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Ruslan Malinovskyi, le cœur à gauche

Par Florian Lefèvre
Ruslan Malinovskyi, le cœur à gauche

Alors que son pays vacille sous la pression de Moscou, Ruslan Malinovskyi continue de prouver à 28 ans que l'Ukraine a façonné un meneur de jeu précieux au pied gauche ravageur. Qu'importe si c'est ensuite à l'international - à travers la Coupe d'Europe qu'il retrouve ce jeudi contre l'Olympiakos ou dans des clubs comme Genk et aujourd'hui l'Atalanta - qu'il a pris une autre dimension. Portrait d’un joueur qui visait déjà très haut étant jeune en grimpant aux arbres.

Article issu du n°78 de So Foot Club, toujours en kiosque

Début décembre 2021. En l’espace de cinq jours, l’Atalanta dispute deux matchs déjà capitaux pour sa saison : un déplacement à Naples pour y affronter le coleader de Serie A, puis la réception de Villarreal en dernier match de poule de Ligue des champions. Deux matchs qui se terminent sur le même score (2-3), mais à l’issue pourtant bien différente. Si le premier permet à l’Atalanta de raccrocher le train-Scudetto en Serie A, l’autre marque la fin de parcours du club bergamasque en C1. Dans les deux cas, néanmoins, une constante : le nom de Ruslan Malinovskyi au tableau d’affichage. À Naples, il avait ouvert le score après 7 minutes de jeu, mettant les siens sur la voie du succès. Contre Villarreal, il a relancé l’espoir alors que son équipe était menée 3-0. En vain. Les faits sont là: à la mi-saison, l’Ukrainien vogue sur ses moyennes habituelles depuis son arrivée à Bergame puisqu’il en est à 5 buts toutes compétitions confondues, lui qui avait conclu ses deux premières saisons en Lombardie respectivement à 9 et 10 pions. Titulaire ou en sortie de banc, il est clairement devenu un rouage essentiel de la mécanique de Gian Piero Gasperini.

Tu vois vite si un joueur applique tes recommandations aux entraînements. C’est une question de caractère, mais aussi d’intelligence. Et je me suis rendu compte que Ruslan était motivé pour s’améliorer.

Fer de lance de l’Ukraine qui s’est hissée en quarts de finale du dernier Euro, le meneur de jeu en est désormais à 113 matchs sous le maillot de la Dea, le cap des 100 ayant été franchi le 6 novembre 2021 face à Cagliari. Positionné axe droit derrière l’attaquant, il se révèle une arme redoutable quand il déclenche une frappe du gauche de loin dans le jeu ou sur coup franc. Mais c’est aussi sa capacité à fluidifier le jeu de son équipe qui s’avère précieuse. « Quand on le voit jouer, on a vraiment l’impression que le football, c’est facile, constate Boukary Dramé, ancien latéral gauche de l’Atalanta. Malinovskyi, c’est un joueur qui ne force pas. Ses adversaires, il les élimine tranquillement. » Sauf que l’Ukrainien n’a pas toujours été un joueur de sang-froid. Il y a encore quelques années, s’il ratait deux passes d’entrée de jeu, il pouvait complètement sortir de ses matchs. « De temps en temps, il était trop volcanique dans ses réactions », note Philippe Clement, son ancien entraîneur à Genk, de l’hiver 2018 à l’été 2019. En Belgique, le public pouvait aussi lui rendre la pareille. « Quand je suis arrivé à Genk, rembobine le coach flamand, les supporters reprochaient à Ruslan de ne pas assez défendre quand l’équipe n’avait pas la possession du ballon. Il se faisait siffler sur le terrain. » Vidéos de ses prestations à l’appui, Clement montre alors à Malinovskyi sa marge de progression. « Tu vois vite si un joueur applique tes recommandations aux entraînements. C’est une question de caractère, mais aussi d’intelligence. Et je me suis rendu compte que Ruslan était motivé pour s’améliorer. » En l’espace de quelques semaines, l’Ukrainien retrouve du crédit auprès des supporters. La saison suivante, il sera l’un des hommes-clés du titre de champion de Belgique de Genk, avant de filer en Italie pour prendre une nouvelle dimension.

