- Coupe du Monde de Rugby
Rugby, l’imposture ?
En France, le rugby ne cesse jamais d'entonner le couplet d'opérette du sport plus authentique, le plus éthique, le plus correct, le plus progressiste. La Coupe du monde qui s'ouvre en Nouvelle-Zélande, dans cet Hémisphère sud qui règne en maître avec des All Blacks en guise de Barça à XV, offre une nouvelle fois l'occasion à la presse et aux beaux esprits des plateaux télé de venir élever un veau d'or à l'Ovalie. En dépit de la réalité et de l'histoire.
Aujourd’hui, c’est un petit article dans le gratuit 20minutes qui annonce la « bonne nouvelle » , sondage à l’appui : désormais les Français préféreraient le rugby au foot, à près de 60%. Hormis les inévitables doutes que soulève ce genre d’enquête (effet d’aubaine, formulation ambiguë, etc.), on ne peut donc que légitimement se demander les raisons du fossé qui demeure encore à ce point béant (écart du nombre de pratiquants, audimat, etc..) entre les deux ballons. Une des raisons quantifiées par BVA se situerait au niveau social, les ouvriers résistant davantage à l’attrait du jeu à la main que les cadres sup’. Bref, la passion des « pauvres » du café du commerce contre le penchant des CSP+ tendance bistrot du sud-ouest.
Naturellement le contexte – de Knysna aux quotas sans oublier l’épuisement du foot amateur qui perd depuis quatre ans des licenciés -, fonde en partie ce retournement symbolique, amplifié par la Coupe du Monde et sa surexposition médiatique. Mais surtout, il n’y a rien de neuf. Depuis toujours ce type de gadgets reflète avant tout la façon dont le panel sollicité enregistre et restitue l’idéologique dominante. Et depuis plus d’un siècle, les élites et la presse entretiennent cette illusion que le vrai « sport » se compte à coups d’essais, et qu’il porte seul et fièrement les valeurs « pures » d’amateurisme, de convivialité entre gens de bonne compagnie, et de masculinité conquérante. En face, le foot transporterait ad vitam les scories des milieux populairesb: vulgarité, triche, maintenant racisme et violence etc. 1998 avait certes converti certains intellos et politiques aux « Bleus » , 2010 marque donc un logique retour à l’ordre « naturel » des choses. Pourtant, l’étude un peu sérieuse de l’histoire « matérialiste » casse brique par brique ces belles constructions conceptuelles. La réalité du rugby ne se résume pas à quelques envolées lyriques humanistes (Daniel Herrero) ou gaullistes (Tillinac).
Par exemple, rappelons aux mémoires sélectives que ce fut justement au nom du savoir-vivre et du fair-play cher au Baron de Coubertin que le rugby fut évincé dès les années 20 de la famille olympique. En 1931, les Britons virèrent de même le coq du Tournoi des Cinq Nations sous les accusations de professionnalisme masqué et de violence mal contrôlée. Plus tard, enfant chéri de Vichy car « viril et enraciné » , le rugby à XV en profita pour tordre le cou à son rival professionnel et populaire « à XIII » , seule fédération interdite pendant l’occupation. Bien des années plus tard, la FFR se distingua par ses relations excessivement amicales avec son homologue sud-africaine au temps de l’Apartheid et son président Albert Ferrasse ne se résigna au boycott que sous la pression politique de l’alternance en 1981. Continuant le survol chronologique, le rugby imita de plus en plus sans oser le dire son « frère ennemi » , bien qu’il ne fit sauter le verrou de l’amateurisme qu’en 1995. Il rattrapa cependant avec diligence le temps perdu dans la course au professionnalisme et au sport spectacle, notamment grâce à la caricature d’un Stade Français (pourtant modèle de l’élitisme social) de Max Guazzini et de ses inoubliables pom-pom girls, le tout associé à la figure ô combien emblématique de Bernard Laporte.
La création de la Coupe du monde en 1987, invitant avec largesse des nations mineures (Russie, Canada,…) à venir démontrer la mondialisation enfin complétée de l’ovalie, prouva que le rugby ne sait s’y prendre autrement qu’en copiant (syndrome du doublon) les méthodes, pourtant dénoncées au fil des interviews, du premier des sports. Toutefois, on ne renverse pas une hiérarchie économique et culturelle déjà bien installée aussi facilement. En 1998, l’IRFB – International Football Rugby Board, reflet de la FIFA – avait ainsi finalement renoncé au « F » dans son sigle, entérinant sa défaite sémantique. Heureusement, entre les dix ans du 11 septembre et les mêlées matinales en Nouvelle-Zélande, on pourra mater PSG-Brest sur Canal Plus.
Nicolas Kssis-Martov
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