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Sabri Lamouchi : « J’aurais aimé pouvoir faire une carrière à la Guy Roux à Rennes »

Propos recueillis par Clément Gavard et Gabriel Joly
13 minutes
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Depuis août 2021 et la fin de sa dernière expérience qatarie à Al-Duhail, Sabri Lamouchi se tient loin des bancs. Une éternité pour celui qui a fêté le mois dernier la dixième bougie de sa jeune carrière d'entraîneur. À 50 ans, l'ancien milieu de l'AJ Auxerre, de l'AS Monaco et de l'Inter a souhaité prendre son temps, histoire de bien se préparer avant un nouveau défi, mais il se dit désormais prêt à reprendre du service. Du Stade rennais à Nottingham Forest, Lamouchi revient sur ses principaux faits d'armes, sa crainte de l'oubli et ses modèles de management. Entretien avec un coach dont le plus grand rêve est d'enchaîner trois saisons dans le même club.

Pour la première fois depuis le début de votre carrière d’entraîneur, vous avez passé une saison complète sans banc de touche. Comment avez-vous vécu cette année sans exercer ? C’est vrai que j’entraîne depuis dix ans sans jamais avoir pris d’année sabbatique. Je ne m’étais pas arrêté autant depuis le début de ma carrière de joueur à 17 ans. C’est une période nouvelle pour moi, le rythme n’est pas le même. J’ai vraiment coupé pour prendre le temps de profiter des miens. Il y a une phase durant laquelle on décompresse, une autre où on profite, puis enfin une période où on s’impatiente. Là, je suis dans l’impatience de retrouver un projet qui va me donner envie de rebondir.

Certains coachs se servent parfois d’une telle coupure pour évoluer en allant à la rencontre d’autres entraîneurs, en lisant ou même en revisionnant des matchs. Est-ce que ça a été votre cas ? J’ai pu aller voir d’anciens collègues, en Italie ou aux Pays-Bas. Je suis par exemple allé à Amsterdam pour profiter des charmes de la ville avec ma famille. Mais également assister à des séances d’entraînement et à un match de l’Ajax grâce à mon ami Ronald de Boer. J’aurais beaucoup aimé me rendre en Amérique du Sud pour retrouver Marcelo Gallardo, mais il fallait aussi que je consacre du temps à mes enfants. J’essaie d’être là parce que je n’ai pas toujours pu être présent pendant ma carrière. Surtout, je sais que lorsque ça va repartir, j’aurai la tête dans la machine à laver. J’ai aussi pris le temps de me structurer. J’ai déjeuné avec des connaissances pour la constitution d’un staff et pour m’imprégner de différentes cultures. Comme je suis basé à Londres, j’ai la possibilité de voir plein de matchs.

Quand on est entraîneur, il faut se vendre et avoir du réseau. Je n’ai pas beaucoup travaillé sur ces aspects.

On vous voit beaucoup dans les médias ces derniers temps, à la télé comme dans la presse écrite. Est-ce aussi une manière de vous montrer en vue de retrouver un club ? C’est une manière de dire que je suis vivant ! (Rires.) Mon problème, c’est que je n’avais jamais eu d’agent jusqu’au mois de novembre. J’ai donc décidé de confier mes intérêts à l’agence Sport Cover de Meïssa N’Diaye (l’agent de Wissam Ben Yedder, Marcus Thuram ou Alban Lafont, entre autres, NDLR). Cela m’évite de répondre au téléphone, d’avoir à rencontrer des gens et de devoir dire non. Avant, c’était différent, j’avais la tête dans le guidon. Un agent pouvait m’appeler pour me dire qu’un club était intéressé par moi, mais à la table des négociations, j’étais celui qui discutait de mes contrats.

Christian Gourcuff a aussi toujours fonctionné sans agent. En 2022, est-ce devenu indispensable d’être accompagné par un intermédiaire pour trouver un banc ? Oui, sûrement. J’ai fait toute ma carrière de joueur sans agent. La différence, c’est que lorsque vous êtes joueur, on vient vous chercher. Quand on est entraîneur, il faut se vendre et avoir du réseau. Je n’ai pas beaucoup travaillé sur ces aspects. Ensuite, il faut être suffisamment lucide pour dire non quand vous savez qu’un projet ne vous convient pas pour ne pas perdre de temps dans des discussions dont on connaît l’issue.

