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Rubiales, « un homme des cavernes au XXIe siècle »

Par Antoine Donnarieix
6 minutes

Intronisé à la présidence de la Fédération espagnole de football en 2018, Luis Rubiales cumule les casseroles dans son mandat. À la suite de l’épisode de son baiser forcé adressé à Jennifer Hermoso, le dirigeant est convoqué pour une assemblée extraordinaire décisive pour son avenir au moment où sa cote de popularité est au plus bas à l’échelle nationale.

Rubiales, « un homme des cavernes au XXIe siècle »

Si Luis Rubiales arborait un sourire étincelant lors de la cérémonie de remise de la Coupe du monde féminine après le sacre des Espagnoles en finale contre l’Angleterre (1-0), sa joie devait être moins expressive à l’heure de fêter son quarante-sixième anniversaire ce mercredi 23 août. À travers un communiqué de FUTPRO, syndicat des joueuses espagnoles, Jennifer Hermoso a brisé son silence après avoir été victime sur le podium d’un baiser non consenti de la part de son président. « Avec mon agence TMJ, ils se chargent tous les deux de défendre mes intérêts et sont les interlocuteurs de ce sujet », peut-on notamment lire dans un tweet. Dès lors, le syndicat exige de la fédération de « procéder aux protocoles nécessaires, veiller aux droits de nos joueuses et adopter des mesures exemplaires ». Ajouté à la pression de LaLiga féminine qui souhaite la mise à pied du Canarien, l’étau se resserre autour de Rubiales dont les multiples écarts de conduite ne datent pas du week-end dernier.

Chauve qui peut

Au départ, la nomination de Rubiales le 17 mai 2018 laissait pourtant apparaître une forme d’espoir au sein de la fédération. Après trois décennies de présidence archaïque d’Ángel María Villar entre 1988 et 2018 soldées par des accusations de corruption, l’ancien footballeur professionnel passé pendant huit ans à la tête de l’AFE (le syndicat des footballeurs espagnols) semblait soucieux d’instaurer un cycle plus sain à la RFEF. « À travers son discours et le soutien de certains joueurs, Rubiales renvoyait l’image de la personne idoine pour changer le visage du football espagnol, décrit Bruno Alemany, journaliste pour la Cadena SER à Barcelone. À vrai dire, même les partisans de Villar considéraient cela comme positif, il faisait quasiment l’unanimité. Il fallait un visage jeune, dynamique et novateur. »

À 41 ans, l’ex-arrière gauche de Xeres et Levante a prouvé très rapidement sa capacité à prendre des décisions radicales. À la suite du départ surprise de Zinédine Zidane du Real Madrid, le club merengue prospecte et officialise la signature de Julen Lopetegui, sélectionneur de l’Espagne en pleine préparation du Mondial russe. À la veille du début de la compétition et moins d’un mois après son arrivée au sommet de la fédération, Rubiales annonce contre toute attente le limogeage de Lopetegui, remplacé au pied levé par le directeur sportif Fernando Hierro. Un acte censé poser les bases de la souveraineté de la Roja au-dessus de n’importe quel club. « En Espagne, l’opinion est polarisée autour du sujet Barça-Real, décrypte Alemany. Dès lors, les pro-Barça ont perçu cela comme une décision adaptée et les pro-Madrid comme un déshonneur et une balle tirée dans le pied de la sélection. » Après une piteuse élimination en huitièmes de finale contre le pays organisateur, Rubiales est déjà perçu par une partie du pays comme un frondeur.

