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Roy Hodgson se refait les dents
L'Angleterre s'est donné de l'air en tapant la Suisse chez elle. Roy Hodgson aussi, cible facile et idéale de la presse britannique. Même la fédé ne lui octroie que peu de confiance. Alors pourquoi diable est-il encore là ?
Lundi, la presse anglaise publiait l’une des récentes sorties médiatiques de Roy Hodgson dans laquelle le type expliquait ne pas vouloir être le « Nice Guy » , mais un homme respecté pour ses résultats. Par nice guy, on comprendra bien évidemment le gars trop gentil pour gagner quoi que ce soit ou pour sortir les dents dans des situations périlleuses. Lui demande du respect de la part de ses joueurs et semble vouloir être perçu différemment. Roy n’est en effet certainement pas un sélectionneur comme l’Angleterre a coutume d’en avoir. On est loin, très loin du parapluie de McClaren et des coups de sang de Capello. Le Roy lion est une personne bien plus insipide pour les journaux anglais. Cultivé, instruit, littéraire, l’homme mène une vie tout à fait modeste. Voilà donc un type qui colle peu aux exigences de ventes des tabloïds. Alors, pour avoir de quoi se mettre à la une, la presse de la perfide Albion en a fait la caricature du « papy chausson » sympa à qui tu vas rendre visite une fois par mois à la maison de retraite. Soit un gars simplet, faible et sans relief. Une image dont Hodgson a vraisemblablement voulu effacer ce week-end dans les médias, s’appliquant à réaffirmer sa souveraineté et son autorité sur le groupe England : « La popularité ne veut pas dire grand-chose pour moi. Je n’ai jamais cherché à être apprécié des joueurs. Je veux être juste respecté dans mon travail en tant que professionnel. Point barre » , expliquait-il au Daily Mail avant la victoire de l’Angleterre sur la Suisse. Il a également détaillé quelle serait la direction que la sélection des Three Lions prendrait après son Mondial frustrant et ses nombreux départs à la retraite. Mais cette sortie médiatique ne fut pas seulement celle d’un homme blessé, mais aussi, et principalement, celle d’un homme sous pression. Car la fédé anglaise, si elle a dû avaler la couleuvre de la Coupe du monde brésilienne, accepta difficilement les propos de Roy quelques jours avant la fatidique rencontre : « Dans un monde idéal, j’aurais choisi de jouer contre la Suisse plus tard. J’aurais voulu avoir plus de temps pour construire ce groupe, pour intégrer les nouveaux joueurs. » Une frilosité évidente qui n’a pas vraiment plu outre-Manche, laissant de nouveau planer le doute sur la pertinence d’avoir gardé Roy après le Mondial. Lassée des mauvais résultats et désireuse de retrouver de la superbe qui faisait d’elle une grande nation du football, l’Angleterre toute entière s’impatiente et doute.
Qualités technique de Roy
Il fait fuir les supporters de Neuchâtel et Roberto Carlos
Où qu’il soit passé, le technicien anglais n’a jamais rien gagné. Pire, il a souvent laissé des goûts amers. Ce fut le cas à l’Inter Milan de 1995 à 1997, où le tout premier coach rosbeef du club ne parvint à remporter la finale de la Coupe UEFA contre Schalke 04. Entraîneur aux idées parfois figées, il se brouille même avec Roberto Carlos, trop offensif pour être latéral à son goût, provoquant le départ du Brésilien au Real Madrid. Même histoire avec Neuchâtel Xamax un peu plus tôt. Habitué au beau jeu avant son arrivée, Roy fera nettement baisser l’affluence du stade local en proposant un bon vieux kick and rush des familles. Il laissera également un souvenir mitigé à la sélection suisse qu’il coachera de 1992 à 1996. Emmenée en 8e de finale de la Coupe du monde 1994 après 38 ans de disette, la Nati se fera éliminer au premier tour deux ans plus tard à l’Euro 1996. En fait, Hodgson est un bonhomme old school qui se définit comme étant lui-même un « dictateur bienveillant » , pensant faire le bien dans chacune de ses décisions qui vont parfois à l’encontre de la logique. Un type de contre-pied assurément. Un jour, un journaliste anglais osa revenir sur ses méthodes de travail, pointées comme étant un poil désuètes et peu mises à jour. Sa réponse sera cinglante : « Qu’entendez-vous par la répétition de mes méthodes ? Je les ai appliquées partout où je suis passé. Que ce soit à Malmö, Neuchatel Xamax, avec la Suisse, ou aujourd’hui, j’ai toujours fonctionné comme ça et ce n’est certainement pas le fruit d’un manque de travail de ma part. Je trouve la question insultante. Ce sont ces méthodes que j’ai utilisées pendant 35 ans qui font de moi l’un des coachs les plus respectés en Europe. » Ce qui explique sans doute que le natif de Croydon présente un CV aussi saugrenu que le passeport d’un convoyeur de l’extrême. Passé par la Suède, le Danemark, la Norvège, l’Italie, sélectionneur de la Finlande, des Émirats arabes unis, héritier désastreux de Kenny Dalglish à Blackburn et éphémère successeur de Benítez à Liverpool, Roy Hodgson a beaucoup voyagé, mais n’a jamais été accepté bien longtemps à l’étranger ou même chez lui.
Fables et sagesse
Pourquoi donc la Fédération anglaise de football a-t-elle donc penché plus en sa faveur qu’en celle par exemple d’un Harry Redknapp, bien plus légitime à l’époque ? Coach dès ses 29 piges, Roy a toujours été un mordu de football capable de longs monologues sur les principes de jeu. Il aurait d’ailleurs, lors de ses passages en Suède, de 1976 à 1990, révolutionné les mentalités locales. Son fameux « bloody hard work » ou « la répétition du travail de chien » avait trouvé écho en Suède, remportant même un titre de champion dès sa première saison avec le Halmstads BK. On rappellera aussi qu’Hodgson n’a été viré qu’une seule fois en presque 40 ans de carrière et 19 postes. Une stat qui en dit long par ailleurs sur sa sagesse. Plus qu’un simple coach, le type est raffiné, capable de prendre tout le monde à revers et de parler littérature quand la situation lui impose de discuter football. Une sorte de coach-bibliothécaire disposé à parler des Fables de La Fontaine avec Yussuf Mulumbu pour le charmer et mieux lui soutirer deux-trois informations sur le jeu de la France. C’est un homme également qui sait dans quelle direction aller sans se soucier de l’avis de la plèbe. « Avec la démocratie, dans le foot, vous n’allez nulle part » , clamait-il dans le Sunday Times. Une petite révolution à la tête des Three Lions quand on sait combien Steve McClaren et Fabio Capello ont manqué de cohésion avant lui. L’entraîneur n’est pas homme à changer de onze de départ. Il a d’ailleurs confirmé à de nombreuses reprises Danny Welbeck, double buteur décisif lundi soir, quand toute l’Angleterre l’incendiait. Pragmatique, ferme sur certains points et titulaire d’une grande expérience de l’international et de ses compétitions, Roy semble être encore l’homme de la situation après sa victoire contre la Suisse. Sauf cataclysme, l’Angleterre devrait terminer première de son groupe E. « Nous avons eu une période délicate au Brésil. On s’est pris un sale coup dans les dents. Maintenant, je pense qu’il est temps qu’on les récupère et qu’on se les remette une par une pour retourner au combat » , tonnait-il avant la victoire en terres suisses. La première incisive a été posée à Bâle, lundi soir.
(Juste pour le plaisir :)
Par Quentin Müller