Didier Drogba avait dit à José Mourinho que son entraîneur en sélection était top. Et là, Mourinho m’a invité à passer une semaine avec lui à Madrid.

Quand vous signez à Nottingham Forest en 2019, c’est Jorge Mendes qui vous aide à trouver ce point de chute. Comment l’avez-vous rencontré ? Cela remonte à l’époque de mon expérience en Côte d’Ivoire il y a une dizaine d’années. Didier Drogba avait dit à José Mourinho que son entraîneur en sélection était top. Et là, Mourinho m’a invité à passer une semaine avec lui à Madrid. On a vu un match de championnat à domicile et même une rencontre de Ligue des champions contre le Dortmund de Klopp (2-2 en novembre 2012, NDLR). J’étais en immersion totale. Rarement une personne m’a reçu comme Mourinho l’a fait. Il m’a ouvert les portes de son vestiaire, de son bureau et même de son réseau, puisque c’est comme ça que j’ai pu rencontrer son agent Jorge Mendes. On a dîné trois fois ensemble, puis on est restés en contact. Il y a eu quelques projets qui ont été avortés, mais Nottingham a pu se faire.

Avez-vous reçu des propositions concrètes cette année ? Pour être honnête, je pensais que cette coupure serait plus courte. On est venu me chercher à plusieurs reprises, et j’ai dit non, car je ne voulais pas replonger n’importe où et n’importe comment. Il y a eu deux offres de clubs anglais, mais la catégorie ne me convenait pas. On a aussi eu des discussions avec d’autres clubs, mais je n’ai pas voulu donner suite pour des raisons sportives liées à la compétitivité des championnats.

Est-ce que l’idée de commencer une nouvelle saison sans club vous angoisse ? Cela ne m’angoisse pas, mais j’aimerais bien commencer une saison normalement avec une préparation pour être sur la même ligne de départ que mes collègues. Maintenant, il ne faut pas se raconter d’histoires. On est fin juin, beaucoup de clubs ont déjà repris et nous sommes nombreux à attendre un banc.

Après vos deux expériences européennes à Rennes et Nottingham Forest, vous êtes retournés au Qatar à Al-Duhail. Était-ce vraiment un choix judicieux pour se faire repérer par des clubs en Europe ? Non, vous avez raison, mais je n’ai pas de regrets. C’était difficile de dire non à Al-Duhail à ce moment-là, comme cela avait pu être dur de dire non à Watford quand j’étais encore à Nottingham. Ils sont venus me chercher quelques semaines après mon arrivée là-bas. Quand un club de Premier League fait appel à vous… Aujourd’hui, il y a des choses que je ferais autrement. À Nottingham, je venais d’être élu entraîneur du mois en Championship et je commençais à sentir que l’ambiance dans la ville m’était favorable. Quand on est à deux points de la montée directe fin janvier avec Forest, on se dit que c’est peut-être plus intelligent de viser la promotion plutôt que d’aller se battre pour le maintien avec Watford.

À Rennes, votre relation avec le président Olivier Létang s’est détériorée au fil des mois jusqu’à un licenciement que vous avez mal vécu. Avez-vous souffert de ce conflit ? Bien sûr. Être seul en conflit direct avec le président ou le board, c’est compliqué. C’est aussi pour cela que j’ai pris un agent. Létang a été exigeant, dur, cruel… Ensuite, la colère et la déception sont passées. Je me suis dit qu’il avait quand même eu beaucoup de courage d’être venu me chercher. Je me suis un peu enfermé dans ces tensions et c’est allé au détriment de l’aspect sportif. J’étais moins lucide, un peu plus irritable. C’est dommage. Mais encore une fois, on ne peut pas me reprocher mes résultats. Les fans objectifs reconnaissent mon travail.

Je n’ai pas peur qu’on l’oublie ! On l’a oublié, mais pas moi. J’ai labouré, j’ai semé, mais je n’ai pas récolté.

En vous écoutant parler, on a un peu l’impression qu’il y a chez vous la peur que l’on ait oublié votre travail. D’où cela vient-il ? Je n’ai pas peur qu’on l’oublie ! On l’a oublié, mais pas moi. J’ai labouré, j’ai semé, mais je n’ai pas récolté. Il n’empêche que j’ai réveillé une belle endormie à Rennes et que j’ai changé beaucoup de choses à Nottingham. Il ne faut pas avoir peur de dire qu’on l’a oublié parce que c’est le cas.

