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Saber Jendoubi : « Waldemar Kita mourra propriétaire du FC Nantes »

Propos recueillis par Jérémie Baron
6 minutes
Saber Jendoubi : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Waldemar Kita mourra propriétaire du FC Nantes<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Après six mois d'enquête, le journaliste Saber Jendoubi vient de sortir un livre consacré à Waldemar Kita, au nom loin d'être anodin : L'Insaisissable Monsieur K. Une manière de pouvoir rembobiner le parcours du patibulaire président du FC Nantes, et de compiler près de 25 ans de chaos dans le monde du football pour l'homme d'affaires franco-polonais.

Quel était le projet derrière ce livre ?Comprendre qui était cet homme. Un homme qui est là depuis quinze ans, dont la presse chronique quasiment quotidiennement les sorties tonitruantes, ses choix et ses non-choix sportifs. On fait souvent l’analogie avec le cirque, et l’idée était d’aller dans les coulisses du « Kita circus » , en comprendre la mécanique. Je ne connaissais pas du tout l’homme, et beaucoup de choses m’ont marqué. C’est un travail collectif. Je ne me rendais pas compte de la richesse du travail des journalistes, sportifs et autres, qui ont travaillé sur Waldemar Kita ces quinze-vingt dernières années. C’est incroyable. J’ai essayé de compiler tout ça. Tous ces gens qui ont travaillé sur Kita, ils ont eu du courage.

Cela n’a pas été trop dur de s’informer sur Kita ou de trouver du monde qui voulait bien parler de lui ?Il y a des choses qui remontent à 30 ou 40 ans, certains ne veulent pas entendre parler de Kita, et d’autres sont fatigués de ces histoires, de leur passif avec lui. Il y a soit des gens qui ont une mauvaise image de Kita et ne veulent plus du tout en entendre parler, soit des gens qui ont peur de certaines répercussions ou des foudres du bonhomme… Tu sais pertinemment qu’il s’est passé des choses, et quand tu appelles les personnes, elles disent « oui, il y a eu des histoires, mais peu importe, je lui dois tout », etc. Il y a un discours, une certaine ambivalence avec Kita. Il a tendu la main à beaucoup de gens en 50 ans de carrière, mais il a aussi fait l’inverse.

Dans la première partie du livre, on comprend que Kita possède de nombreuses parts d’ombre (notamment au sujet du passé et de la mort de son père, des conditions de sa venue en France, de ses études d’optique ou encore de sa carrière en tant que joueur) et qu’il aime en jouer pour le tourner à son avantage. Le problème, c’est que ce sont des choses répétées, contredites, qui sont dans la presse depuis 20 ou 30 ans. Il faut plus que six mois pour trouver la vérité sur Kita. Il a brodé. Je pense qu’on peut dire qu’il n’a jamais été un joueur international, comme il le prétend. Pareil pour le diplôme d’entraîneur : qu’il le montre, son diplôme (Kita possèderait un diplôme homologué en Pologne, NDLR). La fédération polonaise de football m’a bullshité, n’a pas réussi à me montrer le diplôme. Je ne dis pas qu’il ne l’a pas, mais… Personne n’arrive à prouver les assertions de Waldemar Kita. Même en Pologne, c’est brumeux, lointain. C’est fatiguant.

Ce qui ressort notamment de ton travail, c’est que son début de succès avec Corneal, avec l’entrée en bourse de l’entreprise, l’a transformé en ce personnage prêt à tout écraser autour de lui.Je ne sais pas si ça le révèle ou s’il était déjà comme ça à l’origine, mais pour beaucoup de ses camarades et de ses anciens collaborateurs, ça a été une révélation. C’est aussi l’entourage : fréquenter ce monde du foot, des gens cupides, un entourage assez toxique, qui profite de sa passion du foot pour le pousser à acheter, prendre un club, acheter des joueurs. C’est en partie ça. C’est le carton à la bourse qui le fait vriller, derrière c’est un entourage dans le milieu du sport, qui lui lèche les bottes. Des gens qui pensent qu’on peut faire de l’argent facile avec le monde du football. Waldemar Kita en était persuadé, est-ce qu’il en est encore persuadé ? Il fait ça, d’une certaine manière, pour rester éternel. Il est dans l’esthétique. Avec les cosmétiques, quelque part, il recherche l’éternité.

