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Roy Chipolina, capitaine des Lincoln Red Imps : « Personne n’aurait misé sur un club de Gibraltar en Coupe d’Europe »

Propos recueillis par Émile Gillet
Roy Chipolina, capitaine des Lincoln Red Imps : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Personne n&rsquo;aurait misé sur un club de Gibraltar en Coupe d&rsquo;Europe<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

D’un coup de casque, il a fait rêver 32 000 habitants. Au dernier tour des barrages de la Ligue Europa Conférence, Roy Chipolina, 38 ans et capitaine de toujours des Lincoln Red Imps, a permis à Gibraltar de placer pour la première fois de son histoire un club en phase de poules d’une compétition européenne. Un exploit retentissant qui a valu à cet agent des douanes et fan d’Arsenal une sacrée gueule de bois.

Le 26 août, vous marquiez contre Riga et vous qualifiez pour la phase de poules de Ligue Europa Conférence. C’est un des plus beaux jours de votre vie ? D’un point de vue sportif, évidemment. Personne n’aurait misé sur le fait de voir un jour Lincoln en Coupe d’Europe. Je suis dans ce club depuis longtemps, depuis mes cinq ou six ans. J’ai vu la transition du football amateur au semi-professionnel jusqu’au professionnalisme. Alors marquer ce but et faire partie de cette équipe historique, c’est une immense fierté. Je suis sûr que c’est quelque chose que je raconterai à mes petits-enfants quand je serai plus vieux.

Aujourd’hui avec Lincoln, on se bat dans la catégorie au-dessus de notre poids.

Est-ce le plus grand exploit sportif de Gibraltar de tous les temps ?En 2016, on avait battu le Celtic. C’était une victoire historique qui nous a placé sur la carte. Je me rappelle m’être pincé à Hampden Park. Jouer là-bas contre le Celtic en face de 50 000 personnes, c’était une expérience incroyable. Au niveau international, on a gagné notre groupe de Ligue des nations, et on a battu l’Arménie à domicile. Pour moi, ce sont des exploits que personne n’avait prédit. Mais la qualification reste au-dessus, parce qu’on ne sait pas si cela se reproduira à l’avenir, même si je l’espère. Aujourd’hui avec Lincoln, on se bat dans la catégorie au-dessus de notre poids. Le plus important, c’est de donner l’espoir à d’autres, en montrant que c’est possible.

Après ce but, quelle est la première chose qui vous vienne à l’esprit ?C’était un sentiment incroyable, je me suis dit : « Wow, on va vraiment aller en phase de groupes ? » On n’avait pas encore gagné, mais je savais que c’était un but important parce qu’on prenait l’avantage en prolongation, qu’il ne restait pas beaucoup de temps et qu’on était très solides derrière. Il n’y avait que quinze minutes à tenir pour rendre l’impossible possible. Ce n’était pas encore une victoire, mais j’ai célébré comme si c’était un but en or. Beaucoup d’amis m’ont envoyé le but, donc je l’ai beaucoup vu, et je continuerai de le regarder pendant de nombreuses années.

Honnêtement, je ne me rappelle plus quelles chansons j’ai chantées après la qualification, parce que j’avais quelques bières dans le nez…

Comment était la fête dans le vestiaire ensuite ?Il y avait énormément d’émotions. On chantait, on sautait sur les tables, et ensuite on est allé dans le bar juste à côté du stade où on a rejoint nos familles, nos amis et on a pu boire quelques coups. C’était une belle nuit. Honnêtement, je ne me rappelle plus quelles chansons j’ai chantées parce que j’avais quelques bières dans le nez. Le match n’était pas tard, mais on a fini la soirée loin dans la nuit. En plus je travaillais le lendemain à 8h du matin. Je n’ai pas beaucoup dormi et j’avais une sacrée gueule de bois, donc ce n’était pas un vendredi très heureux pour moi. (Rires.) C’était pareil pour pas mal de mes coéquipiers, mais eux n’avaient pas à travailler le lendemain, ils pouvaient se permettre une grasse matinée.

Vous êtes capitaine des Lincoln Red Imps, de Gibraltar, père de deux enfants et agent des douanes. À quoi ressemble votre quotidien ?Je me réveille, je vais au travail de 8h à 15h30. Ensuite, je rentre m’amuser un peu avec mes enfants à la maison ou jouer au ballon dans un parc. Ensuite, je m’entraîne de 19h à 21h, puis je rentre à la maison : repas et au lit. C’est le mieux que je puisse faire. Le week-end, je joue souvent le samedi et en plus j’entraîne l’équipe de mon plus jeune fils qui est en U6. Quand j’essaie de les entraîner en semaine, je vais chercher mon fils à l’école en sortant du boulot, je me change rapidement et on part en direction du stade. Donc c’est vraiment football, football, football.

La majorité des clubs va s’entraîner en Espagne, faute de place. Le problème, c’est la queue pour passer la frontière. Parfois on attend une heure juste pour s’entraîner, ce n’est pas le top.

Ce stade, c’est le Victoria Stadium, le seul à Gibraltar…Les installations, c’est le gros problème, ici. Nous avons un stade avec un terrain synthétique que nous partageons entre tous les clubs. La fédération ne peut pas satisfaire les demandes de tous les clubs, donc on fait ce qu’on peut, c’est comme ça. Le plus souvent, la majorité des clubs va s’entraîner en Espagne, faute de place. C’est à peu près à 20-25 minutes en voiture, donc ce n’est pas trop loin. Mais le problème, c’est la queue pour passer la frontière. Parfois, on attend une heure juste pour s’entraîner, ce n’est pas le top. C’est très frustrant surtout quand tu sors du travail. Mais on le fait, et pour être honnête, on ne peut pas faire mieux.

Mieux vaut Gibraltar que jamais.

À Lincoln, vous êtes tous dans cette situation ?À part cinq ou six joueurs qui sont à plein temps, les autres ont un travail, parce qu’on fonctionnait déjà comme ça avant de rejoindre l’UEFA en 2013. C’est mon cas, celui de Lee Cascario, qui a 39 ans, et du gardien Lolo Soler, 34 ans. On a gardé notre métier, et comme on se rapproche de la fin, on a besoin de pouvoir préparer l’après tranquillement. Les jeunes joueurs n’ont pas autre chose à côté de ça, parce qu’ils se développent toujours dans l’espoir de percer, comme Tjay De Baar qui est parti cet été aux Wycombe Wanderers (D3 anglaise). Bien sûr, le club nous paye, mais ma plus grosse rentrée d’argent est clairement liée à mon travail. Chaque joueur a son propre contrat. Ces jeunes vivent du football, alors que je ne pourrais pas vivre avec mon salaire de footballeur. Enfin… j’aurais assez pour manger et avoir une table (rires), mais pas pour vivre de la manière dont je le souhaite.

Certains ont remarqué que malgré votre quotidien de joueur semi-pro, vous avez bel et bien le corps d’un athlète professionnel…(Il éclate de rire.) Ah ça, c’est parce que je m’entraîne très dur.

Autre nouveauté pour vous cette année : le tirage au sort…Juste y être et voir le nom de Lincoln être tiré au sort, c’était quelque chose d’irréel. D’habitude, je regarde ce genre d’événement pour savoir qui va affronter Arsenal, mon club de cœur. Mais cette année, on est qualifiés, et pas eux ! On aurait bien voulu jouer la Roma ou Tottenham. Malheureusement, ce n’est pas le cas, mais Copenhague ou le PAOK sont aussi de grandes équipes européennes.

Quel est votre objectif dans cette compétition ?On ne fait pas tout ça pour marquer zéro point. On va essayer d’être les meilleurs possible. Un nul ou une victoire dans cette phase de groupes, et ce sera encore un autre exploit pour Gibraltar. C’est le palier suivant, et on va essayer de le franchir ! On sait à quel point ça va être dur, alors on va faire ce qu’on a toujours fait : travailler dur à l’entraînement, nous préparer le mieux possible, et ensuite on verra bien. Dans le football, beaucoup de choses folles peuvent arriver !

Voir le nom de Lincoln être tiré au sort, c’était quelque chose d’irréel. D’habitude, je regarde ce genre d’événement pour savoir qui va affronter Arsenal, mon club de cœur…

Quels sont les joueurs qu’on devra suivre de près ?Marco Rosa au milieu de terrain, qui a fait une très bonne campagne européenne, et Bernardo Lopes, un des défenseurs centraux, qui est vraiment très talentueux. Pour moi, c’est un joueur qui a le niveau pour être dans des championnats très supérieurs. Espérons que cette Ligue Europa Conférence servira de tremplin à ces joueurs.

Quelles sont les conséquences concrètes d’une qualification en phase de poules ?C’est un nouvel espoir pour le club. Financièrement, c’est une grosse augmentation de revenus pour le club, c’est génial. On pourra s’appuyer pendant un an ou deux sur la recette due aux supporters aussi. C’est tout bénef pour le club.

Quand vous avez commencé à jouer au foot, vous auriez cru aller aussi loin ?Pas du tout ! Même pas dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais pensé faire partie de cet exploit qui entre dans l’histoire récente de Gibraltar. Tout cela est la conséquence d’avoir été accepté par l’UEFA. Ils nous ont donné une chance, et on l’a saisie. Depuis, on essaye de grandir en fonction des expériences qui se présentent face à nous.

Chipolina et un touriste anglais

Dans cet article :
La Ligue des champions se poursuit à Gibraltar et au pays de Galles
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Propos recueillis par Émile Gillet

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