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Roy Keane, the Wolf
Non, il n'a pas changé. Au fond, il ne changera d'ailleurs jamais. Depuis trois ans maintenant, Roy Keane vit pourtant dans l'ombre de Martin O'Neill, sélectionneur de l'Irlande depuis le départ de Giovanni Trapattoni. Dans une cage, mais sans filtre.
« Je me demandais combien de temps on allait attendre pour parler de lui. Il va bien, très bien. On l’a enfermé, il y a vingt-cinq minutes, et on ne va pas l’autoriser à venir ici. Il est enfermé et, au fur et à mesure, sa barbe devient de plus en plus longue et moche. Mais franchement, il est bien, il a été très bon même. C’est le loup-garou de Manchester. » Une fracture de style. D’un côté, un éternel en survêtement. De l’autre, une gueule cassée. Rien ne devait les rassembler, et pourtant, l’histoire dure depuis maintenant trois belles années. Durant cette romance, le second a refusé plusieurs offres pour redevenir numéro un, un poste qu’il n’a plus occupé depuis son départ d’Ipswich Town en janvier 2011. Il l’affirme souvent : coacher est dans son ADN, on le reverra bientôt sur un banc, dans la lumière, mais pour le moment, il préfère s’asseoir à l’ombre. L’ombre n’a pourtant jamais été sa place, mais les deux hommes ont construit le rêve d’un peuple. Celui de se qualifier pour un deuxième championnat d’Europe d’affilée avec l’Irlande en battant notamment l’Allemagne (1-0) lors de la phase de qualification en octobre dernier à Dublin. Au point de faire tomber la nouvelle à quelques jours du début de l’Euro 2016 : Martin O’Neill et Roy Keane guideront les Irlandais jusqu’à la Coupe du monde 2018. Ensemble.
« Il faut descendre les Italiens »
Avant la compétition, il y avait pourtant les doutes. Une partie de la presse irlandaise prêtait notamment à l’ancien gueulard de Manchester United des envies de prendre la succession de O’Neill, en poste depuis novembre 2013. Keane : « Je ne vais pas rester assistant pour les vingt prochaines années. Maintenant que c’est clair pour tout le monde, je vais encore profiter de ce rôle. » Depuis le début de l’Euro, pourtant, l’Irlande avance bien à deux. Chaque conférence de presse est forcément habitée par l’ombre, ou la présence, de Roy Keane. Le plus souvent, Martin O’Neill s’en amuse. C’est une rencontre de caractères et d’humour. Problème : tout le monde ne le comprend pas comme ça. Il y a quelques semaines, l’ancien entraîneur du Celtic créait la polémique en Irlande après une décla pincée lors d’une sortie du groupe irlandais à l’opéra de Cork. « J’ai emmené Steve Guppy et Steve Walford avec nous pour ne pas que les gens pensent qu’avec Roy, nous sommes gays. » La sortie était normalement interdite aux médias, mais tout se sait alors O’Neill a été obligé de s’excuser. Depuis trois ans, la doublette tourne autour de ce mojo.
Car leur relation, c’est d’abord l’histoire d’une complicité naturelle entre un homme déjà référence – « J’ai encore du temps, ce n’est probablement pas mon dernier poste, regardez l’âge de Ranieri et ce qu’il vient de faire » (Martin O’Neill a 64 ans) – et un joueur adulé et détesté à l’époque jusque dans les rangs de sa sélection nationale (67 sélections). Il faut pourtant être certain d’une chose : Roy Keane n’a pas changé. Après la défaite contre la Biélorussie (1-2) en préparation, l’ensemble de la presse irlandaise a relayé la colère du barbu qui a voulu « tuer tout le monde dans le vestiaire » et de qui on a relayé ces propos : « Vous pouvez rater un match, on peut pardonner à un joueur pour ça, mais il faut se dépouiller sur le terrain. Il faut être en forme. Être aussi fort que possible. Manger correctement. Se préparer correctement. Le niveau international est exigeant. Si tu rates une passe, tu dois te déchirer pour récupérer le ballon. »
La vie selon le Roy
Depuis l’arrivée de l’équipe d’Irlande en France, c’est un festival. Comme en conférence de presse lundi avant un dernier match de poules décisif contre l’Italie : « Il faut descendre les Italiens. On a vu qu’ils n’hésitaient pas à le faire eux-mêmes contre la Belgique, quitte à prendre un jaune au milieu du terrain, pour empêcher un contre dangereux. Il faut dégager la balle dès qu’on peut. Ce n’est pas le genre de match où on se fera des amis. » Alors oui, Roy Keane a toujours affiché de nombreux défauts, mais il a avant tout une qualité : il vit. Il s’est toujours crevé sur un terrain, alors il exige la même chose de ses joueurs aujourd’hui. Keane dézingue à tout-va ce qu’est devenu le foot actuel, son système, son argent et même la mentalité des jeunes joueurs, et ce, depuis maintenant plusieurs années. Alors, il veut changer les choses, comme O’Neill a toujours voulu le faire en affirmant à plusieurs reprises vouloir « gagner tout en forgeant une identité autour du combat permanent » . Ses méthodes sont assez floues, mais ce qui est certain, c’est qu’il a toujours su tirer le meilleur de ses groupes, à l’image de l’actuel gardien de la sélection, Darren Randolph, six petits matchs de Premier League cette saison avec West Ham. Keane se reconnaît dans les valeurs d’O’Neill, il aime le sang et la sueur. Reste qu’un jour prochain, il faudra bientôt relâcher le loup.
Par Maxime Brigand