Viré, puis rappelé à l’académie du Shakhtar

Retour aux origines. Né en 1993 à Zhytomyr, une ville de l’Ukraine occidentale à 140 km de Kiev, Ruslan a été bercé par la musique folklorique. Sa mère chanteuse et son père accordéoniste étaient membres d’un orchestre philharmonique. Peu porté sur les partitions, le fiston préférait fabriquer un ballon avec une paire de chaussettes pour jouer dans le couloir de l’appartement familial. « Parfois, il frappait tellement fort dans la porte que le voisin croyait qu’on venait le cambrioler », confiait sa mère Ekaterina dans un reportage du média belge Sport/Foot Magazine. Enfant, quand il n’usait pas l’herbe du terrain de foot en bas de son immeuble, Ruslan le téméraire aimait bien se percher dans les branches d’un cerisier. « Il grimpait dedans jusqu’à une hauteur où personne d’autre n’osait s’aventurer, l’équivalent d’un bâtiment de cinq ou six étages. Ruslan n’a jamais eu peur de rien », expliquait son frère Aleksandr, huit ans de plus, qui a fait office de coach personnel à l’époque. « Je lui disais de s’entraîner toujours plus, surtout pendant les vacances. J’étais tellement dur que notre mère disait parfois que j’allais en faire un invalide. Mais je voyais son potentiel et je le provoquais pour qu’il l’exploite. »

Il grimpait dans un cerisier jusqu’à une hauteur où personne d’autre n’osait s’aventurer, l’équivalent d’un bâtiment de cinq ou six étages. Ruslan n’a jamais eu peur de rien.

Justement, le Dynamo Kiev repère le talent de Ruslan. À 12 ans, celui-ci préfère cependant répondre aux sirènes du Shakhtar, l’autre grand club ukrainien. Parce que le club de Donetsk est son équipe favorite, que le Brésilien Matuzalém est son joueur fétiche et que l’académie du Shakhtar est plus réputée. « Il connaissait les différences entre les deux centres de formation parce qu’il avait fait des tournois dans les installations des deux clubs », rappelait son frangin dans les colonnes du magazine belge. En 2005, le gamin traverse tout le pays pour rejoindre la pépinière du futur vainqueur de la Coupe UEFA (en 2008-2009). « Ruslan était le plus jeune interne », se souvient Patrick van Leeuwen, alors responsable de l’académie du Shakhtar. Les saisons s’enchaînent, tout se passe bien pour Ruslan jusqu’à ce que le formateur néerlandais appelle « la rupture ». À 16 ans, parce qu’il ne fait pas les progrès escomptés, à la suite notamment de quelques blessures, l’adolescent est invité à rentrer à la maison. Le Shakhtar ne compte plus sur lui… Pour l’instant.

Six mois plus tard, alors que son fils avait repris l’entraînement avec un club amateur de Zhytomyr, sa mère le voit arriver tout excité dans la cuisine de leur appartement : « Maman, je vais au Shakhtar. Où sont mes crampons ? » Ruslan vient de recevoir un coup de fil de Patrick van Leeuwen. « Il ne trouvait pas de club pour rebondir. Nous, il nous manquait un gaucher dans l’équipe U19, alors j’ai décidé de lui redonner sa chance, et à partir de là, il a énormément progressé », retrace le formateur néerlandais. La qualité principale du gaucher ? Sa lecture du jeu. « C’est aussi à cette période qu’il a eu un pic de croissance qui lui a permis d’être plus costaud sur le terrain », poursuit Van Leeuwen. Seulement, la marche est très haute entre le « Shakhtar 3 » (l’équivalent des U19) qui évolue alors en D3 ukrainienne, et l’équipe fanion dirigée par Mircea Lucescu, que l’on retrouvera en quarts de finale de la Ligue des champions au printemps 2011. Alors, à l’instar de la suite de sa carrière, Malinovskyi va franchir les paliers les uns après les autres. Il est d’abord prêté à Sébastopol, en D2, puis au Zorya Louhansk, en D1. Prochaine étape : la découverte de la Ligue Europa.

Le yoga pour se canaliser Lors de son passage à Sébastopol, Ruslan a rencontré Roksana, qui est aujourd’hui sa femme et la mère de sa fille. « Je sais qu’elle est très importante pour lui. À Genk, par exemple, on parlait tous les trois de l’importance de la préparation mentale pour Ruslan », raconte Philippe Clement. Ainsi, le joueur a l’habitude de faire des séances de yoga avec sa femme pour mieux appréhender ses émotions.