Mais qui a oublié ? Les médias, les gens du club, les supporters… On passe vite à autre chose, c’est le foot.

À Rennes, on ne jouait jamais l’Europe et quand on gagnait deux matchs, on ne pensait jamais remporter le troisième. On commençait une saison en se disant qu’on finirait dans le ventre mou. J’ai un peu changé cette mentalité.

Qu’est-ce que vous avez changé concrètement à Rennes ? À Rennes, on ne jouait jamais l’Europe et quand on gagnait deux matchs, on ne pensait jamais remporter le troisième. On commençait une saison en se disant qu’on finirait dans le ventre mou. J’ai un peu changé cette mentalité. L’apport du président a aussi été important. Olivier Létang n’a pas choisi quelqu’un à l’opposé de ce qu’il est. Il était le patron du club, j’étais le patron du vestiaire, c’est le coach qui doit emmener tout le monde. Quand il m’a demandé comment je voulais travailler, il y avait 44 joueurs professionnels et je lui ai dit que ce n’était pas possible. On a donc travaillé avec 25 joueurs et des jeunes du centre. On a réduit le groupe, augmenté l’intensité et la compétitivité. Après une première défaite à Strasbourg, je fais des changements importants, le vestiaire me suit et on gagne le derby contre Nantes. En une semaine, on avait gagné trois matchs.

Et à Nottingham ? C’était un peu la même chose. À mon arrivée, il n’était pas question de jouer une accession. On commence par une défaite à domicile, on fait un nul à Leeds, puis on gagne six ou sept matchs d’affilée. Gagner, ça donne un peu plus de crédit et de temps, c’est important dans notre travail. On n’est pas des magiciens. Quand on se fait éliminer de la Coupe du monde à la dernière minute contre la Grèce avec la Côte d’Ivoire, ça fait partie du foot. Dix ans après, on peut se dire qu’on aurait pu gérer des choses différemment, c’est facile. Je suis beaucoup plus dur avec moi-même que les gens ne peuvent l’être, c’est même un défaut. Ma grande chance, c’est de vivre de ma passion et de ne jamais avoir eu le sentiment de travailler.

Qu’est-ce qui se passe dans votre tête quand vous voyez Rennes ou Nottingham réussir de grandes choses quelques semaines après votre éviction ? Est-ce qu’il y a de la fierté ou plutôt le sentiment d’être frustré ? C’est partagé. De la déception, oui. De la frustration, aussi. Je suis fier d’avoir fait mon travail et d’avoir pu être le coach de clubs importants comme Rennes ou Nottingham. J’ai beaucoup de chance. Il y a parfois eu des moments cruels avec les licenciements, mais ça fait partie du job. Je ne peux pas le prendre que pour les bons moments. Je peux citer plein d’entraîneurs qui ont fait un travail remarquable sans gagner. En Premier League, à la fin, il n’y a que Pep Guardiola qui soulève le trophée. Le foot a beaucoup évolué, tout comme les médias, la mentalité des joueurs, celle des propriétaires… Aujourd’hui, il y a beaucoup de fonds d’investissement étrangers impatients. Ils veulent gagner très vite. Il faut le comprendre, l’accepter et s’adapter.

Mon rêve n’est pas de gagner, mais d’avoir un club pendant au moins trois ans, oui.

Vous disiez récemment que votre rêve serait de passer trois saisons dans le même club. Là encore, est-ce devenu quasiment utopique aujourd’hui ? Quand je vois que la moyenne à l’époque était de 18 mois et qu’elle est maintenant beaucoup plus basse… C’est très compliqué. C’est une question de timing : il faut rencontrer les bonnes personnes au bon endroit et être en phase. Mon rêve n’est pas de gagner, mais d’avoir un club pendant au moins trois ans, oui. Ça fait aussi partie du métier d’avoir du temps pour faire progresser les joueurs et faire évoluer l’équipe. Quand Matty Cash m’envoie un message pour me remercier de l’avoir fait changer de poste, ça me touche. Malheureusement, il y a des impondérables. À Nottingham, on oublie de dire que la Covid-19 est arrivée à un moment terrible, mais en parallèle, des personnes ont perdu la vie, leur boulot, donc est-ce que j’ai le droit de me plaindre ? Je ne pense pas. Avec toutes les complications du métier, il faut que l’entraîneur puisse tout optimiser pour le bien du groupe. J’aurais aimé pouvoir faire une carrière à la Guy Roux ou à la Wenger à Rennes, mais c’est très compliqué. Les deux derniers Mohicans en place depuis 5-6 ans, ce sont Klopp et Guardiola. Les résultats parlent pour eux. Par exemple, Conte, qui gagne partout où il passe, a du mal à rester aussi longtemps. Pareil pour Ancelotti depuis sa longue période à Milan. Mais là, on parle de la crème de la crème.

