Comment vous sentez-vous à la veille de la finale ?
J’y crois. L’Argentine a débuté son tournoi escortée de doutes, même si on sentait que nos grandes individualités pouvaient pallier les écueils de notre jeu collectif. Finalement, je séparerais notre tournoi en deux : la première et la deuxième phase. Notre football était moins rigoureux lors de la phase de poules, on laissait des espaces derrière. Et ensuite, on a avant tout privilégié la solidité. Pour moi, l’Allemagne et l’Argentine, dans des styles distincts, ont été les meilleures équipes de ce Mondial. Je pense qu’on peut gagner cette finale.
Vous êtes scénariste, assiste-t-on pour vous à un remake de Mexico 86 ou plutôt d’Italie 90 ?
Je crois qu’on est plus proche de Mexico 86, car c’est un bon Mondial, ouvert, où on a vu beaucoup de buts. Italie 90 fut un Mondial verrouillé, avare en spectacle. Concernant l’Argentine, notre parcours n’est pas aussi brillant qu’en 1986, mais il n’est pas non plus aussi accidenté qu’en 90. On se situe à mi-chemin, entre les deux.
L’Argentine n’a pas franchement contribué à la haute moyenne de buts de ce Mondial. Entre le jeu léché de l’Albiceleste de Pékerman ou de Bielsa, et celui plus opportuniste de Sabella, que préfère le supporter argentin ?
Le supporter argentin préfère gagner. Je crois d’ailleurs qu’on préfère gagner à tout prix un peu plus que dans beaucoup d’autres pays. L’unique plaisir que l’on tire d’un match comme celui contre les Pays-Bas, c’est de gagner. Ce n’est pas un hasard si Mascherano, et pas Messi, a été notre étendard lors de cette rencontre. Mais en Argentine, il existe tout de même des voix critiques et un débat sur le style de la sélection. Un débat qui sera toutefois enterré pendant un bon moment si l’on remporte la Coupe du monde dimanche. Enfin, les supporters préféreraient quand même qu’à cet ordre collectif s’ajoutent quelques éclats de nos individualités, pour renouer avec une certaine tradition argentine. On espère que ce sera pour la finale.
Vouloir la victoire à tout prix, c’est ce qui pourrait différencier le football argentin du brésilien ?
Je ne crois pas. En fait, on se ressemble assez dans notre capacité à subordonner nos principes au résultat. Et nos urgences sont assez similaires : nous ressentons une nécessité quasi épidermique de gagner constamment, même si les Brésiliens préfèrent être champions du monde comme en 1970, et les Argentins comme en 1986.
Comment avez-vous réagi à la déroute du Brésil face l’Allemagne ?
Déjà, jamais je n’avais imaginé que l’Allemagne pouvait gagner par plus de deux buts d’écart. Ensuite, cela ne m’a pas réjoui. Pour ce Mondial sud-américain, j’aurais préféré une finale sud-américaine. Pour moi, il n’y a rien à célébrer, car cette victoire n’est pas la nôtre. En ce sens, je ne suis pas un supporter type. En Argentine, la victoire de l’Allemagne a été fêtée comme si on avait gagné. C’est comme cela que l’on vit notre relation au Brésil en Argentine, et la réciproque est aussi vraie. Dimanche, l’Allemagne jouera d’ailleurs à domicile car tous les Brésiliens seront derrière la Mannschaft.
La rivalité va-t-elle pour vous au-delà du football ?
Notre conception du voisinage est assez problématique. J’aimerais qu’on soit moins bas de front. On a du mal à reconnaître les réussites du Brésil. Mais dans le même temps, le football brésilien est admiré en Argentine. On aime gagner, mais on n’est pas aveugles non plus, même si publiquement on essaie de cacher notre admiration. En fait, nous sommes peu sûrs de nous et cela nous empêche d’avoir un rapport serein à nos voisins. Enfin, le nationalisme primaire recule en Amérique du Sud, même si on a encore du chemin à faire. La création du Mercosur a été une nouvelle extraordinaire pour nos pays, pour apprendre à collaborer. On regarde le voisin avec méfiance, mais plus comme un ennemi comme au temps des dictatures militaires.
Commet jugez-vous le travail d’Alejandro Sabella ?
Son arrivée a été entourée de scepticisme, car il n’avait entraîné qu’un seul club. Il ne pouvait revendiquer qu’un seul grand succès : la conquête de la Copa Libertadores en 2009. Et gagner avec les Estudiantes La Plata n’a pas autant d’impact pour le peuple argentin que de triompher avec River ou Boca. C’est un personnage discret, pas polémique. Lors des éliminatoires, la sélection n’a cessé de progresser, même si l’équipe a toujours été déséquilibrée. Aujourd’hui, même si on perd en finale, Sabella pourra toujours revendiquer d’avoir été le premier à nous avoir fait franchir le cap des quarts de finale depuis 24 ans.
Depuis le début du Mondial, on n’a cessé de jauger la performance de Messi à l’aune du Mondial 86 de Maradona. Qu’en pensez-vous ?
Déjà, Messi fait son meilleur Mondial. Au premier tour, il a été essentiel pour aider l’Argentine quand elle souffrait, mais il n’est pas encore à la hauteur de Maradona 86. Cette finale est d’ailleurs sa grande opportunité d’entrer dans l’histoire de la sélection, car il appartient déjà à celle du foot. Après, il sera difficile d’être à la hauteur de la dimension épique du Mondial 86 de Maradona. Le contexte était différent. L’Argentine venait de sortir de la dictature militaire, de la guerre des Malouines. Maradona était évidemment l’homme idéal pour remplir ce rôle de héros tragique, un homme qui atteint les cimes avant de plonger en enfer, puis de se réinventer avant de souffrir à nouveau. Mais ce n’est pas la faute de Messi, si l’Argentin s’identifie, en règle générale, davantage à ce genre de personnalités. En Argentine, on est excessif. On est évident, très franc, souvent trop, on aime crier, on s’exhibe.
Pour terminer, Maradona est-il « plus grand » que Pelé, comme le chantent les supporters argentins au Brésil ?
Le personnage de Pelé ne m’est pas très sympathique, donc oui (rires).
Les notes des Bleus