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Roxana Maracineanu : « Cette Superligue, cela ressemble un peu à une traîtrise »
Le projet de Superligue ne pouvait laisser le gouvernement français indifférent ou silencieux. Le président de la République s’est exprimé et s’est réjoui qu’aucun club de Ligue 1 n’ait rejoint le camp des félons. Mais l’enjeu dépasse la réaction à chaud et pose de fait sur la table des questions aussi essentielles que la fonction ou la mission de l’État face à ce type de conflits au sein du sport professionnel, ainsi évidemment que le rôle que va jouer l’échelon européen. La ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu, entre donc sur le terrain.
Comment avez-réagi à l’annonce de la création de cette Superligue ?Je l’ai déjà dit, pour moi, il s’agit d’abord d’un « séisme » . Même si effectivement, l’idée existe depuis un moment. Toutefois, qu’elle aboutisse maintenant, alors que nous traversons un épisode compliqué avec la pandémie actuelle, cela ressemble un peu, à mes yeux, à une traîtrise par rapport aux autres clubs. Eux aussi sont en difficulté, et nous avons besoin de solidarité, entre pays, entre sport amateur et sport pro, etc. Et justement, à ce moment précis, ils décident de lancer leur Superligue…
Que peut être le rôle du gouvernement ou de l’État devant pareille situation ?Notre marge de manœuvre consiste à accompagner les décisions des instances sportives internationales. La même chose s’est produite dans le basket voici 20 ans, il faut donc être attentif. Il faut protéger le mouvement sportif au niveau européen. Thomas Bach, président du CIO, a attiré l’attention des gouvernements à ce propos. La position de la France demeure de rappeler que si on n’interdit pas la libre concurrence, il faut accorder une sorte de priorité au système historique existant. Il s’impose de maintenir bien sûr de la solidarité, éviter une ligue fermée, conserver le principe de la pyramide compétitive et le mérite sportif, même si je pense que les tenants de la Superligue trouveront un moyen ou un autre de répondre à ces injonctions. Il importe surtout de préserver les instances telles qu’elles existent aujourd’hui. Je ne suis pas convaincue que la concurrence à outrance soit bénéfique dans le sport. J’en ai fait l’expérience personnelle quand j’étais nageuse, avec l’arrivée du circuit des petits bassins de 25 m qui venait concurrencer les compétitions en bassin olympiques de 50 m. Il faut prendre le temps de bien réfléchir aux conséquences, y compris en matière de santé pour les sportifs.
C’est au niveau européen que doit se régler la question ? On sait que les promoteurs de la Superligue risquent de porter l’affaire devant les tribunaux européens…C’est un sujet qui revient régulièrement depuis deux ans que je suis en poste, quand je me réunis avec mes collègues de l’UE. Il faut arriver à penser au niveau européen une relation particulière entre l’UE et le mouvement sportif, à l’instar de ce qui peut exister en France, avec des contreparties évidemment. Seulement, depuis l’arrêt Bosman qui a fait entrer le sport dans le champ de la libre concurrence et de la libre circulation des travailleurs, les instances sportives internationales et les organisateurs d’événements sportifs sont considérés comme des entreprises privées comme les autres. Ma position reste que c’est à eux (UEFA, etc.) de venir démontrer en quoi ils possèdent quelque chose de spécifique à faire valoir face aux entreprises privées qui arrivent sur le marché (équité, ouverture des compétitions, intégrité des sportifs), pour ensuite discuter avec les États européens de la manière d’affirmer la nature de notre relation. C’est évidemment compliqué. Les 27 membres de l’UE n’ont pas tous la même façon d’établir leur rapport au mouvement sportif. Cela dit, la présidence de l’Union sera assurée à partir du 1er juillet par la Slovénie, et ensuite ce sera la France. La Slovénie a, de ce point de vue, la même conception que nous. J’ai eu la ministre des Sports slovène au téléphone plusieurs fois, et elle partage mon approche. Comme Monsieur Čeferin est aussi slovène, cela facilitera peut-être les contacts. En attendant la présidence française.
Le gouvernement va-t-il continuer d’encourager les clubs français à refuser la Superligue ?Ils ont décidé, eux-mêmes, de ne pas rejoindre la Superligue. Nous saluons cette décision, que nous soutenons en cohérence avec ce que je viens d’expliquer plus haut. Les clubs allemands ont fait de même pour protéger leur modèle qui, par ailleurs, est moins dépendant des droits télévisés.
Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov