- 20e anniversaire du génocide
Rwanda : 20 ans après, le foot cherche encore son souffle
Il y a 20 ans, le Rwanda, petit pays d'Afrique de l'Est aux milles collines, connaissait un terrible génocide. 100 jours de massacre entre hutus et tutsis, 1 millions de morts. Aujourd'hui le pays s'est stabilisé, se reconstruit à vitesse grand V et il n'est plus question d'ethnies. Le football, que Paul Kagame, le président, a mis un point d'honneur à développer, est un des facteurs de cette incroyable réconciliation. Paradoxe, il souffre d'un manque cruel de moyens. L'académie, Dream Team, fondée par d'anciens footballeurs, souvent victimes du génocide, en est la parfaite illustration.
17h00, le soleil est couchant sur Kigali. Trois générations esquivent encore les plots sur les deux immenses terrains de terre battue. Le domaine de Kicukiro, gardé par des types armés à l’entrée, porte encore les stigmates des événements de 94. Ancien siège de l’ONU, 2000 tutsis s’étaient réfugiés là pendant le génocide, avant que tous se fassent exterminer après le départ des forces occidentales. Quelques barrières de barbelés rouillés trônent encore au bord des terrains, et une casse de déchets métalliques oxydés empêche les ballons des petits maladroits de s’égarer trop loin. Hamim, faux maillot du PSG sur le dos, sillonne les rectangles rouges et à coups de « passa, passa » et rappelle à l’ordre ses ouailles. L’ancien espoir du Rayon Sport, désormais coach, manque de trébucher après avoir glissé sur une des nombreuses bouteilles en plastique qui jonchent le sol. « Ça va se mettre en place, mais c’est vrai que pour l’instant c’est pas facile. »
Le terrain partagé avec une auto-école
Avec ses deux terrains, l’académie de foot rwandaise, créée en septembre 2010, doit composer avec pas moins de 183 gamins licenciés. Un handicap, surtout que Dream Team n’est pas propriétaire du domaine. « Tu vois la maison là-bas qu’ils ont construit, bah du jour au lendemain ils ont décidé de la mettre là. Si tu regardes bien, y a encore les deux cages » , explique Jacques, l’élégant président de l’organisation. L’association paye 50 000 francs rwandais par mois à l’école à qui appartient les rectangles rouges . Un montant astronomique. Mais avec ses 1000 collines, il est bien difficile ici, au Rwanda, de trouver de grandes surfaces plates. Ce qui est rare est donc forcément cher. Alors pour amortir le prix foncier, Dream Team laisse le bord de ses terrains à… une auto école où deux bagnoles déglinguées zigzaguent elles aussi à travers les plots. « Parfois t’as un mec qui confond les clignotants avec le klaxon, du coup tout les petits s’arrêtent de jouer et se moquent du type qui s’est trompé » , sourit un éducateur. L’État rwandais qui a investi dans une sécurité sociale et a beaucoup œuvré pour l’éducation, semble pourtant se désintéresser du football. « Non l’État ne nous donne rien, ou pas encore. Car il va falloir du temps pour que le football d’ici évolue. Tu te rends compte, presque aucune équipe pro de la D1 rwandaise n’a de centre de formation pour les jeunes. Quand j’entends que chez vous y a plus de 7 000 matchs de jeunes tous les week-ends, je me dis que chez nous, on a encore d’immenses progrès à faire avant de demander quoi que ce soit » , répond Jacques. Le manque d’organisation et l’amateurisme du ballon rond local pousseraient le gouvernement en place à rechigner d’y mettre ses billes. Mais malgré cela, et le fait qu’il n’y ait qu’un unique sponsor qui menace se faire la malle, des frais en hausse, et une aide inexistante de l’État, les fondateurs de Dream Team ne perdent pas espoir : « On a l’ambition de créer à terme un club. »
« Soit les familles n’en parlaient pas, soit elles prenaient parti pour une ethnie. »
Même si au pays on a coutume de dire que « le Rwandais préfère le regarder à la télé qu’y jouer » , le ballon rond reste le sport le plus pratiqué. Vingt ans après le génocide, il est surtout un formidable moyen de fédérer autour d’un même objectif. Pendant les périodes de tensions entre hutus et tutsis, avant le génocide et après la période coloniale, le football était l’un des derniers domaines à réussir à rassembler les deux ethnies. Pendant les massacres, les cas de joueur hutu ayant pris les armes pour tuer des tutsis sont rares. Aujourd’hui, employer les termes ‘’hutu » et ‘’tutsi » est interdit, sous peine de poursuite judiciaire. Tout le monde est proclamé rwandais. Nés avant les événements de 94, aucun des licenciés de Dream Team n’a connu l’atrocité du passé et pourtant le spectre du génocide est bien là. « On en parle pas beaucoup entre nous, mais nous savons tous que tel ou tel a perdu un proche ou même parfois toute une famille dans l’histoire » , avoue John, jeune défenseur des U19. En ce mois de juillet, anniversaire de la fin du génocide, tous les gamins de plus de 12 ans ont été amenés aux commémorations. « Ce n’est pas obligatoire pour les plus jeunes car certaines images sont dures » , précise Jacques. Lui, comme Eugène Murangwa, ancien gardien de l’équipe nationale et intervenant dans l’association, se sont cachés pendant le génocide. Ce dernier doit même sa vie à un de ses coéquipiers hutus qui le cacha durant les 100 jours de massacre. L’un des seuls survivants de son quartier, il aime aujourd’hui à rappeler aux enfants l’importance de mémoire et d’unification. « Si ce genre d’événements venaient à se reproduire, ce ne serait pas à cause de la nouvelle génération, mais ça viendrait de nous, les parents. Moi, pareil, je n’ai pas connu ce qui s’était passé en 1959 (premiers massacres de tutsis et exil de 30 000 d’entre eux, ndlr) et mes parents ne m’en parlaient pas. De toute manière c’est simple, à cette époque, soit les familles n’en parlaient pas, soit elles prenaient parti pour une ethnie. » Lui veut croire en un football où hutus et tutsis joueraient comme des Rwandais. Car le foot, introduit par les colons belges au début du siècle dernier, a dans le passé, plus souvent divisé qu’unifié.
Flocage « Lamprd » au stylo
Au début réservé à l’élite tutsi, érigée en race supérieure, plus à même de pratiquer ce sport, le football est ensuite revenu aux mains des hutus à mesure que les colons belges changeaient de préférence ethnique. Ainsi, avant 1994, pour certaines équipes, il était mal vu d’associer des joueurs tutsis à des joueurs hutus. « Mais tu sais moi je veux pas jouer le moralisateur, ce n’est pas mon rôle. Je ne suis ni historien, ni parent, je souhaite juste construire quelque chose de fédérateur en fonction du passé, mais en direction du futur, tu comprends ? » , nuance le président. Pacifique, gringalet de 11 ans, faux maillot de l’Angleterre sur le dos floqué maladroitement au stylo « Lamprd » , slalome ses petits camarades, le tout sous les applaudissements des gars de l’auto-école venus regarder les petits entre deux clients. Lui n’a pas été aux commémorations d’avril, trop petit mais croit savoir qu’en 1994, « il y a eu une guerre, que des gens se sont fait découper à la machette et que c’est parce que les Français et les Belges le voulaient bien. » Depuis 1994, les manuels d’histoire ont été modifiés et on enseigne aux enfants le Rwanda d’après le génocide. Pas celui d’avant, ni celui pendant. Même si le pays aux 1000 collines s’est formidablement relevé d’un tel traumatisme et se révèle être aujourd’hui une future grande puissance d’Afrique grâce à sa stabilité politique et sa prospérité économique, les démons ne sont jamais trop loin. C’est pourquoi, à Dream Team, les exercices et les intervenants insistent souvent sur le collectif, l’entraide et les exercices de cohésion. Dans un pays où les -15 ans représentent 42,6 % de la population, le Rwanda, à travers le sport, a aujourd’hui le moyen de se réinventer : « Je crois qu’on peut dire maintenant qu’on est un peuple discipliné » , récite du bout des lèvres Jean d’Amour, un jeune gars venu voir son pote s’entraîner. Et des voitures zigzaguer entre des plots.
Par Quentin Müller à Kigali