L’évangile selon Saint-Luis

Avec l’avancée du football moderne, Rubiales se rapproche également des pays du Golfe pour générer de nouvelles sources de revenus. En juin 2021, l’ancien avocat signe un accord avec l’Arabie saoudite pour organiser la Supercoupe d’Espagne au Moyen-Orient jusqu’en 2029, en partenariat avec Gerard Piqué et son entreprise Kosmos. Au-delà de l’aspect purement économique dans un monde où l’argent reste le nerf de la guerre, c’est avant tout sa justification du deal qui fait grincer des dents. « Son erreur à ce sujet, c’est de faire preuve d’hypocrisie, analyse Alemany. L’Arabie saoudite est un pays non respectueux des droits de l’Homme, où les femmes ne bénéficient pas des libertés dont elles devraient bénéficier, où être homosexuel est un délit. Face à cela, Rubiales a retourné sa veste en expliquant qu’il allait faire avancer la société saoudienne à travers la Supercoupe d’Espagne, qu’il comptait réduire le machisme et instaurer des toilettes pour femmes. Il expliquait vouloir évangéliser le peuple saoudien. C’était vraiment niais. »

En 2023, être représenté par une personne qui ne parvient pas à garder un minimum d’éducation sur une estrade aux côtés d’autres personnalités, qui se touche les parties intimes et célèbre le succès comme un mec bourré, c’est très dommageable pour notre pays.

Pascal Calabiug, Superdeporte

L’année 2023 sera considérée comme une année glorieuse pour le football espagnol sur le plan sportif : une Ligue des nations glanée par l’équipe nationale masculine, une Coupe du monde remportée par l’équipe nationale féminine et une Ligue des champions supplémentaire dans l’escarcelle du Barça féminin. Mais cette polémique du baiser, additionnée à la suspicion d’orgies organisées par Rubiales aux frais de la fédération, ne viendrait-elle pas tout gâcher aux yeux du peuple espagnol ? « Sincèrement, je ne peux pas être content de voir cette personne à la tête de notre fédération, admet Pascual Calabiug, journaliste pour Superdeporte. En 2023, être représenté par une personne qui ne parvient pas à garder un minimum d’éducation sur une estrade aux côtés d’autres personnalités, qui se touche les parties intimes et célèbre le succès comme un mec bourré, c’est très dommageable pour notre pays. Et encore, je ne parle même pas des violences sexuelles à l’encontre d’une footballeuse. Il aurait pu garder de la retenue au moment d’enlacer chaque joueuse. Il y a un protocole à suivre, un pays à respecter. Bien sûr que les titres me réjouissent, mais cela ne doit pas être compatible avec un aussi mauvais représentant. Et puis il y a ce deal en Arabie saoudite que je considère comme mafieux. »

« Tout le monde souhaite son éviction »

Dès lors, à quelle issue peut-on s’attendre au cours de la semaine ? « Il y a trop de dossiers compromettants et l’image qu’il renvoie est négative, juge Calabuig. La pression vient de tous les côtés, y compris de la part du président du gouvernement Pedro Sánchez, pour qu’il démissionne de son poste. Les excuses de son geste ne sont pas suffisantes. La pression est telle qu’il est parvenu à rassembler tous les partis politiques de manière unanime à son sujet : le parti socialiste, le parti populaire, l’extrême droite… Tout le monde souhaite son éviction. Le gouvernement est désormais très attentif à l’égalité entre hommes et femmes, la lutte contre la violence sexuelle faite aux femmes. Lui, c’est un homme des cavernes au XXIe siècle. Ce jeudi, l’assemblée extraordinaire va décider de son sort. Et honnêtement, j’aimerais que cela se termine. » De son côté, Alemany préfère tempérer. « Pour destituer son président, la fédération doit demander une motion de censure où au moins un tiers des votants doit approuver. Cela me semble difficile de voir un tiers voter à l’encontre de Rubiales. En revanche, il est vrai que sa querelle en interne avec LaLiga et Javier Tebas n’a pas permis au football espagnol d’avancer efficacement pendant ces années. La pression existe, elle est forte, mais Rubiales est très ambitieux et têtu. Je ne le vois pas démissionner et je pense qu’il garde encore un certain contrôle avec ses proches collaborateurs. Cela dit, j’espère me tromper. » Rubiales, 46 ans, toutes ses dents, mais pour combien de temps ?

En Espagne, il ne sera plus obligatoire d’honorer sa sélection en équipe nationale

Par Antoine Donnarieix

Propos recueillis par AD.

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