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Rubén « El Chapa » Suñé, mort d’un roublard magnifique
Capitaine de Boca Juniors dans les années 1970, Rubén « El Chapa » Suñé est décédé jeudi dernier à Buenos Aires. Entré dans la légende après avoir débloqué la première finale de l’histoire entre Boca et River d’un coup franc polémique en pleine lucarne, le joueur faisait partie des Xeneizes qui avaient remporté deux Copa Libertadores (1977 et 1978) et la Coupe intercontinentale 1977.
Ruben « El Chapa » Suñé s’en est finalement allé à l’âge de 72 ans, à l’Hospital Británico de Buenos Aires, qui n’a pas communiqué les causes du décès. Suñé avait déjà essayé de partir une première fois, il y a 35 ans. L’ancien numéro 5, qui « n’était pas préparé à abandonner le football » , avait ainsi tenté de se suicider trois ans après avoir pris sa retraite en sautant du septième étage d’un immeuble. Comme s’il ne pouvait pas vivre sans « le bouleversement émotionnel qui commence lors de la montée de l’escalier de la Bombonera, la chair de poule et la fierté que procure l’entrée sur le terrain avec le brassard de capitaine de Boca » . Un attachement et une passion comme seul Boca peut en créer, notamment hérités de son modèle Antonio Rattín, 352 matchs avec Boca et une expulsion en quarts de finale de Coupe du monde 1966 restée mémorable : « El Rata » avait été exclu après avoir insulté l’arbitre allemand et avait été sorti de force de la pelouse par deux policiers anglais. L’incident avait d’ailleurs entraîné la création du carton rouge. Comme le joueur qui l’a « impressionné par sa droiture, sa discipline et son humilité » et auprès duquel il a « appris à être capitaine » , comme il l’avait confié à El Gráfico, « El Chapa » – qui peut être traduit par « la serrure » – a repris les clés de l’équipe quelques années plus tard.
Coup de pied, coup franc et roublardise
Dans les pas de son illustre aîné, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du club avant d’accéder à l’équipe première, en 1967, et d’être promu capitaine, à seulement 23 ans, par son entraîneur Alfredo Di Stéfano. Adoubé par ses coéquipiers, Suñé représente à merveille le Boca Juniors des années 1970, combattant, dur sur l’homme et plein de vice. En témoigne le visage ensanglanté d’ « El Chapa » , qui avait pris un « kung-fu kick » au visage lors d’un match bouillant de Copa Libertadores entre Boca et les Péruviens du Sporting Cristal. Parti en bagarre générale, alors que Boca v qui devait absolument gagner – venait de se faire rejoindre au score, le match avait dégénéré à la suite d’un coup de poing de Suñé qui a terminé la nuit avec sept points de suture et une suspension d’un an et demi, ce qui l’exclura du onze xeneize et engendrera son départ vers Huracán en 1973.
Suñé reviendra pourtant trois ans plus tard à Boca et écrira sa légende lors de la première finale de l’histoire entre Boca et River Plate, qui se disputaient la victoire dans le Torneo Nacional. Alors que la partie se dirigeait vers une prolongation sur un score nul et vierge, Rubén Suñé avait débloqué la situation à la 72e minute, d’un coup franc de vingt-huit mètres plein de roublardise, venu se loger dans la lucarne gauche des Millonarios. Pendant qu’Ubaldo Filliol plaçait son mur, Suñé avait exploité une récente évolution du règlement qui autorisait à tirer un coup franc sans coup de sifflet préalable de l’arbitre. Dans la confusion générale, il avait donné la victoire à Boca, avant de s’envoler vers la tribune des hinchas Xeneizes, pleine à craquer, où seules la grille et la fosse du stade du Racing l’empêcheront d’aller enlacer le peuple bleu et or.
Des images volatilisées pour mieux entrer dans la légende
Un but d’autant plus mythique que les images ont depuis été perdues, bien que le match ait été télévisé en Argentine. Les plus folles rumeurs circulent pour expliquer cette disparition : certains affirment qu’un censeur de la dictature, supporter de River, a coupé la séquence de la pellicule avant de la brûler, tandis que d’autres arguent que les caméras ont tout simplement raté la frappe inattendue d’ « El Chapa » . Une théorie avance également que l’extrait a été vendu dans le Parque Rivadavia à Buenos Aires. Même si des recherches ont été menées, elles n’ont pas abouti et ont laissé pour seuls souvenirs des images et des récits, qui sont le propre des mythes. À l’instar des deux premiers buts en professionnel de Maradona aux Argentinos qui n’ont pas été immortalisés en vidéo, ce but appartient maintenant à l’imaginaire pour mieux inscrire Rubén Suñé dans l’histoire de Boca, à l’image de sa statue érigée devant la Bombonera.
Par Victor Launay