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Rubiales, le baiser de la honte
Un baiser forcé du président de la fédération ibérique (la RFEF) sur la bouche de Jennifer Hermoso aura suffi à occulter la victoire dans la douleur de la Roja. Dans le foot, les hommes finissent par tout ramener à eux.
La Coupe du monde féminine de la FIFA s’est clôturée sur la surprenante victoire des Espagnoles. Ces dernières n’ont même pas eu le temps de célébrer ce succès inattendu qu’elles, et le foot féminin, ont été ramenées à leur statut de « femmes désirables », par le baiser forcé du président Luis Rubiales, les deux mains sur le visage de Jennifer Hermoso, histoire de s’épargner un refus. La scène, aussi surréaliste et indigne que le geste du gardien argentin Emiliano Martinez lors de la remise du trophée au Qatar, a été largement vue par le nombreux public dans le stade et par les 2,7 millions de téléspectateurs en France qui ont regardé la finale. Naturellement, la séquence a ensuite tourné en boucle sur les réseaux sociaux, éclipsant la valeureuse bataille des Espagnoles face aux Anglaises. Le geste est autoritaire, et la gêne de la joueuse est indéniable. Elle s’en est ouverte ensuite devant les caméras dans une réaction immédiate : « Ça ne m’a pas plu, hein ! »
Rubiales : « Si les gens veulent perdre leur temps avec ça… »
Depuis, sûrement sous pression, tout le monde essaie de déminer l’affaire pourtant si révélatrice. La Roja sort par ailleurs d’une crise du management de Jorge Vilda. Certains médias espagnols ont voulu y repérer sur le mode goguenard la révélation en direct d’une liaison, à l’instar d’Iker Casillas avec la journaliste Sara Carbonero en 2010. La numéro 10 a aussi voulu relativiser ce « geste d’amitié et de gratitude » après un titre historique. Mais le pire reste la ligne de défense du président en personne : « N’écoutons pas les idiots et les gens stupides, vraiment. Il s’agit juste de deux amis qui fêtent quelque chose. (….) Nous ne sommes pas là pour des bêtises. Moi, avec tout ce que j’ai vécu, plus de bêtises et plus de trous du cul. Ignorons-les et profitons des bonnes choses. Ne me parlez même pas des imbéciles qui ne savent pas voir le positif. C’est une chose sans méchanceté. S’il y a des imbéciles, qu’ils continuent leurs bêtises. Écoutons ceux qui ne sont pas des idiots. C’est une chose qui n’a pas de sens. Si les gens veulent perdre leur temps avec ça… » Bref, peu importe ce que je fais, ne gâchons pas la fête. Après tout, il avait bien déclaré dans le vestiaire juste après le match, en promettant aux 23 membres de la sélection un voyage à Ibiza : « On célébrera le mariage de Jenni et Luis Rubiales. » L’homme n’en est pas à son coup d’essai. L’an dernier, il a été accusé d’avoir organisé des orgies avec l’argent de la fédération.
On doute néanmoins qu’il se serait permis une telle familiarité avec un international masculin, ne serait-ce que par crainte de la réaction en face, ou des dégâts pour son image. De fait, qu’il puisse s’autoriser ce baiser contraint rappelle que les footballeuses, aussi douées et pros soient-elles, restent d’abord des femmes avant d’être des sportives de haut niveau au regard de Luis Rubiales et de ses semblables. Personne n’a oublié l’épisode du twerk par Martin Solveig lors de la remise du premier ballon d’or féminin à Ada Hegerberg en 2018. Cette Coupe du monde était censée, une fois de plus, montrer la qualité du foot féminin et assurer sa reconnaissance. Les stades remplis ou les audiences avaient semblé conforter un petit sentiment de progrès en la matière. Ce « dérapage », juste au moment de la célébration, est venu nous rappeler que son statut restait conditionné au degré de sexisme régnant dans le petit monde du ballon rond.
Par Nicolas Kssis-Martov
Crédit photo : RFEF