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Ruiz : « Le mec qui fait griller ses merguez, c’est ça la vie du stade ! »
Alexandre Ruiz a des choses à dire. Celui qui officie désormais sur beIN Sport s'est fait connaître en tant que Monsieur foot espagnol sur Canal. Cette veille de Clásico était donc l'occasion parfaite pour revenir avec lui sur ses premières amours, son parcours et sa conception parfois détonnante du métier.
Comment se déroule une journée classique chez beIN Sport pour toi ?C’est marrant, parce que j’ai même pas de notion de journée. J’ai une notion de non-stop, ça ne veut pas dire qu’on nous use au travail, c’est que l’aventure est juste extraordinaire. Le portefeuille de droits est monstrueux et t’as une feuille blanche. La grille, tu as tout à construire, donc on est là jour-nuit. À la fin des émissions, on va prendre un café, se boire une petite bière et on continue à réfléchir. Qu’est-ce qu’on peut faire demain ? Est-ce que ça, c’était bien ? Du coup, l’équipe de travail, on se retrouve là tous les matins à 8 heures.
Comment tu perçois ton rôle de présentateur ?Je travaille en pensant à celui qui était devant sa télé quand je regardais le foot, à ce que j’avais envie de voir. J’aime bien cette idée de faire un peu partie de la famille du téléspectateur. La proximité dans un vrai sens populaire, dans le premier sens du terme. Moi, j’ai envie de voir ce qu’il se passe autour du stade, il y a tellement de vie. Montrer le mec qui fait griller ses merguez devant. Merde, c’est ça, c’est la vie du stade ! Du coup, quand j’ouvre, bien sûr que je vais parler de foot, mais je vais aussi voir l’accueil des handicapés, voir avec l’équipe de la sécurité civile si elle peut faire fonctionner le défibrillateur, aller voir les ramasseurs de balle. On est à 20h, le match, de toute façon, il va arriver à 20h45, on va parler des compos, mais il se passe des choses et il faut les raconter. Moi, ma mission, c’est décrire, informer, divertir, dans cet ordre-là. J’ai toujours ça en tête. Et puis, je tâche de répondre à toutes les critiques négatives, je te donne un exemple, Real-Séville que je commentais récemment avec Omar Da Fonseca, je regarde les tweets des gens, je vois des mecs qui disent : « Arrête avec ton accent espagnol. »
Mais pour le coup, c’est con de te reprocher ça, t’es espagnol.Soit, mais je peux le comprendre. Pendant le match, je twitte, je dis : « Les gars, j’ai bien compris votre message. » J’ai la double culture, parfois, inconsciemment, je prononce à l’espagnole. Mais si ça vous va pas, je change.
Tu prends vraiment ça en compte ?Bien sûr, je travaille pour un abonné, un mec qui paye, j’essaie de lui offrir ce qu’il attend, bien entendu sans me dénaturer non plus. Je vais pas prononcer « à la mords-moi le pif » , ça serait pas moi, mais je rééquilibre. Du coup, les mecs se disent : « Super, il a considéré ce qu’on a dit, il nous a répondu. » Je fais pas ça pour passer de la pommade aux gens. Je suis vraiment dans cette idée d’accepter la critique et d’avancer.
À tes débuts, il y a des journalistes qui t’ont influencé ?J’ai été élevé à Canal, à la couleur Charles Biétry. Deux choses m’ont marqué à l’époque. Premièrement l’arrivée de la NBA, là j’ai compris la notion de spectacle qui arrive en France dans le sport. Et puis deuxièmement Atlanta. Alors là, Atlanta, pour moi, c’est incroyable. Le Mag des jeux où, sur le même plateau, tu pouvais avoir Jordan, Shaquille O’Neal, De Niro, Ray Charles, c’était juste cosmique. J’ai eu cette période-là. Sinon, plus tard, la personne qui m’a vraiment emmené vers le métier, c’était Gilardi. C’est lui qui m’a formé, qui m’a lancé. Donc j’ai cette couleur Biétry qui m’a marqué sur deux évènements et qui m’a vraiment fait aimer ce milieu. Et puis la formation au métier que j’ai eu avec Thierry, et le prolongement de cela qui m’a amené un accomplissement fort professionnel, c’est Alexandre Bompard, qui m’a donné ma chance sur Jour de Foot alors que je n’avais même pas 30 ans.
Avant Jour de foot, on t’a connu sur Canal en tant que M. Foot espagnol. La Liga, c’est vraiment ta passion ?
J’ai la double nationalité, je suis issu d’une famille de républicains espagnols qui a dû quitter l’Espagne franquiste pour l’Afrique du Nord. Et du coup, tu sais comment c’est quand t’es déraciné, souvent tu revendiques davantage une appartenance. Moi, je me souviens quand j’étais ado ou plus jeune, j’avais toujours sur moi un drapeau de l’Espagne. J’achetais les couleurs républicaines parce que je pensais à ma famille. Logiquement, le foot espagnol, je l’avais en tête. La Cadena Ser, on l’avait dans les oreilles tous les week-ends. Du coup, quand l’opportunité s’est présentée, j’ai sauté dessus.