Le FC Nantes est pour lui une vitrine, une visibilité pour ses business.C’est exactement ça. À l’époque, on s’achetait un cheval de course. Aujourd’hui pour Kita, un club de foot, c’est un moyen de faire du soft power.

À l’époque, on s’achetait un cheval de course. Aujourd’hui pour Kita, un club de foot, c’est un moyen de faire du soft power.

Penses-tu que Kita est un personnage unique du foot français, ou au contraire le stéréotype du président de club ?Il remplit tous les critères, mais dans l’exagération, jusqu’à la caricature. Je crois aussi que c’est la fin d’un modèle. Il y a un côté berlusconien. Il ne lui manque que l’entrée en politique, mais il a tous les traits d’un Berlusconi. On l’a aussi comparé à Trump : je dis pourquoi pas, il y a quelque chose, dans les frasques, les sorties, sa façon de répondre. Mais dans sa carrière, c’est du Berlusconi. Il fait partie du vieux monde, cette espèce de façon de gérer. C’est le monde d’avant, les années 1980.

Ça voudrait dire qu’il est en fin de cycle à Nantes ?Ce que me disent certains de ses proches, c’est qu’il mourra sur scène. Il mourra sur le gazon. Il mourra propriétaire du FC Nantes. Il aime trop cette visibilité, ces projecteurs, et être l’objet de ces ressentiments.

Ses méthodes brutales et sa gestion calamiteuse au FC Nantes sont finalement les mêmes que celles qu’il a utilisées précédemment dans ses entreprises ou au FC Lausanne, où il a aussi été président ?À Lausanne ça a été rapide, ça n’a duré que que trois ans, donc les gens n’ont pas eu le temps de trop subir sa gestion calamiteuse, même si le club s’est retrouvé dans de sales draps après (le FC Lausanne s’est retrouvé en faillite et relégué administrativement, quelques mois après le départ de Kita, NDLR). Là, il y a eu quinze ans de mauvaise gestion humaine. Mon angle, c’était ça : parler des gens de ce club, de voir les gens qui se plaignent, qui en ont marre, sont fatigués, et ont presque honte de travailler au FC Nantes. J’ai demandé plein de documents, notamment aux prud’hommes, les syndicats etc., mais personne n’a voulu parler, me dire ce qu’il s’est passé. Il y a une centaine de salariés, il s’est passé plein de choses, mais personne ne veut parler. Il y a un mur du silence.

Le fait qu’il ne soit pas resté assez longtemps à Lausanne pour détruire son image, c’est ce qui lui a permis d’acheter le FCN ?Kita est toujours un mystère. Je pense qu’il y a aussi des liens parisiens, politiques, qui le branchent sur le FC Nantes. À l’époque, il avait beaucoup d’argent grâce à la bourse, beaucoup plus qu’en 1998 (au moment de sa première candidature au rachat du club ; refusée au profit de la Socpresse), et c’est ce qui lui a permis de racheter le FC Nantes. C’est ça qui interroge : comment il a pu passer les filtres et pouvoir acheter le club ?

Un passage du livre évoque le drame Emiliano Sala et notamment la manière dont les Kita auraient tout fait pour le faire partir. Y compris en arrêtant de lui serrer la main quand ils le croisaient. Tu as senti que l’affaire Sala avait marqué un tournant dans la défiance générale à l’encontre de Kita ?Pas forcément, mais ça a médiatisé ce comportement. Chez les supporters, tout le monde savait ce qui se passait au FC Nantes depuis 2007 ; mais là, ça a dépassé la citadelle FC Nantes. Ce qui dirige les choix des Kita à ce moment-là, c’est le business avant tout, avant le sportif. Je n’invente rien, c’est ce qui est emblématique de la gestion Kita, à tous les niveaux : l’argent avant l’humain.

La fin du livre est l’occasion de détailler les affaires judiciaires dans lesquelles Waldemar Kita est empêtré…Oui, et à Nantes, on n’a pas fini d’entendre parler de Waldemar Kita, c’est certain. Il y aura peut-être un tome 2. (Rires.)

Dans cet article :
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Propos recueillis par Jérémie Baron

À lire : L'Insaisissable Monsieur K. de Saber Jendoubi, aux éditions Ouest-France (2022, 180 pages).

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