il s’est retrouvé nez à nez avec Sadio Mané – sans d’abord le reconnaître – lors d’un 32e de finale de Coupe de France en 2018 entre le SAS Épinal et l’Olympique de Marseille. « Il n’y a rien de calculé, c’est un geste fort. Une star de Liverpool à Épinal pour voir son pote, quand même… Comme deux potes iraient se voir jouer en amateur le dimanche après-midi. Ils ne vivent pas une amitié de star », sourit Olivier Perrin.
Une discrétion que confirme Benjamin Brat, capitaine de l’AS Pagny-sur-Moselle (N3) et coéquipier de l’époque (2015-2017) : « Pas une fois, il n’en a parlé dans le vestiaire. C’est mal connaître Désiré que de penser qu’il en joue, ce n’est pas du tout son tempérament, et cette amitié lui a surtout servi à être plus fort sur le terrain. » Au point de voir le Racing Club de Strasbourg, alors en National et en route vers la Ligue 2, le draguer en janvier 2016. « Son professionnalisme faisait qu’il filmait tous ses matchs donc forcément, le groupe a profité de ses images. C’est lui qui a instauré ça, au club, poursuit celui qui encadrait la défense, pendant que Segbé dirigeait l’attaque. Je ne sais pas pourquoi le Bayern l’a engagé, mais si c’est pour encadrer les jeunes et les guider, c’est un bon choix. Souvent, il me disait :« Remonte ta défense » ou« Sois plus solide avec ta défense ». C’est un leader, parfois cash. Mais comme il court, ça passe mieux. » Il n’y a bien que sur le rectangle vert que les bijoux de « GF » ne sont pas timides. « Sur ça aussi, ils se ressemblent, admet Olivier Perrin. Qu’importent les raisons de sa signature, il ne faut pas oublier que Désiré est un joueur de qualité, très humain, qui a connu trois opérations des ligaments croisés. Sans ça, on ne sait pas où il serait… » Peut-être en Allemagne, comme actuellement. Avec désormais l’espoir de jouer quelques minutes de nouveau ensemble, sous le maillot du Bayern Munich. En Bavière, proche de Metz. Mais loin du Sénégal et de Deni Biram Ndao, terre fertile de leur amitié.
Par Alexandre Plumey