« Raùl méritait le Ballon d’or »
Tu commentes le Clásico ?Non, j’aurais pu, mais finalement, j’animerai la soirée. Dès le dimanche matin, on sera dans un petit café avec la presse du jour. Et comme ça tout au long de la journée, c’est ça l’intérêt. On a la possibilité de le faire, on n’est pas muselé par une grille avec du divertissement obligatoire.
En même temps, vous avez toute la grille pour vous…Ouais! Aujourd’hui, Canal ne prend pas les matchs à 20h, ils ont une autre force. Nous, on a le temps. En revanche, on ne prétend pas être toujours novateurs. Regarde, par exemple, la soirée Champions League, tu reconnais forcément des choses que t’as déjà vu dans le passé, mais c’est pas un mal de s’inspirer des choses faites. Une idée, si je la juge bonne, je la prends et je la cultive ensuite à ma sauce. Mais notre vraie force, c’est qu’on peut casser toute l’antenne, alors autant en profiter pour montrer ce qu’il se passe autour du match. Le foot dans une enceinte sportive, c’est un prisme qui décrit en gros les maux de la société. Et moi, dans mon métier, j’estime que j’ai pas le droit de ne pas le souligner. C’est aussi ma mission. C’est la crise en Espagne, les stades ne sont pas pleins, il faut en parler.
Tu ne regrettes pas que le Clásico tombe le même soir qu’OM-PSG qui sera diffusé sur Canal Plus ?On n’est pas responsables de ça, c’est un hasard du calendrier. Très bien, mais qu’est-ce qu’on s’est dit ? On s’est dit : « Comment ne pas léser le mec qui veut regarder son clasico français et son Clásico espagnol ? » Le kick off du match espagnol est à 19h 50. Moi, à la mi-temps, je vais dire aux téléspectateurs : « Si vous voulez, vous restez avec nous pour la suite, mais si vous voulez, il y a aussi le classique français, ça commence maintenant, c’est sur Canal. » Moi, ça me dérange pas de dire à l’antenne « C’est sur Canal » . T’es pas un tartuffe, si t’aimes le foot, tu sais que c’est sur Canal, donc pourquoi ne pas le dire ? Moi, en plus, je viens de Canal ! Donc si tu veux voir ton classique français, je comprends, pas de problème, mais ne t’informe pas du résultat de la deuxième mi-temps, on la repasse dès la fin d’OM-PSG. Ça veut dire qu’on va passer deux fois de suite la deuxième mi-temps du Clásico sur beIN Sport 1 ! C’est pas grave, on a cette liberté-là!
T’as des joueurs qui t’ont marqué dans ton enfance ?J’en ai deux, des joueurs du Real, d’où ma fibre madrilène. Je ne suis pas du Madrid des Galactiques, je suis du Madrid de Butragueno. Butragueno était mon joueur. J’ai eu lui et Hierro. Ensuite, j’ai eu Raùl parce que, pour moi, c’est dans le même esprit de joueur blason. C’est un joueur qui méritait le Ballon d’or ! Sinon Hierro parce que, quand je jouais au ballon, j’étais 6 ou 4 et donc Hierro était mon modèle. C’était pas toujours un joueur très propre, mais j’aimais son engagement. À la base, je suis vraiment madrilène, mais honnêtement, maintenant, si le Barça gagne, ça ne me dérange pas. C’est sûr qu’on se chambre un peu avec Omar Da Fonseca qui est supporter barcelonais, mais c’est tout. Ensuite, à l’époque galactique, j’ai été marqué par Zidane, parce que je m’occupais du foot espagnol pour Canal et que je le voyais toutes les semaines. C’est peut-être le premier qui m’a envoyé un message quand j’ai eu mon accident. D’ailleurs, j’ai une anecdote à ce sujet. Zidane joue son dernier match avec le Real à Séville. C’est un contexte particulier et il y a une ambiance incroyable. La zone de presse est vraiment à l’ancienne, c’est pas compartimenté, la presse est là en pagaille et là, Zizou sort du terrain, il me voit. Il vient vers moi, alors qu’il y a 250 000 journalistes, il baisse mon micro et me dit : « Comment ça va ? Les examens se sont bien passés ? » . Là, je me suis dit : « Ce mec a le recul, le décalage pour s’intéresser alors qu’il vient de jouer son dernier match! » Après, une fois que je lui ai répondu, il me dit : « Allez, on va faire l’interview » . C’est pas grand-chose, mais ça en dit beaucoup.
Ton accident, justement, ça a changé ta vision des choses ?Ça ne l’a pas changée, mais ça l’a soulignée. J’ai un rapport particulier avec la mort, c’est toujours quelque chose qui m’a fait très peur, depuis ma plus tendre enfance. Sans me prendre pour un philosophe, je crois que les femmes ont un rapport différent à la mort car elles enfantent, alors que les hommes commencent à penser à cette notion de vie-mort vers 60 ans. Moi, j’ai été déclaré décédé pendant 24 heures, quand je me suis réveillé et qu’on m’a appris ça, j’ai été projeté vers cette idée et ça m’a permis de me poser des questions par rapport à mon cheminement et donc de faire des choix plus rapides.
Propos recueillis par Arthur Jeanne