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Rusé comme un Rúnar
Ses performances en dents de scie et sa dégringolade jusqu'au banc à Dijon n'ont pas empêché Arsenal de poser deux millions pour faire de Rúnar Alex Rúnarsson le nouveau remplaçant de Bernd Leno. Un transfert qui porte le sceau d'un certain Iñaki Caña Pavón, soulève des interrogations et fait prendre une tournure inattendue à la carrière de l'Islandais.
Depuis l’arrivée de sa tête blonde dans le paysage de la Ligue 1 il y a deux ans, on avait plus eu l’habitude de remarquer son nom dans la catégorie « flops du week-end » , quand il n’était pas tout simplement devenu invisible de l’actualité du championnat. Alors à voir Rúnar Alex Rúnarsson faire une entrée fracassante dans la rubrique transferts il y a quelques jours, certains yeux ont pu s’écarquiller. Lui-même a dû passer une drôle de semaine, avant de pouvoir déclarer : « C’est un grand jour pour moi et ma famille. » Oui, Arsenal a avancé deux briques pour recruter le portier remplaçant du DFCO. Lequel, sur cet intervalle de deux saisons en Côte d’Or, n’avait pas réussi à convaincre grand monde.
J’entends le loup, le Rúnar et la boulette
« Il y a des gens qui peuvent être surpris, mais moi, je ne le suis pas, il est méritant », souffle Laurent Weber, qui dirigeait les portiers du club bourguignon jusqu’à cet été (avant de filer du côté de la sélection du Maroc) et a donc eu le temps d’apprendre à connaître le bonhomme. Et si son poulain, après un premier exercice mitigé, a glissé dans la hiérarchie la saison dernière, c’est parce qu’il s’est retrouvé en concurrence avec « un monstre » : « Alex avait joué les premiers matchs, on était sur quatre défaites(et sept buts encaissés), il y a eu la trêve internationale, on avait fait le choix de faire venir Alfred Gomis, et après ces quatre défaites, le coach a décidé de changer de gardien pour insuffler un souffle nouveau dans les buts. C’est un garçon intelligent, quand on voit les performances d’Alfred aujourd’hui et auparavant, lui-même sait reconnaître qu’il n’y a pas photo, il n’y a rien à dire. Alfred était incontestable. » L’actuel intérêt du Stade rennais pour le Sénégalais en éventuel remplacement d’Édouard Mendy, d’ailleurs, n’est pas un hasard.
Résultat : alors qu’il était parti pour réaliser une deuxième saison dans la peau d’un titulaire et se voyait réaliser son objectif de dix clean sheets, Rúnarsson n’est ensuite apparu qu’à sept autres reprises en Ligue 1 (quatorze matchs disputés au total toutes compétitions confondues). Avec ce bilan, pas folichon, d’un seul match sans encaisser de but, contre Montpellier ; et encore, il n’avait ce soir-là disputé que 45 minutes. En 2018-2019, le bougre avait été chercher 43 fois le cuir au fond de ses filets, en 25 titularisations dans l’élite. Entre août 2018 et aujourd’hui chez les gardiens étant apparus à au moins 20 reprises dans le championnat, l’Islandais est tout simplement celui qui présente le pire ratio d’arrêts (57,8 %). Et puis il y a ces bourdes, récurrentes : par exemple ce dégagement totalement manqué amenant un pion de Denis Bouanga face à Nîmes (0-4) en novembre 2018, ce CSC improbable de Ngonda Muzinga encaissé en septembre 2019 à Angers (2-0) ou encore ces deux points envoyés à la trappe face à Nantes en février dernier (3-3) sur une tête anodine d’Andrei Girotto.
Trois autres prétendants en Belgique et au Danemark
« Succéder à Baptiste Reynet à ce moment-là, ce n’était pas facile, continue Weber. Il lui a fallu un temps d’adaptation un peu plus long, et c’est vrai que quand on est à Dijon, on a besoin de points rapidement, et ça n’a pas toujours été facile. Mais il a été un artisan du maintien. C’est un garçon qui analyse très vite, qui réfléchit très vite. Il savait se remettre en question, quand il était fautif, il ne se cachait pas. » Avant toute chose, Rúnarsson reste ce gardien qui possède « de la qualité et du potentiel » et a tapé dans l’œil de l’entraîneur « pour son jeu au pied, son sens de l’anticipation, cette gestion de la profondeur et ce domaine aérien. Si on le recrute numéro 2 à Arsenal, ce n’est pas pour rien non plus. Ils avaient le choix. » Il semblerait qu’un homme ait en fait facilité ce transfert, comme le souffle d’ailleurs le directeur sportif dijonnais Peguy Luyindula (selon lequel « le transfert s’est fait assez vite » ). Cet homme, c’est l’Espagnol Iñaki Caña Pavón, qui encadre aujourd’hui les derniers remparts des Gunners après avoir coaché ceux du FC Nordsjælland, le club dans lequel Rúnarsson s’est révélé avant de rallier la France. Et c’est donc au Danemark, il y a quatre ans, que des liens ont commencé à se tisser entre les deux bonhommes : « Dès qu’il est arrivé au club, j’ai vu son potentiel, expliquait Caña il y a trois ans au sujet de son poulain, pour le site Nordisk Football.[…]Il a un talent inné, mais surtout une très grande marge de progression et un bon esprit de compétition. » Lors de son passage dans ce club basé à Farum, le joueur avait même appris l’espagnol pour mieux interagir avec son entraîneur.
Au vu de ses vieux tweets anti-Wenger supprimés depuis ainsi que de son amour pour le Liverpool FC (son idole se nomme Pepe Reina), le fils de la légende nationale Rúnar Kristinsson ne s’imaginait certainement jamais intégrer un jour les rangs des Canonniers. D’ailleurs, il ne s’imaginait pas non plus quitter Dijon cet été : « Il s’est toujours battu pour le club, expliquait le président Olivier Delcourt en juillet pour L’Équipe. L’année dernière, quand on était dans la difficulté, il m’a dit que si on redescendait par malheur en Ligue 2, il resterait. Je ne l’oublie pas. S’il trouve un club, on trouvera un arrangement pour qu’il parte s’il est amené à être titulaire. » Mais il faut croire que celui qui compte cinq capes avec sa sélection avait la cote : le KV Ostende et le Cercle Bruges, en Belgique, mais aussi l’AGF Århus au Danemark s’étaient aussi positionnés sur ce dossier, qui a tout de même permis à Dijon de réaliser une légère plus-value à la revente. Au passage, la France perd le premier joueur de son championnat qui avait décidé de participer à l’opération caritative Common Goal soutenue par Juan Mata. C’est peut-être ce que l’on préférera retenir d’Alex Rúnarsson, finalement.
Par Jérémie Baron, avec Alexis Billebault
Propos de LW et PL recueillis par JB