Qui sont les coachs qui vous ont inspiré ? On pense forcément à Arrigo Sacchi, que vous avez connu à Parme. De loin, c’est celui qui m’a le plus impressionné. Chacun m’a apporté : Jacquet, Tigana, Prandelli, Roux. J’essaie de ne pas recopier un coach, je veux avoir ma personnalité. J’aime bien regarder ce que fait Simeone. D’ailleurs, voilà un autre entraîneur en place depuis longtemps. Demandez-lui si sa vie n’aurait pas changé à deux ou trois minutes près lors de la finale de la Ligue des champions perdue contre le Real. Lui et Guardiola sont diamétralement opposés, mais ils ont tout mon respect.

Sacchi a changé le football italien avec une autre vision, une autre intensité et un travail tactique différent. Il était question de jouer plus haut et il était très pointilleux sur tous les aspects.

Pour en revenir à Sacchi, comment expliquez-vous qu’il soit toujours régulièrement cité comme un modèle alors qu’il n’a plus entraîné depuis plus de 20 ans ? Il a changé le football italien avec une autre vision, une autre intensité et un travail tactique différent. Il était question de jouer plus haut et il était très pointilleux sur tous les aspects. Il a totalement tranché avec le catenaccio. Puis, son management était remarquable, c’était le patron avec tout le monde, même des grands joueurs comme Rijkaard ou Van Basten. Les grands champions écoutent le premier discours, les premiers mots et si c’est cohérent, ils vont suivre. Mais il reste toujours des choses qu’on ne peut pas maîtriser, ce qui est à la fois compliqué et excitant.

Trouvez-vous qu’on a tendance à suranalyser le foot aujourd’hui en oubliant la part d’irrationnel de ce sport ? Tout à fait ! On a beau avoir un plan A, B, voire C, il faut s’attendre à en avoir un D ou E pendant un match. Il y a tellement de scénarios possibles… Parfois, on se retrouve même dans quelque chose qu’on n’avait pas du tout imaginé. Bien sûr qu’il faut profiter des datas, des statistiques, pour améliorer les individualités et faire progresser le collectif, mais le foot reste irrationnel.

Dans votre management, quelle place occupe votre traumatisme d’avoir fait partie des six joueurs exclus de la liste élargie d’Aimé Jacquet pour le Mondial 1998 ? J’essaie d’être le plus humain possible et c’est vrai que cet événement peut entrer en ligne de compte. Quand je dois faire la même chose en 2014 avec la Côte d’Ivoire, j’essaie de prendre des gants. Cela étant, la déception, la colère et l’incompréhension sont quand même là chez les joueurs. Pour moi, ça a été très long, très compliqué, mais je suis passé à autre chose trois ans et demi après. Ma carrière a été riche, au-delà de toutes mes espérances.

Qu’est-ce qui est le plus dur, être joueur ou entraîneur ? Coach, sans aucun doute. Si j’étais joueur, je n’aurais pas eu de mal à trouver un club, on joue au foot partout. En tant qu’entraîneur, j’ai eu des propositions dans des pays improbables, en Amérique du Sud ou au Moyen Orient. Quand vous êtes coach, vous êtes le garant d’un projet. Les joueurs doivent suivre le leader, et ça doit être l’entraîneur.

Vous employez souvent le terme « violence » pour parler des moments difficiles de votre carrière. Après tant d’années passées dans le foot, cela vous arrive-t-il d’être encore surpris par la cruauté du milieu ? Non, j’essaie de m’adapter, tout va tellement vite. Je vois encore Léonce Lavagne entraîner à Alès en D2, Guy Roux ou Sacchi… Et je me vois aussi coach aujourd’hui, dans ce métier qui évolue. C’est un peu le cycle de la vie. Le métier d’entraîneur n’est pas plus cruel que d’autres dans la finance, le bâtiment ou la politique. L’important, c’est de comprendre qui on est.

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Propos recueillis par Clément Gavard et Gabriel Joly

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