Le tremplin en Belgique

Le 28 août 2014, à Rotterdam, Zorya Louhansk est sur le point de créer la surprise sur la pelouse du Feyenoord en barrage retour de la C3. L’équipe ukrainienne tient le 3-3 après le 0-0 à l’aller, mais tout s’écroule à la 92e, quand les locaux inscrivent un quatrième but synonyme de qualification. En rentrant au vestiaire, Malinovskyi explose son téléphone sur le carrelage. Il enrage d’avoir perdu le ballon à l’origine de l’action qui amène au dernier but du Feyenoord. Auparavant, il avait quand même inscrit deux buts : un coup franc direct et une frappe lointaine. Un an plus tard, rebelote, Zorya Louhansk dispute les tours préliminaires de la Ligue Europa. Le tirage au sort du troisième tour leur oppose Charleroi. Et l’espoir ukrainien a la bonne idée de planter un nouveau doublé lors du match aller en Belgique, où sa prestation ne passe inaperçu. « À l’époque, j’étais assistant de Michel Preud’homme, à Bruges, rembobine Philippe Clement. En voyant jouer Ruslan, on s’envoyait des messages pendant le match :« Il est fort celui-là ! »On s’est renseignés pour le recruter, mais c’était trop cher. » L’Ukrainien appartient encore au Shakhtar.

Il n’y a pas de pas en arrière. Partout où il est passé, il n’a fait que progresser.

Or, Bruges n’est pas le seul club belge sur les rangs. Genk a aussi repéré la pépite, et réussit six mois plus tard à faire venir le joueur en prêt sans option d’achat. Pourquoi aller à Genk ? Non seulement c’est le club qui a formé Kevin De Bruyne, Thibaut Courtois, Yannick Carrasco, mais il a aussi servi de tremplin à Kalidou Koulibaly et Sergej Milinković-Savić. Bref, la destination idéale pour le milieu de terrain de 22 ans. Rapidement, Malinovskyi est transféré définitivement et va ensuite crever l’écran lors de sa troisième saison en Belgique. En 2018-2019, Genk termine premier à l’issue de la saison régulière. Problème : son meneur de jeu, Alejandro Pozuelo, se fait la malle avant de disputer les play-offs. Alors, le coach Philippe Clement, qui avait initialement positionné l’Ukrainien dans un milieu à trois derrière Pozuelo, le fait monter d’un cran. « Pour l’avoir vu avec Louhansk, je savais qu’il était capable de jouer meneur de jeu, décrypte le technicien. Nous avons changé notre système de jeu, en passant à un seul milieu défensif et deux joueurs devant. Et grâce à ça, je crois que nous avons surpris nos adversaires. » Au printemps 2019, Genk est sacré champion de Belgique. L’heure est venue pour Malinovskyi de passer à l’étape supérieure. Direction la Serie A.

Dans le Nord de la Botte, le gaucher rejoint une équipe, l’Atalanta, qualifiée pour la phase de poules de la Ligue des champions, et un coach, Gian Piero Gasperini, qui a la réputation de tirer le meilleur de tous ses joueurs. « Il a cette capacité de booster ses joueurs pour que l’équipe soit au top, témoigne Boukary Dramé, qui a évolué un an et demi sous ses ordres à l’Atalanta. Avec ce coach, on a l’impression que tous les joueurs de l’Atalanta sont des phénomènes ! » Après une première saison encourageante, l’Ukrainien saisit l’opportunité de prendre plus de responsabilités à la suite du départ de Papu Gómez, dans une équipe qui termine à chaque fois sur le podium. Comme d’habitude, le gaucher ne s’est pas trompé dans ses choix de carrière. D’ailleurs, en retraçant le fil de la carrière de son ancien poulain, Patrick van Leeuwen est formel : « Il n’y a pas de pas en arrière. Partout où il est passé, il n’a fait que progresser. » Reste désormais à savoir s’il continuera sa progression à Bergame, ou si un très gros club européen lui proposera de venir franchir un prochain palier.

Retrouvez ici le sommaire du n°78 de So Foot Club

Dans cet article :
Futsal : l’équipe de France corrigée par l’Ukraine en petite finale
Dans cet article :

Par Florian Lefèvre

Propos de Boukary Dramé, Patrick van Leeuwen et Philippe Clement recueillis par FL, propos de la famille Malinovskyi tirés de Sport/Foot Magazine.

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